Tetsuo a écrit:
Arrête de faire des systématismes s'il te plait, tu ne m'auras pas comme ça...
Alors cesse d'être systématique, tes attaques contre Spielberg sont répétitives et déjà entendues il y a 15 ans.
Tetsuo a écrit:
J'en sais rien (et je m'en fous), moi je vois que le film est signé Spielberg et j'y ai retrouvé des défauts trés spielbergiens. Et cette suprématie des scénaristes-star à Hollywood commence à me taper sur le systéme d'ailleurs, nous en reparlerons surement...
Tu sais que c'est le premier scénario de Kushner? Et c'est rare que les scénaristes
dirigent des scènes, donc on est pas dans une situation de scénariste-star (je suppose que tu penses à quelqu'un comme Haggis là?). Je voulais juste dire qu'il y a autre chose que les défauts de Spielberg que tu vois, et que s'arrêter à eux c'est passer à côté du film.
Tetsuo a écrit:
Oui, en fait je me suis assez mal exprimé sur ce coup là. Ce que je veux dire c'est que Spielberg, par la nature même de son cinéma, ne traite finalement d'aucun sujet précis, que ce soit le conflit géopolitique en question, ou n'importe quel conflit en général.
Ca tombe bien, ce n'est pas son sujet. Munich c'est quoi? C'est l'histoire d'un agent à qui on confie une mission qu'il croit légitime parce qu'elle lui est donnée "d'en haut" (d'un état, d'une idéologie, par une justification historique (l'attentat)). Cette mission se révèle vaine et dénuée de sens et cette absurdité de l'acte contamine le système de représentation sur lequel est fondé son action et son existence. Autrement dit, le sujet de Munich, c'est le rapport de l'individu au monde, et comment un événement historique, au travers du système d'idéologie et de représentation qu'il suppose et crée ou transforme, et par son intégration à une mécanique absurde où chaque événement répond à l'autre, où l'action répond à l'action, où la mort répond à la mort, jusqu'à noyer tout possibilité de sens individuel, en vient à faire perdre au monde son sens et à détruire les êtres. L'histoire d'Avner est l'histoire de la prise de conscience de ca.
Même les scènes qui font directement référence au conflit Israelo-palestinien servent bien plus à mettre en place le doute des personnages qu'à traiter d'une quelconque facon que ce soit le conflit.
Spielberg choisit le thriller parce qu'il doit montrer la mécanique de la mission et parce que le fait que ca soit des agents est fondamental pour le sens du film. Il y a toujours cette distinction entre agents et décideurs/idéologues dans le film, que ca soit du côté terroriste ou Israélien. Les décideurs sont cachés ou évoluent dans des milieux riches ou intellectuels, toujours dans la distance par rapport à l'action, qui est le domaine des agents (agents secrets ou terroristes), des gens simples (cf les métiers de l'équipe d'Avner ou le terroriste), qui ne réfléchissent par vraiment leur action, pas au sens où ils seraient bêtes, mais où ils sont pris dans le système qui les emploie. Le film renvoit régulièrement à ca, à l'impossibilité de dire et de conceptualiser l'action et la violence (alors qu'elle l'est, mais c'est faire du sens à partir du non-sens), et creuse cette distance entre les deux rôles jusque dans la dernière scène. Le "non" d'Ephraim, c'est (entre autres) la représentation du vide qui s'est creusé entre l'agent Avner et l'idéologie/état/système représenté par Ephraim.
Et ce n'est pas coller la petite histoire sur la grande, il n'y a pas de petite et de grande histoire, et quand bien même elles existeraient, Munich ne traite ni de l'une ni de l'autre, il traite de processus, de systèmes dans un sens quasi-Hégélien (le film cite Hegel, et je me demande si c'est vraiment un hasard, au moins venant de Kushner).
Tetsuo a écrit:
"L'Histoire devient le décor du film, et le décor, le remord du sujet non traité" (superbe cette phrase, non ?).
C'est un non-sens cette phrase. Remord de qui? L'histoire devrait forcément servir de sujet?
Tetsuo a écrit:
Cela dit, je continue d'avoir des réserves sur sa confection, je trouve qu'elle est trés chargé pour pas grand chose, qu'il lui faut beaucoup de moyen, pour n'accoucher que d'une souris. Tout ce montage parallèle, tout ce sexe sans âme et surtout tout ce qu'il y a eu entre cette scène là et la première scène de sexe, pour démontrer que "la violence contamine les âmes et détruit tout", je trouve ça pauvre. Bonjour l'enfonçage de portes ouvertes !
Mais je vais finir par croire que tu fais exprès de pas comprendre... Ce n'est pas la violence qui détruit, la violence n'est qu'une conséquence... c'est la violence d'un mode d'organisation du monde, cette violence qui est cachée dans l'idéologie, une violence du rapport entre les êtres et le monde, pas la violence des coups ou du meurtre.
Tu parles du Cronenberg, mais ca ne fonctionne pas du tout au même niveau que Munich.
Tetsuo a écrit:
Cronenberg nous dit que la violence est inhérente à l'homme, qu'elle n'est pas simplement sa face caché, mais aussi son moteur et que la refouler, c'est se voiler la face.
Ouah, c'est très nouveau tout ce que nous dit Cronenberg là.
Tetsuo a écrit:
Alors que Spielberg ça le révulse. Le corps humain chez lui est toujours détruit ou humilié (ou ridicule), et non sans complaisance. C'est ça son puritanisme.
Des exemples précis? Il n'y a pas de fascination du corps, mais ses films ne traitent pas de ca et ils s'en passent très bien. Et je crois pas que le corps soit systématiquement détruit ou humilié, il l'est quand ses films traitent de violence. Son cinéma ne porte simplement pas sur le corps, ca n'est pas une raison pour en faire un puritain. Il faudrait quoi pour qu'il se débarasse de ce cliché? Une belle scène de cul? Elle est dans Munich.
Tetsuo a écrit:
Je ne crois pas avoir dit ça, mais plutôt que le symbolisme alourdi le sens (donc le film).
Tu as plusieurs fois parlé de rapport d'équivalence du symbole au sens, ou quelque chose comme ca.
Tetsuo a écrit:
Ha bah super ! Génial Spielberg !
Tu voudrais qu'il te file un panneau "tuer c'est pas beau"? Je disais que ce n'était pas le sens premier de cette scène, bien sur qu'il "condamne" le geste en tant qu'individu - sinon il ne le filmerait pas comme ca. C'est dingue comme tu es un moralisateur en fait.
Tetsuo a écrit:
Il y a entre un réalisateur et un comédien un contrat moral, tacite, ou le premier ne regarde pas l'autre de haut, n'éxhibe pas son corps humilié, n'abuse pas de lui. Et Spielberg ne respecte jamais ce
contrat.
Mais de quoi on parle là... ca devient hallucinant... Et tu crois que Marie-Josée Croze n'a pas accepté le rôle en connaissance de cause? Elle a lu le script, a du parler de la scène avec Spielberg qui lui a certainement dit que ca serait une scène crue et qui lui a tout aussi certainement expliqué pourquoi elle devait l'être par rapport au reste du film. Ou alors peut être qu'elle était suffisamment intelligente pour comprendre où voulaient en venir Kushner et Spielberg toute seule. J'ai quand même l'impression qu'on a fait joué largement pire à des acteurs. Si la question morale concerne juste le bien-être des acteurs (qui se portent très bien, merci de penser à eux)...
Tetsuo a écrit:
Et qu'on arrête de me sortir des trucs du genre : "il filme la réalité en face, l'horreur tel qu'elle est, etc" parce que ça, c'est de la connerie en barre.
Ca tombe bien, ce n'est pas ce que j'ai écrit. Je ne parle pas du tout d'horreur, la "réalité" de la mort ne se joue pas au simple niveau du corps cadavérique (même si c'est là), et c'est justement ce qu'exprime cette scène.
Tetsuo a écrit:
Le cinéma, l'art, c'est pas bêtement reporduire la réalité, l'éxhiber tel quel, mais l'exprimer, aucun intérêt sinon.
Et justement, cette scène est de la pure expression. Cette scène confronte les personnages à l'inexplicable de la mort, à l'évidence du presque-rien et du tout autre ordre qu'elle est pour reprendre Jankélévitch, et par extension l'inanité de leur geste (encore un). Elle plonge à la fois dans le sérieux et la cruelle ironie. D'autant plus que cette mort une vengeance, en écho avec la vengeance qui sert de moteur au film. Narrativement, c'est une vengeance directe, intime, qui touche les personnages qu'on a suivi, mais elle n'apporte aucune satisfaction, aucune gloire, aucune dignité, et même aucune résolution car les personnages n'en sont pas moins pourchassés. La représentation du corps dans cette scène sert ce sens. S'il y a quelque chose de dégragé, ce n'est pas le corps, c'est l'action, la vengeance.
Je trouve que ce plan hyper froid est la plus sidérante expression de tout ce dont parle Vladimir Jankélévitch dans ses livres sur la mort.
Mais tu me parles d'un corps dégradé, alors que le corps lui-même n'est pas vraiment dégradé, il est pas mutilé ou blessé de manière grave, la mort est violente mais pas extrême. Ce qui choque ici, c'est bien la nudité de la mort représenté, pas le corps en lui-même. Ce qui est en jeu c'est le sens de la scène, pas tout un baratin moralisateur sur la pornographie. Après si t'es choqué parce que faire passer un sens là nécessite d'être un peu brusque dans la représentation du corps et d'avoir une actrice dans une position inconfortable (et encore, je suis sûr qu'elle s'en fout, tous les acteurs n'ont pas peur d'aller loin dans le jeu avec leur corps et ils savent ce qu'ils font), je me demande
vraiment qui est le plus puritain entre Spielberg et toi.
Tetsuo a écrit:
Or, montrer l'obsénité - et c'est ce que fait Sielberg dans cette scène - ça a un nom, trés précis étymologiquement : la pronographie.
Ca devient de la démence là... Spielberg ne montre pas l'obsénité. On dirait qu'avoir un regard sur la mort est obsène pour toi. Soit ca, soit tu es bouffé par une morale du XVIIIème siècle.
Tetsuo a écrit:
Et je trouve que Spielberg, quand il filme cette femme nue faisant la morte, manque foncièrement de dignité.
C'est dingue de tout rejeter sur le cinéaste pour éviter d'avoir à penser. Il ne t'es pas venu à l'esprit que justement ce manque de dignité n'était pas un acte inconscient de la part de Spielberg vis-à-vis de son actrice, mais bien une volonté de sens? Cette image n'est pas une image crue ni du naturalisme, elle est narrativement construite et justifiée. Ce qui te dérange, c'est qu'au lieu de se parer d'atours intellectualisants, il place dans l'amoralité et l'incompréhensible, mais parce que les personnages y ont été plongés par le reste du film, parce que l'amoralité est le résultat de la morale qu'ils défendent. C'est le propos du film. Une fois que l'idéologie s'est délessée de ses atours pour être réduite à l'action, que reste-t-il? L'incompréhension, la confusion, le non-sens, l'absurde, des choses qui sont selon la morale et l'idéologie parfois obsènes. La dignité du film est là, parce qu'il refuse de travestir au nom d'une morale ce qui est de l'ordre du sérieux au sens de Jankélévitch.