J’ai enfin le temps de développer un peu.. J’ai trop laissé murir donc ce sera un rattrapage de quinze jour un peu en vrac.
Bon j’ai trouvé ça très beau donc. Je tiens à préciser que je n’y connais rien à la BD et que je ne suis en aucun cas un vendu à Nolan. Je n’aime pas trop Memento et Insomnia, j’aime bien Le Prestige et j’aime beaucoup Begins… Mais là c’est quand même autre chose. Mr Chow se demande quel est le style de Nolan, je peux comprendre cette interrogation mais c’est un peu mettre en avant l’auteurisme, s’arrêter au style et ne jamais regarder le film pour ce qu’il est, toujours attendre de reconnaitre le réalisateur dans tel ou tel plan. Je crois en certains auteurs mais pas en l’auteurisme. Pourtant je trouve que l’atmosphère éthérée des précédents Nolan est bien là, et poussée encore plus loin, les personnages suffoquent dans ce film. Bref, je trouve que ce film a du style, mais oui il ne se démarque pas à chaque plan en étant marqué au fer rouge par le label du cinéaste ; et c’est tant mieux. Avoir du style pour avoir du style est ce qui m’énerve le plus au cinéma, les cinéastes qui pensent leur style avant leur film m’insupportent (cf Atonement). Mais cette interrogation méritait d’être posée car c’est récurrent de lire ceci lorsque des cinéastes ne possèdent pas un style tape à l’œil, il faut régulièrement de l’emphase dans la mise en avant stylistique. Pourtant, un style ne peut se réduire à des plans car la méthode narrative compte pour beaucoup également (sinon le cinéma américain classique n’aurait pas eu autant de grands noms, et Joe Dante se confondrait avec n’importe quel « faiseur » hollywoodien, bref). Ici Nolan se démarque aisément, ce qui permet de faire le lien que Chow a fait avec les séries, ce qui me semble assez juste mais aussi très ressassé.
Pourquoi j’aime ce film donc ? J’avoue que c’est assez difficile à définir… je pourrais me contenter de dire que c’est le divertissement émergeant de l’industrie le plus jubilatoire depuis très longtemps (aucun film ne me vient en tête). Oui le film est noir et douloureux mais demeure un divertissement, et c’est ce qui est beau. L’aspect divertissement ne vient pas servir de prétexte pour contrecarrer la noirceur de l’objet. Nolan nous montre qu’il y a matière à travailler l’objet divertissant, que ce n’est pas un problème. Toutefois ce n’est pas gratuit, car cette noirceur est belle et bien le sujet du film, on ne sombre pas, comme ont pu le dire certains, dans une noirceur facile. On a trop tendance je crois à séparer la noirceur et le récit ; d’un côté il faudrait s’attarder sur les personnages et leur psychologie, et de l’autre on s’en désintéresse pour offrir un simple spectacle jubilatoire… Ici on a la preuve que l’agencement est possible. TDK conserve son statut de film d’action mais l’effet est retravaillé… nul besoin de voir Batman pleurer comme une madeleine pour modifier l’effet. Le récit est contaminé de l’intérieur, et c’est sublime. Les actions de Batman sont contrecarrées, mais pas nécessairement sa personne, Bruce Wayne a même tendance à être absent de cet opus et c’est totalement logique. Donc la première qualité du film pour moi c’est qu’il ne se nie pas ; Batman demeure un symbole et ne sera pas humanisé outre mesure, c’est par l’action qu’émerge la souffrance. La superficialité conservée, ce ballet de personnage en devient bouleversant. Une grande justesse pour moi.
Ensuite j’aime car je crois énormément en l’acteur en général, il est vecteur de grandes choses. Un cinéaste inspiré par son acteur a peut être fait 50 % du travail de réflexion sur son film. Il est inutile de dire que Nolan est fasciné par Heath Ledger, il le filme différemment des autres, le laisse s’exprimer, tout est travaillé autour de ce personnage… même le son qui amplifie le passage de la langue sur les lèvres, c’est sublime comme ce film fait se rejoindre la grande et la petite forme, du spectaculaire au détail sensoriel fondamental. C’est très rigoureux et affecté. Ce qui a mis Ledger dans un état pareil ? Je ne sais pas, mais je crois que ça ne se joue pas totalement (attention je ne renforce pas la thèse du « le joker a tué Ledger »)… Ca me fait penser à ce que disait Elia Kazan pour Sur les quais, il expliquait que le seul moyen de faire passer la dureté du milieu et du travail sur les docks, c’était de faire en sorte que Marlon Brando ait froid et qu’il ne veuille pas sortir de sa loge pour aller tourner… Il expliquait que l’inconfort d’un acteur était quelque chose de précieux et de trop rare à Hollywood. J’ai totalement ressenti ça devant le film, on sent que le tournage fût éprouvant, je pense que le joker est dérangeant car Ledger a souffert et beaucoup donné de sa personne. Et encore une fois cela colle parfaitement avec le reste du film, le joker qui vient révéler la noirceur cachée sous le beau lisse… le joker est générateur de tout dans ce film, du récit à l’émotion. Il abat autant qu’il donne à agir. Il est le metteur en scène morbide de Gotham. Il est la clef du film à mon sens.
Comme le disait notre Godard national, lorsqu’il parlait de L’homme de l’ouest de Mann, dans tout film pensé et construit il faut trouver la clef, un plan, ou une séquence, qui contient en son sein tout le film (ce n’est pas une citation hein, je schématise). Ici je pense qu’il y en a beaucoup, mais je mettrais en avant la séquence de l’hôpital, forcément. Le travelling durant lequel le joker avance avec les explosions qu’il a provoqué derrière lui. Une des rares fois où le mouvement de caméra devient ostensible, où on décroche du corps, où le corps n’est plus seul, la destruction à l’arrière lui appartient totalement et lui colle à la peau. Pourtant il est seul, personne ne vient l’arrêter. Il est tout puissant.
Cette toute puissance il la vole à Batman (une séquence au départ indique bien qu’il la possède). Le film est donc toute cette mécanique de la rupture du héro, du système bien huilé du Batman. Il fait réfléchir le héro… mais cette réflexion passe par l’action, car le film est une des œuvres où le off est le mieux géré depuis longtemps. Par exemple, lorsque Batman fonce sur le joker en moto, il s’acharne à n’être pas ce qu’il est mais cèdera. Cette action implique une réflexion faite sur lui-même, mais le récit l’incarne, et non un long dialogue explicatif. Je reviens donc sur le fait que le film ne se nie pas, c’est cette fonction du récit, cette manière de le travailler tout en le respectant qui fait de TDK un divertissement comme j’en ai rarement vu.
Le joker vole donc cette puissance, la peur change de camp. Toute la structure narrative du film incarne cette idée de puissance… du montage brouillon du départ, qui appuie sur le côté fantomatique de Batman, aux multiples ellipses non explicatives que Zad trouve ratées. Je peux comprendre mais moi je trouve ça sublime… Rachel et Dent kidnappés alors que le joker est prisonnier, un homme s’avance pour battre le joker puis quinze seconde plus tard on retrouve l’homme pris en otage par le joker… comment ? C’est incohérent et la finalité est bien là, c’est cette structure quasi fantastique qui donne au joker toute sa puissance, qui vient renforcer l’aspect dérangeant de son apparence… non ce n’est pas un bouffon. Batman croit le contrôler en le frappant mais le joker donne l’impression de se tenir entre chaque image, de prévoir et de tout mettre en scène. Il est juste indomptable. Chaque séquence du film nous avance un peu plus vers la perte de contrôle de Batman, le récit noir est d’une logique implacable pour moi.
Le gentil contre le méchant, un entre deux qui rend la chose un poil plus complexe (Double face). Une histoire vieille comme le monde, et elle est respectée, pas tant altérée que ça par une soit disant modernité qui veut que chaque image d’un film noir offre une douleur ostensible.
Je ne trouve pas le film politique, je suis étonné de voir que la conversation part dans ce sens. Je suis d’accord avec Scythe, c’est avant tout un grand film d’action (le grand est de moi, pas de scythe). Oui il y a une réflexion sur le pouvoir, mais celui lié à la figure du film, c'est-à-dire le Batman, je n’y vois pas trop une parabole de la politique actuelle. Si c’est le cas c’est très basique donc je préfère me convaincre du contraire.
Un film post 11 septembre ? Je ne crois pas. Une allusion assez claire dès le premier plan avec ce travelling vers une tour entièrement vitrée… hop une vitre explose, le mal vient de l’intérieur, emballé c’est pesé. Peut être un film sur l’insécurité en général… mais je crois plus que c’est un film sur la perte de pouvoir de Batman et de son combat pour le récupérer. C’était une parenthèse.
En ce qui concerne la fin et lequel des deux gagne… je dirai que c’est le joker mais c’est compliqué. Batman est obligé de devenir le joker en quelque sorte, de se faire passer pour celui qui fait régner la peur. Le joker est donc plus que présent dans le choix de Batman.
Donc en gros, un sens du récit que je trouve bluffant, Nolan ne se fixe pas que sur le spectaculaire et la technique car il pense son sujet d’un point de vue narratif. D’ailleurs, comme je l’ai déjà fait remarquer, le spectaculaire ne me semble pas du tout gratuit (cf le plan de l’hôpital), il accompagne le dessin des personnages. Il illustre une idée de fiction pure. Le joker n’est que fiction… il est une machine à fabriquer de la fiction. Il est le seul être libre de Gotham. Des séquences sublimes incarnent ceci ; lorsqu’il a la tête hors de la voiture, au ralentit, il respire, lui. Même à la fin, pendu par les pieds, il conserve le contrôle. On a l’impression qu’il flotte, il semble aérien et fantomatique (ce qu’il a volé au Batman, qui devient plus lourd au fur et à mesure que le film avance… il souffre, il a le corps marqué par ses sorties nocturnes). La caméra adopte l’aura que doit avoir le personnage. Il est là, je crois, le style de Nolan qui colle parfaitement avec ce type de production. Il aime ses acteurs et ses personnages. Exemple con qui ne sert à rien : Un mec comme De Palma n’aurait jamais pu rendre cette raideur ambiante présente dans le film. Cette œuvre lui colle à la peau à mon sens. Bref.
Ce que je n’aime pas. Encore des blagues à la con lors de la poursuite dans la ville. Lourd.
La fausse mort de Gordon me laisse perplexe.
Bon je vais arrêter car ça va faire trop long pour pas grand-chose… je ne pouvais pas prendre le temps d’écrire ces deux dernières semaines donc tout s’est accumulé. Il fallait que ça sorte. Pour moi c’est une sorte d’idéal, ce que j’ai vu de mieux dans une sphère cinématographique qui ne me parle que trop peu souvent. Voili voilou.
Bon j’avais mis 5/6 à la première vision. J’ai mis 5/6 à Begins et je préfère celui-ci… je ne sais pas trop. Dans son genre il est à 6/6 c’est clair… et puis j’ai envie de faire chier Zad, Karl et Scythe, hop je mets 6/6.
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