Il y a un passage, dans Retour vers le futur, après que Lorraine a parlé à Marty dans les couloirs du lycée, où ses copines l'arrachent à son amour impossible et on l'entend dire, complètement ensorcelée, "
Ce garçon c'est un rêêêêve...".
Je ne sais pas ce que donne la performance originale de Lea Thompson mais la doubleuse n'y est pas allé de main morte dans l'emphase - à tendance ridicule pour souligner le béguin adolescent - qui caractérise cette réplique.
C'est un peu comme ça que je suis sorti de ces Aventures de Tintin.
J'ai presque l'impression de ne pas l'avoir vu mais de l'avoir rêvé.
Je parle pas de rêve dans le sens où c'est l'adaptation rêvée du matériau - même si ça l'est un peu - mais parce que le film est comme un rêve éveillé. J'avais déjà évoqué cette sensation après avoir vu Avatar, avec lequel Tintin partage des points communs comme la performance-capture et la 3D, mais c'est d'autant plus pertinent ici de par le procédé choisi pour porter à l'écran le personnage et l'univers d'Hergé.
Allez c'est parti pour l'inévitable intro de recontextualisation à la Bob's School of Writing.
Mon parcours vis-à-vis de ce film a sans doute été assez proche de celui de tout le monde, notamment dans l'incrédulité qui a accompagné le projet. Une incrédulité qui n'a jamais disparu, qui a juste évolué. L'incrédulité au sens propre devant la rumeur ("Ouais c'est ça, je te crois trop, bonhomme"), l'incrédulité au sens figuré suite à l'annonce officielle ("C'est pas possible, j'y crois pas"), l'incrédulité du sceptique concernant le procédé de la performance-capture ("Je crois pas en cette approche"), et finalement les premières images, fixes, puis en mouvement, et le résultat final qui est tout simplement...incroyable.
Spielberg disait avoir lutté pour définir la façon d'adapter Tintin à l'écran, souhaitant rester très proche du dessin d'Hergé mais sans tomber dans de la copie façon Dick Tracy, et il ne voulait pas refaire Indiana Jones, comparisaon de toute façon invéitable, mais encore plus avec un film en prises de vues réelles. C'est après que Zemeckis lui a montré une première version de Beowulf qu'il a élu la performance-capture comme la manière adéquate de transposer l'univers de Tintin au cinéma.
Je me demandais dès le début à quel point ce serait photoréaliste et à quel point ce sera, comme Spielberg et Jackson l'annoncaient dans le communiqué de presse, "real Hergé people"... Est-ce qu'ils allaient juste faire TOUT PAREIL (la houpette, le nez cylindrique sans narines, les deux points noirs en guise d'yeux, bref la ligne claire quoi!) avec une vraie texture de peau ou est-ce qu'ils allaient se permettre genre de rajouter du blanc autour des yeux, des iris, etc...
En gros, ça serait plus proche du dessin d'Hergé, de Monster House ou de Beowulf?
Aujourd'hui, on connaît la direction choisie et chaque aperçu sembler confirmer ce que je peux affirmer aujourd'hui après avoir vu le film, qu'il s'agissait de la meilleure. En tout cas, perso, je suis convaincu. C'est incroyable comme, entre l'inévitable progression technique vis-à-vis des précédents essais et l'intelligence de garder le design d'Hergé et donc de s'éloigner de traits humains trop réels, le rendu est réussi.
Dans l'approche des personnages déjà, cela fait très mature, très réfléchi, notamment dans des détails qui ont dû nécessiter bien des discussions alors que ça peut paraître tout con, comme la couleur des yeux. Les yeux de Haddock, par exemple, sont super impressionnants niveau intensité. Le fait de choisir de faire des yeux bleus, plutôt qu'une autre couleur (vu qu'ils avaient le champ libre à ce niveau), témoigne d'une certaine réflexion concernant l'adaptation à l'écran, le rendu à l'écran, et je trouve le résultat de cette décision assez probant. Et ça vaut pour tout. Yeux, cheveux, couleur, forme, taille... Le travail qui est allé dans la texture est juste sidérant. La PEAU putain...
Non, sérieusement, j'ai mis un temps à m'y faire au début de la projection, non pas parce que c'était mal fait mais justement parce que c'était tellement bien fait, et très vite, tu acceptes que ce sont des vrais gens, ils ont juste des tronches bizarres quoi...
Parce que même dans les décors, c'est super réaliste. C'est pas dur vous allez me dire mais une chose que j'avais remarqué sur Beowulf, c'est que pour s'aligner sur le photoréalisme encore pas tout à fait juste des personnages, les décors et les créatures étaient elle aussi un peu "volontairement fausses" (cf. le dragon qui n'a pas la texture "réaliste" de ceux du Règne du feu ou de Harry Potter par exemple). Ici le photoréalisme des humains est tellement réussi que le reste peut se permettre de l'être aussi. Un photoréalisme qui tend carrément à la peinture hyperréaliste.
Ce n'est pas pour rien que Spielberg dit qu'il ne s'est jamais autant senti peintre et qu'Edgar Wright décrit le film comme une "peinture vivante".
C'est super chatoyant. C'est super vivant, ça rebondit et ça s'envole.
L'animation des corps est remarquable, très réaliste et moins pantomime, sauf pour certains gags qui adopte volontairement une approche en hommage au slapstick déjà prsent dans la BD, notamment dans les poses. Terry Notary, coach de gestuelle qui a bossé entre autres sur Rise of the Planet of the Apes, a également oeuvré sur Tintin et Spielberg évoquait le background de danseur de Jamie Bell qui apparaît effectivement exploité pour rendre au mieux les poses et l'énergie de Tintin par Hergé. Et l'animation fait le reste.
Tout le long, le choix de la performance-capture comme méthode d'adaptation s'impose comme une manière d'obtenir le meilleur des deux mondes. On respecte la palette de couleurs et la charte graphique d'Hergé et on peut modeler le monde à sa façon. C'est notre monde...mais pas tout à fait. Il a une qualité "autre". D'où l'impression de rêve éveillé. J'ai eu du mal à me concentrer durant les 20 premières minutes tant j'étais obnubilé par la rchesse à l'écran, mon oeil furetait dans tous les sens pour absorber tous les détails, comme si j'étais en train de rêver et que je savais que j'allais me réveiller.
Il est impossible que le film mette tout le monde d'accord parce qu'en dépit d'une très grande fidélité à l'oeuvre originale, ça reste Tintin réinterprété au travers de l'oeil de Spielberg. Personnellement, j'y trouve un écho de ce qui me revient en tête quand je pense à la BD. L'ambiance, le rythme, le mystère et le dynamisme, le film noir et le film d'aventures...
Ce qui m'a le plus épaté, c'est la photo. Le travail sur l'éclairage y est pour beaucoup dans le (photo)réalisme des images. Il y a quelque chose d'à la fois très stylisé (très "atmosphérique", comme annoncé) et en même temps de naturel (pas dans le sens "lumière naturelle" mais naturelle dans la manière dont elle tombe sur les personnages). Ca m'a davantage fait penser à la photo (supervisée par Roger Deakins) de Wall-E et Dragons qu'à celle de Robert Presley sur les deux derniers Zemeckis (que je trouve remarquable mais plus - délibérément - "fantastique"). Je crois pas avoir vu Kaminski crédité au générique, par contre, au titre de "Lighting Consultant", on retrouve...Steven Spielberg.
Les mouvements simily-Steadycam et "caméra portée" apportent aussi une certaine dose de véracité. La plupart du temps Spielberg a gardé les limites de la caméra non-virtuelle. Il y a évidemment des plans qui se permettent de passer sous tel truc ou à travers tel truc, parce que Spielberg se fait plaisir quand même, notamment en abusant de mille et un reflets comme il les aime et que l'animation lui permet de multiplier - mais la majeure partie du temps, le cinéaste filme ça comme un film en prises de vues réelles - qu'il a cadré lui-même d'ailleurs, pour la première fois depuis looooooongtemps, la technologie le lui permettant - ce qui là aussi joue vers la crédibilité de l'univers numérique. C'est comme les SFX filmés en arrière-plan dans La Guerre des mondes.
Et ça reste tout de même incroyablement dynamique. Je sais pas pourquoi je m'étonne parce que j'ai toujours trouvé la mise en scène de Spielberg de plus en plus moderne (outre le filmage en strates et 11-septembrien de La Guerre des mondes, je pense notamment au découpage de Minority Report et même au rythme d'Indiana Jones 4), mais ici, peut-être est-ce accentué par les images de synthèse, ce côté "hyperréel", mais je trouve ça vraiment "vibrant" comme on dit en anglais (Google traduit ça par..."dynamique"), bondissant tout le long. C'est pas juste la manière habile de balancer de l'exposition en pleine évasion du Karaboudjan, c'est le tout qui semble avoir une qualité "non-stop" dans l'action qui se fait alors très entraînante. C'est peut-être lié à la fluidité offerte par le numérique.
C'est sans doute aussi ce qui a attiré l'auteur, un mec avec déjà plus de 20 films derrière lui, et qui venait déjà de concrétiser une arlésienne avec le quatrième Indiana Jones. Un mec qui n'a plus rien à prouver mais qui continue de se renouveller. Tintin lui offre l'opportunité "d'expérimenter" avec la nouvelle technologie, ce qui l'a visiblement intéressé vu sa participation aux animatiques des combats de La Revanche des Sith et sa proximité avec Zemeckis avec qui il a produit Monster House, il y a dans la forme un truc qui l'a intrigué, l'a attir, lui qui ne s'est justement jamais plié à ce genre d'exercices liés au numérique et tout et tout. Une démarche artistique qui s'avère fascinante. Entre les mains de Spielberg (et de WETA), ça devient une sorte de Graal (j'ai mal pour Zemeckis, le pionnier, qui revient au film live au moment où la performance capture se voit donner ses lettres de noblesse).
J'aime vraiment beaucoup Le Royaume du Crâne de Cristal, je suis conscient de ses carences mais je l'aime sincèrement et ne le renierai jamais, mais Tintin est en quelque sorte ce qu'Indy 4 aurait dû être.
Déjà, c'est mieux écrit. A la place d'un David Koepp un peu trop carré et appliqué, Spielberg est parti d'ébaucher le talentueux Steven Moffat, qui après s'être illustré dans le milieu de la sitcom (cf. les intrigues alambiquées de Coupling), a accédé à tout autre statut en s'attaquant à des classiques (Jekyll, Sherlock) à tendance geek (Dr. Who) qu'il revisite avec toujours cette incroyable aisance à moderniser le matériau tout en restant fidèle à l'esprit et le tout au cours d'intrigues sans relâche parsemés de dialogues truculents, notamment parce qu'ils s'articulent autour de tandems (le Docteur et son Compagnon, Holmes et Watson) dirigés par un génie de la déduction. Si l'enquête menée par Tintin et Haddock est plus simple que celles dont Moffat a l'habitude, la dynamique ci-présente ne déroge pas à la règle.
Je sais pas si je parlerai de faiblesse pour le premier acte, parce que j'étais sous le charme tout le long, mais il est évident que le récit gagne en altitude dès l'arrivée de Haddock. Jusque là, ce n'est pas que c'est plus mou, parce qu'à y regarder de plus près, tout va très vite, l'intrigue commence dès la première scène et les séquences s'enchaînent très rapidement, ne laissant aucun temps mort. Non, c'est juste que sans Haddock, Tintin passe son temps à parler à son chien (ou à parler tout seul), à base de "bon sang mais c'est bien sûr!". Et l'absence d'un véritable interlocuteur se fait ressentir, comme Hergé a dû le ressentir avant de créer Haddock.
A l'instar des rares autres bémols du film (comme l'humour parfois un peu trop puéril), ça provient directement de la BD.
Tintin a toujours été aussi neutre que possible, tant dans le dessin que dans la caractérisation du personnage, de manière à ce que le lecteur puisse s'identifier à lui, se projeter à sa place dans l'intrigue. C'est un protagoniste qui n'a pas d'arc (rôle qui échoit davantage à Haddock en fait, c'est son Histoire qui guide l'histoire, sa dignité à réclamer, son alcoolisme à vaincre...) et il n'est jamais aussi pertinent que lorsqu'il est face à autrui et qu'il doit ruser ou aider. Tout seul, il n'est pas très intéressant, d'où certaines scènes du premier acte où l'exposition est moins habile que par la suite où elle figure soit au cours de l'action (la rencontre Tintin/Haddock et la fuite du Karaboudjan, géniales), soit elle devient l'action (le flashback sur la Licorne, juste fabuleux).
Tintin est ici une sorte de vecteur presque abstrait (cf. comme Sakharine en a rien à foutre par exemple), c'est presque un deus ex machina qui vient aider les autres personnages (les Dupondt, Haddock), c'est Joséphine Ange Gardien. Ou E.T.
Disons que je vois parfaitement ce qui a pu intéresser Spielberg dans cette figure d'enfant-roi, orphelin qui n'est rien tant qu'il n'est pas entouré d'adultes, et qui se recompose une famille (Haddock le père, Tournesol la génération au-dessus) afin de les aider. Il est autant Indiana Jones (l'enfant-roi dans L'Arche Perdue) que Demi-Lune (l'enfant qui doit ramener le père à la raison dans Le Temple maudit).
Et au-delà du fait qu'il s'agit du plus célèbre dyptique de la série, Le Secret de la Licorne/Le Trésor de Rackham le Rouge est aussi une histoire de retour aux origines, de filiation, de foyer restitué...autant de thématiques spielbergiennes, soulignées ici (cf. la réinterprétation du personnage de Sakharine).
Bon sinon, pour donner davantage dans l'énumération pragmatique au niveau de l'adaptation, que dire?
Sakharine devient une sorte de Belloq auquel Craig donne une bonne performance, dans la posture un peu old school de vieux bad guy aristo, avec la voix un peu nasillarde de connard.
J'ai trouvé les Dupondt vachement bien, présents juste ce qu'il faut et pas trop lourdingues dans l'humour, comme Milou.
A ma grande surprise, Filoselle est super attachant, avec quelques minutes à peine de temps à l'écran.
Allan et Tom sont basiques. J'ai été un peu déconcerté apr la voix d'Allan que j'attendais plus grave.
Omar Ben Salaad, c'est à peine un cameo. Elmaleh dit genre une phrase, le reste c'est du mimie mignon de vieux cheikh arabe.
Y a une autre apparition qui peut tenir du fan service mais que dont je trouve l'inclusion dans l'intrigue assez amusante.
La réorganisation des intrigues des 3 albums est plutôt pertinente d'ailleurs.
Comme je l'avais jadis pressenti, on commence avec Le Secret de la Licorne, qui est le gros de l'intrigue, l'enquête quoi, qui se fond alors dans Le Crabe aux pinces d'or, qui amène Haddock et les principales préipéties, et Le Trésor de Rackham le Rouge passe globalement à l'as, avec juste l'épilogue repris, avec une légère entorse que je trouve pas forcément utile.
Mais sinon, il y a là aussi une vraie intelligence dans la réappropriation des BD, dans la manière de rendre cette évolution organique. C'est pas l'oeuvre d'un puriste et c'est pourtant jamais infidèle. C'est vraiment trahir pour mieux servir.
Bon voilà, je sais pas quoi dire d'autre, je me suis déjà bien étalé là...
C'est un film super dense, formellement, narrativement, ça va à toute allure, c'est bourré de détails, d'idées visuelles géniales, de plans iconiques à tomber, de scènes d'action à couper le souffle avec des plans-séquences d'enculé...
C'est drôle, ça s'arrête jamais, vraiment, j'étais sous le charme, et ce dès le générique quelque part entre la BD, Catch Me If You Can et La Panthère rose...ça annonce tout de suite la couleur. C'est une adaptation d'un truc jugé inadaptable avec beaucoup d'Histoire derrière soi et pourtant rarement aura-t-on senti Spielberg plus libre, dans le ton, dans ses mouvements de caméra...un bonheur.
6/6