En me demandant de quelle manière commencer ce message, ma première pensée fut qu'il me fallait précéder mon avis d'un avertissement et j'ai soudainement pris conscience de la triste réalité : Christopher Nolan génère un tel antagonisme de la part de ses détracteurs que j'en viens à entamer la critique de son nouveau film comme je le fais pour un film de Michael Bay.
Je ne sais pas si
Interstellar réconciliera ces gens avec le cinéma de Nolan. On peut sans doute lui reprocher certaines des mêmes choses qu'avant, comme une propension à trop verbaliser certaines idées, et cette impression de "rouleau compresseur" que j'ai pu voir vulgairement évoquée dans l'avis de plusieurs personnes concernant ses précédents films est probablement plus là que jamais, mais je dois avouer que, pour ma part, j'ai adoré me faire écraser par son dernier opus.
Même sur le simple écran pas gigantesque du Gaumont Marignan, projeté en pellicule dans sa copie 35mm (déjà abîmée, ce qui est incroyable, vive la projection numérique putain),
Interstellar m'a nanifié.
Tout le long, même lorsque l'on est encore sur Terre, le film n'a de cesse de rendre l'humain tout petit, de le mettre face à l'insurmontable, qu'il s'agisse du tempête de poussière qui s'élève au-dessus des gradins d'un stade de base-ball (il aime bien les catastrophes qui perturbent les matches de sports américains typiques, le père Nolan) aux obstacles rencontrés par delà les étoiles sur les lieux où se rendent nos héros.
Évidemment, l'infiniment grand que représente l'espace est l'obstacle ultime pour l'Homme, la
"final frontier" du générique de
Star Trek, série optimiste sur un équipage partie pour une mission exploratrice de 5 ans. Et c'est avec ce même optimisme que le récit renverse la donne, en faisant embrasser à l'Homme cet infiniment grand-ci, pour sa propre survie.
Le romantisme du film, dans sa profonde conviction que l'exploration (spatiale) est l'avenir de l'Homme, est palpable à travers tout le film. Il nourrit directement l'optimisme qui se fait le moteur du film, et ce malgré chaque nouvelle situation désespérante. Le programme du film réside là-dedans, jusqu'à la dernière image. En cela,
Interstellar poursuit sur la lancée d'
Inception et
The Dark Knight Rises l'évolution du cinéma de Nolan du pessimisme vers l'optimisme.
En mettant en perspective les choix faits par ses protagonistes dans
Memento,
Insomnia ou
Batman Begins et
The Dark Knight, j'étais persuadé que Cobb choisissait de se complaire dans l'illusion à la fin d'
Inception, mais après avoir la fin de
The Dark Knight Rises et en recoupant d'autres indices laissés par Nolan dans le film, je me suis rendu compte que Nolan avait entrepris sa guérison en même temps que son personnage et qu'il se permettait des issues cathartiques pour ses héros désormais.
Par conséquent, depuis
Inception, le cinéma de Nolan s'est également fait plus ouvertement émouvant, abandonnant notamment ses conclusions glaçantes, à l'émotion intellectualisée, pour de l'émotion pure, et cette évolution culmine ici, avec des scènes qui m'ont juste dévasté émotionnellement.
L'intégralité de la scène entraperçue dans le tout premier teaser, avec Cooper en larmes au volant, encapsule tout le film. Nolan met toute l'importance du départ dans cette scène, délaissant complètement la séquence à laquelle tout autre film aurait consacré le plus gros de son temps, et filme ce départ comme la véritable séparation avec notre foyer qu'est la Terre.
Certaines critiques US ont reproché au film son sentimentalisme mais je n'ai jamais trouvé ça déplacé et ça a marché à merveille sur moi. C'est taillé sur mesure pour ma pomme, clairement, mais c'est aussi totalement le coeur du film. Le coeur. Parce que derrière tout le verbiage, lui aussi réprimandé par ces mêmes critiques, c'est ce coeur qui bat à travers tout le film. Derrière la vulgarisation scientifique digne de Crichton, il y a tout ce discours sur la place de l'amour dans la science.
Dit comme ça, ça peut paraître complètement con, mais c'est presque une réflexion de Nolan sur son propre cinéma. C'est amusant de voir d'ailleurs quel personnage Nolan choisit de transformer en
comic relief.
On dirait un pied-de-nez à ceux qui lui reprochent d'être trop cérébral.
En choisissant l'univers le plus loin possible de l'humain, l'espace noir et froid et vide, c'est comme si Nolan avait besoin de se priver ainsi pour laisser son coeur parler. Dans l'espace, personne ne vous entend pleurer.
Tout le cinéma de Nolan s'articule autour de la perte de l'être aimé et Cooper est à nouveau un veuf typiquement nolanien même si, dans le cas présent, l'objet de son obsession n'est pas de venger sa femme (comme dans
Memento,
Le Prestige et
The Dark Knight) mais de retrouver sa fille (comme dans
Inception, y a vraiment un avant et un après ce film). Ou plutôt la sauver. C'est
Armageddon sans l'aspect "sauvons le monde" de blockbuster de base.
Et cet objectif n'est évidemment qu'un prétexte.
Bien que Nolan ait dit qu'
Interstellar était une exploration externe là où
Inception était une exploration interne, c'est seulement en surface. L'exploration spatiale n'est qu'un McGuffin pour une exploration humaine. Qu'est-ce qui nous anime, en tant qu'humains?
À ce titre,
Interstellar réussit ce que
Contact et
Sunshine peinent à incarner à mes yeux, dans l'émotion du rapport père/fille pour le premier, notamment dans son dernier acte bien moins
underwhelming (même si je l'avais vu venir), et dans l'étude de la nature humaine de l'équipage pour le second, qui passe parfois par les mots mais aussi par les actes et transpire surtout visuellement, au travers des décors notamment.
Comme dans
Inception ou la prison de
The Dark Knight Rises, les décors ont une portée théorique, reflets d'une thématique ou d'un personnage.
Le cinéaste favorise les narrations éclatées - et le film témoigne une fois de plus d'une véritable science du montage parallèle, l'écriture et la mise en scène appuyant la force des événements au travers de cette simultanéité - et pour cause, son obsession majeure semble être le dialogue entre les temporalités, entre passé et présent. C'est pourquoi ses films sont faits de flashbacks et d'allers-retours dans le temps, parce que le passé informe le présent, parce que, comme il est dit dans
Batman Begins,
memory is poison, la mémoire est traître, la mémoire est moteur de nos actions. Dans
Inception, il avait carrément diégétisé cet aspect en faisant de la mémoire un fantôme capable de se manifester, de prendre une forme physique. Ici, il est à nouveau question de fantôme et Nolan diégétise une fois de plus ce dialogue entre passé et présent, d'une autre manière.
Le film a une facture narrative très classique mais peut se faire relativement peu
user-friendly dans le temps qu'il prend pour traiter ses thèmes et détourner le principe de
set-piece. Je ne nierai pas un léger ventre mou mais j'étais toutefois fasciné tout le long par ce voyage interstellaire, avec son parti-pris encore plus jusqu'au-boutiste que
Gravity sur le son, ses designs galactiques conçus à partir d'équations scientifiques authentiques, et je me réjouis déjà de le voir en IMAX 70mm à Londres dans une semaine pour une immersion totale.
Il faut voir ce passage auprès de Saturne et les choix inattendus de la bande sonore.
D'ailleurs, Hans Zimmer n'avait pas menti, sa composition pour
Interstellar n'a rien à voir avec ces précédentes partitions pour Nolan. L'artiste confère toute sa majesté au film en troquant les cordes pour l'orgue d'église, confinant l'expérience au divin. D'ailleurs si, il y en a un bon de set-piece à un moment, avec une séquence d'amarrage absolument incroyable, en partie grâce à la zique tonitruante qui d'un coup explose avec des coups d'orgue qui renvoient presque davantage à du synthé '80s genre Tangerine Dream qu'autre chose. Des frissons, putain.
Des frissons, des larmes, des idées. Cette idée d'une conviction qui traverse les générations, se transmet de pères en filles, assure la perrenité de l'Humanité. Brutalement honnête, empreint d'une certaine noirceur dans la tristesse néanmoins contrebalancée par cette rage optimiste lancinante, au même titre que le poème de Dylan Thomas (un peu trop souvent) rabâché tout le long,
Interstellar est d'une densité et d'une beauté, dans le fond comme dans la forme, absolument terrassantes.