SPOILERS DE PARTOUT
Film Freak a écrit:
Art Core a écrit:
Je devais à la base écrire la critique du film pour le blog où j’officie de temps en temps et finalement quelqu’un d’autre s’en charge. Et honnêtement ça m’a soulagé tellement le film me paraît énorme à appréhender et tellement j’ai le sentiment de n’en avoir vu presque que la surface tant son foisonnement visuel et thématique est profond et sans cesse passionnant. Besoin de revoir le film, besoin presque de faire pause toutes les dix minutes pour digérer ce que je viens de voir, besoin de faire pause aussi pour voir tout ce qu’il y a à l’écran, tous ces détails que j’ai forcément manqué. Pas tant dans les références qui ne sont pas importantes mais dans la richesse de l’univers proposé.
Le film occupe mon esprit depuis mardi. La myriade de détails (et, oui, pas que les refs) m'obsède. Je n'ai qu'une envie, c'est le revoir et lire des textes dessus.
Et je vous jure que je comptais chaque jour qui passait sans que j'aie revu le film.
Mais c'est enfin chose faite, et en 3D cette fois!
Et bah c'est pas le même film.
Film Freak a écrit:
Marlo a écrit:
Des retours fiables sur la 3D ? Sur Twitter, elle est recommandée par ceux qui l'ont vu ainsi mais ce ne sont pas franchement des twittos ou critiques de premier plan.
Vu une vidéo où Spielberg dit l'avoir travaillé particulièrement, en convertissant les scènes dans le monde réel en légère 3D mais en appliquant une "deep 3D" aux scènes dans l'OASIS.
Hâte de voir ça.
La 3D des scènes situées dans l'OASIS est proprement enivrante.
Qu'il s'agisse du premier plan, passant d'une planète à une autre dans un même mouvement en vrille continue, ou de cette incroyable course, avec son absence de musique qui te laisse sans recours, "sans défense", face au chaos sublimement orchestré, c'est étourdissant.
Film Freak a écrit:
La relation entre monde réel et monde virtuel s'inscrit dans la lignée des précédents films de Spielberg sur le rapport à la fantaisie. Une fois de plus après Les Aventures de Tintin et Le BGG, Spielberg a recours à la technique de la performance capture. Dans Tintin, un journal donne la date du 12 décembre 1944 mais certaines voitures aperçues dans le film sont plus récentes. En réalité, le film est délibérément situé hors du temps. À vrai dire, il est tout simplement hors-réalité. On n'est pas le monde réel. L'histoire se situe en 1944 mais il n'y a aucun signe de la guerre et tous les personnages ont des gueules à la Hergé. La performance capture souligne ce parti-pris. On est quasiment dans de la peinture hyper-réaliste et l'esthétique du film laisse l'impression d'être dans un rêve. Ce rêve, c'est celui de Spielberg. Et Ready Player One explicite cette idée. L'animation photoréaliste est probablement ce qu'on peut avoir de plus pur comme manifestation de l'imagination de Spielberg. Le fléau de tout réalisateur, de tout artiste en fait, est de réussir à obtenir après tournage et montage et post-production un résultat le plus proche possible de ce qu'il avait en tête et le procédé adopté sur ces deux films permet précisément cela à Spielberg. Nul doute que son fidèle directeur de la photographie Janusz Kaminski a apporté son expertise mais c'est Spielberg lui-même qui est crédité comme "lighting consultant" sur Tintin et il dit qu'il ne s'est jamais senti aussi proche d'un peintre que sur ce film. Comme lors de l'incroyable poursuite en plan-séquence de Bagghar, le cinéaste laisse le plus libre cours à son imagination pour les scènes d'action dans l'OASIS. "Anything goes" comme chantait Willie Scott dans Indiana Jones et le Temple maudit. Que ce soit cette course de voitures virevoltante qui renvoie tous vos jeux de bagnoles et leurs pièges aux oubliettes ou bien l'assaut final qui fait figure de chaînon manquant entre Le Retour du Roi et Pacific Rim, en passant par une séquence de FPS filmée comme le champ de bataille de...Cheval de guerre, Spielberg vient mettre "fin au game" comme on dit. Une fois de plus, la performance capture permet l'expression sans filtre du "ça" de Spielberg et c'est particulièrement à propos dans Ready Player One où l'OASIS est un monde de fantaisie "où on peut être qui on veut".
Chaque aperçu (la fumée, les flares, cette brillance, ce contraste, notamment le rouge et bleu final, je suis amoureux de l'esthétique de ce film) de cette plongée dans la psyché de Spielberg, parce que c'est plus que jamais de ça qu'il s'agit, dans l'ambivalence constante entre rêve et cauchemar (cette présentation foisonnante, presque agressive, cette course abrutissant les sens comme les boules de démolition s'en prenant aux pilotes, quand ce n'est pas un dinosaure ou un gorille géant, inscrivant d'entrée de jeu les épreuves dans l'horreur, avant même la déjà célèbre seconde épreuve, la planète Doom et son
deathmatch géant qui renvoie aux tranchées de
War Horse donc...pour tout ce qu'il dit du rêve, Spielberg montre souvent l'OASIS comme un cauchemar) me hante au encore.
Et il en va de même du propos testamentaire.
La première fois, j'étais trop concentré sur le livre, la question de la nostalgie, le rapport à la fantaisie et il y a un aspect du film, qui m'apparaît a posteriori comme majeur, que je n'avais que trop brièvement évoqué dans ma critique.
Citation:
Dans le film, il est sans cesse question d'oeuf caché et de clés à trouver mais Spielberg n'oublie pas que la véritable clé est toujours humaine. Au coeur de la nostalgie, il y a le regret. Si les épreuves prennent l'allure de set-pieces renversants et revisitent les fleurons de la pop culture de façon amusante, l'enquête se mène dans des souvenirs. Ceux qu'on aime sont plus importants que ce qu'on aime. Et ce que l'on crée transcende le temps. Sans jamais dénigrer son monde virtuel, car il s'agit d'un refuge bienvenu pour personnes mal-ajustées, le film rappelle qu'il ne faut pas "s'y perdre" (et par conséquent, en filigrane, les dangers de rester coincé dans sa nostalgie). Le vrai contact se fait dans le monde réel mais il peut faire suite à un premier contact virtuel. Après le pessimisme d'A.I. et Minority Report, Spielberg signe un film de SF optimiste qui le réconcilie avec le simulacre. Le tour de force de Steven Spielberg et de Ready Player One réside dans ce compromis entre deux réalités, qu'il s'agisse de l'OASIS et du monde réel, internet et IRL, du point de vue de l'artiste et de la politique des studios, ou des oeuvres et du public qui se les approprie. Spielberg est Halliday et cette pop culture, le monde qu'il nous lègue... Qu'en ferons-nous? La vivrons-nous superficiellement ou en tirerons-nous une leçon qui nous aidera à se battre pour nos valeurs et à établir un contact avec autrui?
On peut situer globalement à
Indiana Jones 4, c'était inévitable, le moment où Spielberg a entamé la phase "film de vieux" de sa carrière.
Je ne parle pas de qualité ou de mise en scène mais du propos. Ce Jones vieillissant qui apparaît plus dépassé qu'à l'accoutumée (par le réel de la bombe et par l'improbable des extra-terrestres), qui se case enfin, qui se découvre père et doit en assumer la responsabilité, c'était les prémices du courant à venir dans sa filmographie, notamment avec le triplé
The BFG/The Post/Ready Player One.
À propos de
The BFG, j'écrivais qu'il s'agissait de "L'histoire d'un géant qui refuse la consommation (littérale) du petit peuple et préfère le divertir ou l'inspirer. Mais la lecture métafilmique est inévitable tout comme l'aspect autobiographique.
Au bout de 30 films, les thématiques récurrentes de Spielberg sont désormais connues de tous.
La communication a toujours été LE thème sous-jacent de toute sa filmographie, que ce soit celle entre les humains et les extra-terrestres ou celle entre Israëliens et Palestiniens. Cela dit, depuis quelques films, l'auteur parle plus spécifiquement de communication par le biais du
storytelling - Tintin qui n'a de cesse de dire
"I'm always looking for a good story. That's my job", Lincoln et ses anecdotes pour amadouer ses interlocuteurs - et
The BFG est la première fois qu'il parle aussi frontalement de sa propre fonction de conteur d'histoire. D'ailleurs, j'aime ce que le film dit des rêves mais également des mauvais rêves, qu'ils sont là pour nous préparer, nous protéger, qu'ils sont un mal pour un bien. Un peu comme les compromis nécessaires au progrès de
Lincoln.
Si la notion d'un vieil homme chassant les rêves pour les insuffler aux enfants ne suffisait pas, l'analogie est complètement assumée par cette séquence où ledit rêve est fabriqué en prenant l'allure d'un zootrope. L'antre du BFG, c'est l'usine à rêves qui donne son nom au studio co-fondé par Spielberg. Par conséquent, si le géant représente Spielberg, alors il est ce Peter Pan qui a grandi, cet E.T. qui a perdu Elliott...ce conteur à la recherche de l'enfant en soi. Spielberg est autant le géant que la petite fille et
The BFG, le dialogue entre un cinéaste et la magie de ces films d'antan qu'il cherche à retrouver. C'est moins un film qui cherche à refaire
E.T. qu'un commentaire sur la démarche elle-même. On n'est pas très loin du propos sur les dangers de la nostalgie de son
Ready Player One à venir."
Ready Player One se termine (si l'on exclue un épilogue un poil superflu/explicatif/
let's wrap things up comme un carton de fin filmé) sur une scène où, à l'issue de la dernière épreuve, le héros ne se retrouve non plus dans un monde de fiction mais dans un de ces souvenirs de James Halliday qu'il analysait pour trouver son "Rosebud". Ou plutôt un souvenir recrée, avec un Halliday qu'on nous dit être bien mort mais également ne pas être un avatar (
A.I. n'est pas loin du tout), et qui est accompagné...de son soi enfant.
"I keep him around" dit Halliday, comme une nécessité, quelque chose à ne pas oublier. À la fin de la scène, après qu'Halliday vieux a donné l'oeuf à Parzival, Halliday finit sa partie de jeu vidéo ("Game Over" s'affiche sur son écran) et Halliday vieux quitte la chambre en lui intimant de venir, léguant l'OASIS (l'oeuf, la chambre) à Parzival.
Pour la deuxième fois donc, Rylance représente Spielberg le Créateur et évoque encore plus frontalement la question de la responsabilité.
Concernant
The Post, j'écrivais "L'aspect que je n'avais pas évoqué l'an dernier en parlant de cette idée, c'est la notion de responsabilité. Ces derniers temps, j'ai plusieurs fois remis en question la bêtise de l'appellation "films sérieux" affublés aux drames historiques de Spielberg.
La Liste de Schindler n'était pas le premier de ces drames historiques mais il était le premier à témoigner, au travers de son protagoniste mais également de l'approche de son auteur, de cette responsabilité qui lui incombe. Un devoir, en tant que cinéaste le plus célèbre, en tant que nom qui attire les foules plus qu'aucun autre. C'est le vrai tournant entre ses drames historiques d'avant et ceux d'après, je dirais. Je me dois de parler de l'Holocauste. Je me dois de parler du conflit israëlo-palestinien et du terrorisme. Je me dois de parler de la liberté de la presse et de l'oppression patriarchale.
Il ne s'agit donc plus de la communication entre ses personnages mais de la communication entre l'artiste et le public. Et le parallèle n'a jamais été aussi marqué qu'ici, où l'histoire qui est contée n'est autre que l'Histoire. Lincoln avait pour responsabilité de diriger le peuple, même s'il désapprouvait. Le Bon Gros Géant avait pour responsabilité de le divertir. Le Washington Post a pour responsabilité de l'informer. Le Bon Gros Géant + le Washington Post = Steven Spielberg. Il a juste choisi un autre support pour raconter ses histoires mais peu importe le média, la communication reste la meilleure arme."
Ready Player One, c'est Spielberg qui s'inquiète de son héritage.
Le tout premier souvenir de Halliday que Parzival revisite, c'est le moment de la scission entre Halliday et son partenaire Ogden Morrow. Ce dernier dit à Halliday que leur création n'est plus simplement un jeu et qu'ils doivent en assumer les responsabilités. Halliday, qui se définit alors comme
"rêveur", dit qu'il aimerait
"retourner en arrière" (ce qui servira d'indice à Parzival pour remporter la course, allant littéralement contre l'ordre établi). Comme je le disais dans ma critique, le regret est au coeur du film, c'est la clé de chaque énigme.
Tout comme Halliday regrette de n'avoir pas embrassé Karen et craint que ceux qui se réfugient dans l'OASIS passent à côté de leurs vies comme lui, Spielberg craint que ceux qui se réfugient dans ses films, notamment ceux des années 80, qui ont forgé l'image de ce qu'est un film de Spielberg dans l'inconscient collectif, passent à coté du propos : la fantaisie aide à évoluer, elle n'est pas une fin en soi.
Si
The Post proposait une allégorie de la responsabilité que ressent Spielberg à informer son public via ses films "sérieux",
Ready Player One déroule le même programme mais pour ses films "de fantaisie".
C'est pourquoi quand je lis ça...
Marlo a écrit:
On peut bien sûr y voir plein de choses, comme une mise en garde face à ceux qui veulent contrôler le net comme le dit FF, mais c'est tellement superficiel et peu incarné que ça me passe au-dessus de la tête. Il n'y a rien de génial à remarquer que la neutralité du net est un combat important, et encore moins de génial à inclure ça au premier degré dans un film, c'est à la portée de n'importe qui, je ne vais pas applaudir ça quand même... Rien n'est creusé, tout est surligné, tout est attendu, à grands coups de name-dropping peu élégant. Les références elles-mêmes sont rarement utilisées, on est plus dans la mention qu'autre chose et j'en ai vite eu ras-le-bol de constater que je connaissais toutes les références et qu'il n'y en a pas qui soient obscures ou qui fassent référence à des oeuvres un peu moins connues ou plus exigeantes, ça en devient presque une célébration du manque de curiosité et de la paresse intellectuelle à ce niveau.
Ce n'est pas du tout un mauvais film, je respecte l'ambition générale, mais c'est vraiment un film pour rien, qui n'amène rien. Je suis plus attristé qu'autre chose.
...
"je suis plus attristé qu'autre chose" moi aussi.
"J'applaudis" pas l'analogie avec la lutte pour la neutralité du net, je ne fais que la constater. J'y consacre deux lignes sur huit paragraphes de texte. Quand on voit "plein de choses" dans le film, c'est loin d'être le plus intéressant ou le plus important.
Concernant le name-dropping, pour chaque référence balancée un peu grossièrement, il y en a genre 15 qui ne sont pas explicitées. Après, on peut regretter l'absence d'une ref au
Cheval de Turin, en effet, mais les références ne portent pas sur la pop culture, et plus précisément les années 80, pour rien. Et pour ma part, le coup du tout premier
easter egg, caché dans le jeu
Adventure, et l'anecdote qui va avec, je ne la connaissais pas du tout. Et c'est justement un exemple de référence "utilisée", qui raconte quelque chose, comme plein d'autres dans le film, qu'il s'agisse de l'utilisation du Géant de fer (qui ne voulait pas être une arme...mais est utilisé comme tel par ses fans) ou de Mechagodzilla (littéralement un faux, une contrefaçon de l'authentique, qui devient donc le robot de choix du méchant) ou bien évidemment de toute la séquence
Shining.
Film Freak a écrit:
Art Core a écrit:
Il s’y passe quand même des choses de dingue dans ce film et sa plus grande surprise c’est sans doute
Sans oublier le coup du
"créateur qui hait sa création" qui rejoint le sous-texte sur le regret et les craintes de Spielberg vis-à-vis de ses films devenus cultes.
Je pense qu'on peut attaquer cette séquence par tous les angles tant elle est riche, fascinante dans ce qu'elle révèle de Halliday le personnage ou de Spielberg lui-même, de son ambivalence, vis-à-vis de l'OASIS, de la nostalgie, de la
fan-attitude, etc. C'est une des séquences les plus osées et surtout les plus chelou de toute sa carrière. Halliday/Spielberg qui plonge les candidats/ses persos dans un film d'horreur cauchemardesque représentant l'enfer du regret dans lequel il vit, ce souvenir le hantant encore aujourd'hui/dans un chef-d'oeuvre autrement plus considéré que les films de la pop culture qui parcourent le reste du récit et par lequel il punit donc ses persos nostalgiques (dont un qui n'a pas vu le film et qu'il choisit de suivre). Pffooo...c'est vertigineux en effet.
Enfin bref, si j'avais déjà été séduit par la première vision au point d'accepter de sortir avec, c'est cette deuxième vision qui m'aura fait tomber amoureux du film. Chaque détail même infime de la mise en scène me stimule, comme toutes ces passerelles entre réel et virtuel, comme ce plan évidemment :
Mais également celui-ci, tout aussi zemeckissien :
La main à la fois reflet et ce qu'il voit... Montrer sur le devant de la visière, ce que l'utilisateur voit à l'intérieur, notamment les visages, c'est une excellente idée.
Mais il y en a mille autres, comme l'hologramme de Parzival dans le monde réel (dont l'aspect déstructuré, fantômatique, un peu comme la projection holographique des vidéos maisons du passé heureux d'Anderton dans
Minority Report, souligne l'intangibilité, sa nature condamnée à n'être irréelle), suivi de ce champ-contre-champ entre deux réels séparés par des kilomètres (à la
The Last Jedi), ou encore le coup des masques de visages réels par-dessus les avatars pour faire croire au réel alors qu'il s'agit d'une simulation...que c'est riche putain.
Nul besoin de forcer mon enthousiasme...par contre, certains devraient se forcer à voir un peu au-delà des apparences et à réfléchir à un film.
À bon entendeur,
fuck you.