Bon, ça y est! Je l'ai vu.
Je retire ce que j'ai dit sur l'humour de la bande-annonce (au final, le film nous propose toujours un humour très différent de celui de Hergé (au niveau de son efficacité et de son exécution en tout cas), mais Spielberg reste dans la veine délirante qui lui réussit si bien... mis à part certains moments ou il frôle le too much qui ne lui réussit pas).
Je retire également ce que j'ai dit sur le procédé en capture de mouvement. C'est super bien exploité ici (et aussi bien légitimisé par cette boule lumineuse du générique qui vient donner vie à cet univers dessiné). Les textures sont assez folles aussi. Et les personnages semblent étonnamment hyper vivants. Je n'irai pas jusqu'à dire que ça fait "tableau mouvant", il y a quand même une certaine vulgarité numérique. Mais ça passe bien disons, et ça reste fidèle aux livres. Pour ce qui est du feeling "ligne claire", je ne vois pas trop ce qu'on veut dire par là. Les traits d'Hergé sont respecté, mais en aucun cas on peut sentir la naïveté et la simplicité de son crayon là-dedans. Car au final, tout est bien trop complexe (quand on sait tout l'énergie qui a été mis sur le photoréalisme, ça n'a plus rien de simple, ni de charmant... surtout pas de charmant).
Bon, le film maintenant. En tout cas, on ne peut pas dire que je ne m'y suis pas préparé. Je me suis fait un festival Spielberg cette semaine (avec Duel, et les 3 premiers Indiana Jones). Puis, je me suis tapé hier soir les 3 livres de Tintin qui ont servi a adapter le Spielberg. Ça m'a permis de mixer les deux univers dans ma tête. Et le tout se mélange super bien. Malheureusement, j'ai été sacrément déçu par le véritable mélange. Peut-être que Spielberg était trop conscient que le mélange était voué à être harmonieux. Il a peut-être voulu rajouter des éléments pour relever encore plus le produit. Mal lui en prit si c'est le cas. Il y est allé trop fort.
Pour la première fois, je me retrouve devant un Spielberg pour lequel je connais l'univers par coeur avant même de le découvrir. D'emblée, je me suis donc retrouvé a l'extérieur de l'objet en train d'analyser le travail de mon réalisateur préféré. Plus que jamais, j'ai pu me rendre compte du fonctionnement Spielberg, de ses grandes qualités, et de ses failles. Cela a nuit à ma découverte du film en quelque sorte. Peut-être qu'en le revoyant, il passera mieux. Mais je ne peux pas fermer les yeux face aux grosses lacunes du film qui m'ont empêché de le savourer de la même façon que je savourais les albums la veille.
Donnons à Hergé ce qui lui revient. Il n'avait pas son pareil pour raconter une histoire de A à B à C jusqu'à Z. Et je croyais que Spielberg avait cette même capacité lui aussi. Mais j'ai l'impression que la technologie "performance capture" donne des idées de grandeur à ceux qui la touche. Zemeckis y a succombé avec son Christmas Carol qui s'écroulait sous le poids d'un ego trip techniquement libéré des contraintes d'un tournage nature. Et Spielberg a eu malheureusement envie de jouer au roi du monde lui aussi. Pas un seul plan du film échappe à son contrôle. Pas un seul moment. Le film est sous le joug d'un tireur de ficelles complètement fou (1941 style). Et au bout de 30 minutes, pour moi le film s'était déjà étouffé dans ses ficelles. Il était mort avant même de pouvoir s'envoler. Bon, il y a bien quelques scènes ici et là qui m'ont redonné le goût de m'intéresser au récit (la séquence Castafiore, le flashback sur le chevalier de Haddock), mais le problème est que Spielberg semble beaucoup trop s'intéresser aux moments de bravoures, et pas assez au récit. Et c'est la différence entre Hergé et Spielberg sur Tintin. Stevie a le cerveau hyperactif carrément en ébullition. Ça lui a très souvent servi a mobiliser adroitement son énergie à renouveler sa mise en scène. Et Tintin n'échappe pas à la règle. Il doit y avoir a peu près une idée de mise en scène à la minute dans ce film. C'est impressionnant! Mais on ne fait pas un film avec des idées de mise en scène malheureusement. Il aurait fallu se restreindre un peu plus et se concentrer sur le récit de sorte à ce que l'auditoire ne soit pas largué. J'ai l'impression que pour la première fois de sa carrière, sa mise en scène devient un jouet qu'il refuse de ménager. En fait je ne crois pas avoir déjà vu Spielberg aussi gourmand à ce niveau, alors qu'il avait toujours réussi dans le passé à lâcher un peu son emprise et laisser ses films exister par eux-même. Là, ça sent le renfermé. C'est complètement mortifère. Et le pire, c'est de se rendre compte du manque de foi de Spielberg envers les spectateurs. Par peur de les ennuyer, il les gave (actions simultanés dans le même plan. Personnages hystériques qui parlent en même temps. Abondances d'informations livrés trop rapidement sans nous laisser le temps d'assimiler) . Et par peur de les perdre, il leur explique tout. Si bien que pendant la première partie du film, nous avons une bonne longueur d'avance sur les personnages (quel ennui!). Spielberg semble trouver le récit embarrassant pour le rythme d'ensemble qu'il veut donner. Et la vitesse à laquelle il se débarrasse du récit est sidérante (avec des dialogues explicatifs dénués de saveur au beau milieu de l'action, et mis maladroitement dans la bouche de personnages-pantins qui ne servent qu'a faire avancer le récit). Il met en place les éléments du scénario d'une façon si fonctionnelle, qu'on se met à penser qu'il ne s'intéresse vraiment qu'aux scènes d'action. Dommage, alors qu'Hergé mettait beaucoup de soin dans la mise en place de chaque petits éléments de ses histoires. Il le faisait avec une grande passion du storytelling. Jamais il ne se laissait aller à la surenchère de détails, jamais il ne voulait épater. Il savait se concentrer sur son récit un élément à la fois, de sorte à ce qu'on prenne le temps de s'émerveiller et de ressentir quelque chose. Il nous laissait bien le temps de suivre ses personnages pour qu'on puisse découvrir en même temps qu'eux les indices et les trouvailles. Jamais on ne les devançait. C'est pourquoi il y avait du mystère et un intérêt soutenu.
Ceci étant dit, je suis prêt à reconnaître à Spielberg un certain génie sur ce film. Il s'agit bien d'une œuvre purement Spielbergienne (à ce propos, le premier plan du film nous y prépare d'une fort belle façon). Le film est chaotique, mais il y a des moments franchement épatant dans ce foutoir. J'avoue que j'ai aimé le délire baroque de certaines séquences. Et la virtuosité du film m'a impressionné a certains moments. La poursuite en plan séquence au Maroc est jubilatoire. Et Spielberg ose des trucs assez culotté (comme de ne jamais juger l'alcoolisme de Haddock, et d'en faire un personnage quasi surhumain lorsqu'il se met à boire. Ce qui n'est pas sans rappeler Popeye et ses épinards). La séquence sur l'avion est d'un délire presque choquant (qui se termine même d'un rot alcoolique dans le carburateur). Mais Spielberg va tellement loin que ça passe admirablement (ce pourquoi j'ai pu avaler toutes les cascades que je n'arrivais pas à comprendre dans la bande-annonce). Tous les flashbacks dans le désert sont hyper bien intégrés également. Et la séquence Castafiore est probablement ma préférée dans son exécution.
Malgré tout, je ne peux m'empêcher de penser qu'il s'agit d'un des Spielberg les plus faibles. Venant du type qui a réalisé Jaws et Raiders of the Lost Ark (2 films responsables d'avoir suscité des passions chez des gamins qui aujourd'hui consacre leur vie au cinéma), Tintin fait vraiment pâle figure. Je ne pourrais jamais mettre 6/6 a un film aussi flou dans sa proposition. Dans son incapacité a nous inspirer de façon directe, émouvante et limpide une idée de cinéma, Tintin n'arrive même pas a surpasser Kingdom of Crystal Skull (qui prenait au moins le temps d'installer un récit et des personnages), ni Hook (qui arrivait a me faire rêver un minimum avec du carton lorsque j'étais gamin). J'ai l'impression que Spielberg a perdu le lien si fort qu'il avait avec son public. A entendre les gens dans la salle à la sortie du film, les gens étaient épuisés pas ce manège:«trop de bang bang paf paf». Et les gamins avaient des gueules un peu dépités et confuses. Vraiment, j'aurais été déçu de traîner mon gosse voir ce film, alors que E.T. avait été mon baptême du cinéma à l'âge de 5 ans. Il me semble que d'habitude, un Spielberg arrive a générer une émotion forte au-delà de sa virtuosité. C'est bien dommage.
Pour moi, c'est un film mineur de chez mineur, dans une filmographie éblouissante.
3/6
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