Ça fait 100 ans que j’ai pas posté, mais je viens de voir le film, il m’a donné envie d’écrire et je vois pas d’autre endroit pertinent pour le faire qu’ici. Film Freak va me dire que c’était pas la peine, mais bon, déjà à l’époque je lui disais que la prise du pouvoir des geeks c’était la fin des haricots, et on se comprenait pas là-dessus.
Le premier truc qui me choque dans ce film, c’est cette idée de « pop culture », que le film serait une ode à cette culture populaire et à son public (le peuple donc, j’imagine, les sales geeks en fait, bien sûr). Mais de cette « culture » on ne voit rien, que des signes et des gimmicks. Alors Ready Player One est blindé de clins d’œil, de rappels aux films et aux jeux vidéos mais des œuvres en elles même il n’en sera rien dit. Qu’est-ce qui fait la force de tel jeu, la singularité de tel film, c’est pas du tout la question ici, la question c’est de faire apparaître les signes de cette culture et c’est tout. Alors en quoi c’est une culture ? Et est-ce que Chucky et Shinning c’est pareil ?
Ici la culture Geek, c’est le royaume du signe culturel qui fait groupe. Y’a king Kong, mais pas le film des années 30, ou 70, juste king kong le personnage, c’est-à-dire pas du tout du culturel mais des objets reconnaissables par tous, qui font signes et qui sont complètement dévitalisés. Ça donne une purée de trucs qui se mélangent, le Géant de Fer (mais pas le film), John-117 mais pas le jeu Halo, etc… Donc quand on dit que les personnages du film se réapproprient les films et les jeux vidéos, c’est du niveau du cosplay et c’est tout. La pop culture, c’est donc porter un t-shirt Robocop, voilà tout. Que cette représentation de cette culture, complètement vidée des enjeux esthétiques, de mise en scène ou de gameplay, satisfasse les geeks, je trouve ça terrible (et en même temps ça m’étonne pas des geeks). Et surtout ça dégonfle toute idée d’un rapport aux formes, au cinéma, aux jeux vidéos, puisqu’on n’en voit que les signes extérieurs et que le film ne se coltine jamais à ce qui les constitue profondément (au mieux, un vague imaginaire commun, un peu fade).
C’est très clair dans la séquence Shining. Les personnages numériques entrent dans le film, ça donne quelques plans vraiment troublants, mais très vite on comprend qu’il ne s’agit pas de Shining le film, mais du décor du film utilisé dans un jeu vidéo. On pensait entrer dans le film de Kubrick, c’est-à-dire dans tout un travail sur la symétrie des plans, leur durée, les mouvements de caméra, mais en fait on est entré dans un « ride » ayant pour thème Shining, et très vite la caméra se met à bouger dans tous les sens. On n’aura rien compris de ce qu’est réellement Shining si on n’en a vu que ce qui est montré dans le film de Spielberg. Et c’est exactement le même traitement sur l’ensemble des films et jeux cité, on en voit la version grand huit, des moments spectaculaires avec des éléments reconnaissables des œuvres dedans. C’est donc toute une esthétique du produit dérivé et du parc d’attraction qui est développée ici. Pas du tout un hommage à cette culture (qui serait une histoire de l’invention de ses formes, par exemples), mais plutôt sa représentation par le prisme de tout ce qu’elle comporte de gerbant (l’industrie, le superficiel, le tape à l’œil, et surtout ce qui est immédiatement reconnaissable au détriment de ce qui pourrait désarçonner, surprendre, ce genre de chose…). Le film finalement traite le geek de crétin, et n’accorde aucune importance ou singularité aux œuvres citées. C’est au mieux juste des produits qui passent dans le fond du plan.
Par ailleurs, le film dit aussi que le populaire, c’est le majoritaire. C’est donc un monde du blockbuster, qui a fini d’écraser et de faire disparaître toute marge. Ainsi, le jeu vidéo qui travaillerait sur une durée, sur une étrangeté, voire sur la lenteur semble complètement impossible. Un personnage issu de la culture populaire indou, ou chinoise, ou africaine est là aussi impensable dans le film (Et je parle pas du Cheval de Turin, simplement qu’il s’agit d’une définition de la pop culture très discutable. C’est celle de Disney). Tout ce qui pourrait paraître singulier est inexistant, c’est le règne des simulations de bagnole et des FPS. Dans un monde où tout semble possible, tout est pourtant déjà connu et déjà vu, c’est un monde où l’imagination est complètement morte. C’est un monde inculte et débile, justement la vision contre laquelle se battent les geeks normalement.
Alors ça pose un autre problème pour moi, plus politique. C’est que le monde décrit et profondément con. Il n’y a plus réellement de culture, les gens passent leur temps à jouer, mais pas dans un rapport ludique, plutôt dans un truc de l’entertainment abrutissant, maintenu dans un rapport continuellement excité et speedé, superficiel aux choses qu’ils sont sensés aimer. C’est visiblement un monde où on a fini de penser, de créer, juste on consomme du jeu. C’est une représentation quasi fasciste. Ce qui me surprend, c’est que c’est jamais critiqué dans le film, et quand les gentils prennent le pouvoir, ils perpétuent le système, juste on fait un peu de place pour du temps off le mardi et le jeudi. Ce qui est seulement une autre organisation du fascisme. Clairement l’humain est complètement aliéné par l’Oasis, mais il n’est jamais question de le détruire puisqu’il est montré comme un monde cool est désirable, enthousiasmant, à protéger des méchants capitalistes. D’ailleurs là le film est complètement débile politiquement, où l’inventeur du jeu est un gentil idéaliste (bien qu’il se soit largement enrichi grâce au système quasi totalitaire qu’il a créé) qui donne la morale du film, un peu comme quand Bill Gates donne plein d’argent à des ONG, pour que le monde aille mieux quoi. Par contre les autres qui veulent mettre de la pub dans l’Oasis, là c’est mal.
J’ai été très surpris par la stupidité de tout ça (par exemple « le réel est réel », c’est vraiment naze comme phrase, et ça se débarrasse d’une question intéressante que le film aurait pu se poser), et aussi du manque d’inspiration dans le mise en scène, qui n’est pas honteuse mais enfin c’est tout petit (au passage un film comme Speed Racer est bien plus juste, fin et précis sur les formes nées de l’anime, du manga et du jeu vidéo, et de leur potentielle poésie à l’intérieur d’un film, bien au-delà d’un simple name-dropping). Le monde comme un comic-con géant, ça devrait terrifier tout le monde et en fait non c’est trop sympa. N’importe quoi.
_________________ Pré Carré
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