Grande œuvre.
Ce n’est absolument pas "humaniste", c’est complètement désespéré et d’une noirceur difficilement soutenable. Le récit du film, c’est la contamination d’un homme, de la représentation de son monde par l’absurdité des jeux géopolitiques et du monde moderne, jusque dans son dernier refuge : sa femme.
J’ai du mal à voir le film comme simpliste, comme j’ai pu le lire dans certains commentaires sur ce fil et ailleurs. La narration est certes linéaire, mais elle démontre plus à mon sens une qualité d’écriture exceptionnelle plutôt qu’un manque de matière. SI Hegel est cité en début de film, ce n’est pas pour rien, je ne dis pas cela pour justifier de la qualité d’écriture, ce serait un non-sens, mais plutôt pour souligner que cette citation, mise en rapport avec le reste du film, fait sens et démontre d’une progression logique.
A ce titre, plus que la monstration finale des Twins, c’est la scène qui précède qui est incroyablement signifiante tout en étant d’une tristesse déchirante : Il n’y a plus de famille. Plus que cela, il n’y a même plus de communauté. Un juif qui refuse à un autre de rompre le pain ensemble, c’est pire que Babel : ce n’est même plus la langue qui sépare, c’est la « libération » d’Avner ( de sa mission, de sa pensée ( qui n’intervient qu’après la mission : le nombre de fois où il dit à ses équipiers « Don’t think about it)) qui l’exclut définitivement de la communauté qui le définissait en tant qu’homme (L’acte d’Ephraïm est une insulte, un anathème).
La « libération » d’Avner ne l’a donc pas émancipé, elle l’a exclue du monde. Même l’amour se dresse comme un mur entre les êtres, le montage final grotesque attestant bien de cela : le Mot (« i love you ») est vide, l’acte est une dé-espérance.
De la même manière que l’acte du palestinien qui se retrouve face à aux athlètes dans l’hélicoptère lors de la boucherie finale : un acte de mort, où est mort toute espérance, où ne brille qu’une chose : le désespoir et l’impuissance face à l’absurdité du monde, qui enfante ce geste absurde, in-humain.
C’est nous, dans une moindre mesure, qui prenons la mesure de notre impuissance, de ces forces qui nous dépassent et nous manipulent : les héros du film sont des « agents », des individus qui ne sont pas dénués de réflexion au contraire, mais qui sont les instruments d’intellectuels (tous vivant dans des capitales, haut lieu de culture) eux même enserrés dans des rapports de force et de pouvoir qu’ils arrivent à peine à saisir pour donner sens à leur monde, pour répondre à leurs inquiétudes.
Alors, comment y trouve t’on sa place ? Quel idéal nous sert de foyer ? Comment le vivons-nous ?
.J’admire chez Spielberg (dans A.I. et Munich du moins) la possibilité d’incarner des questions d’une profondeur et d’un sérieux exceptionnel en quelques images :
*L’attentat de Paris tout d’abord qui, pour moi, évoque le fait qu’un enfant, c’est avant tout la possibilité d’un recommencement. Les « tueurs » voient eux aussi en cette enfant qui joue du piano (le rôle de l’Art dans ce film est d’ailleurs passionnant) quelque chose de pur, le début d’un espoir qui peut être les délivrera eux aussi, ou voudra leur mort. Du coup, quel est le suspense qui se joue ? Est-ce que c’est celui « trivial » de qui va s’emparer du téléphone ? ou s’agit t’il de ce que représente l’enfant ? Ou bien de ce qui se joue dans l’après ? C’est d’ailleurs à partir de ce moments que les questionnements se verbalisent au sein de l’équipe (et c’est le premier, » don’t think about it »)
*Puis la confrontation face au corps mort de la tueuse, cette mort que l’on a désiré, parce qu’elle a atteint l’ami, le foyer, en guise de réparation. Auquel on rajoute l’humiliation ultime, le refus du vêtement, symboliquement de laisser pourrir le corps au soleil, de refuser à l’autre la « sépulture ». Vient le regret face à la tragédie lors du banquet démesuré qui suit, amis c’est déjà trop tard..
Les quelques réflexions que je jette ici ne font pas honneur à un film séminal, qui se doit d’être vu et revu tant il donne à penser. Le cadre dans lequel il s’inscrit et les questions qu’ils soulèvent sont bien trop importants pour être vu comme un objet de simple divertissement. Il faut y revenir et le considérer avec toute l’intensité qu’il mérite.
_________________ ART: Ça mène à l'hôpital. A quoi ça sert, puisqu'on le remplace par la mécanique qui fait mieux et plus vite.
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