"Tintin" est sûrement l'un des films que j'ai le plus attendu dans ma vie. Voire le film que j'ai attendu le plus, à vrai dire. Je ne me suis jamais considéré comme "tintinophile", ni comme "spielbergophile", mais j'ai toujours salivé en imagineant l'adaptation de la bande dessinée d'Hergé par le réalisateur d'Indiana Jones ... Et ça date, je m'excitais déjà pour la moindre rumeur bien avant le début de mon parcours de cinéphile. Cela faisait des mois et des mois que je l'attendais comme le messie. Aujourd'hui, je l'ai enfin vu.
Et je mentirais si je disais que j'ai été à fond tout le long du film. Pour autant, est-ce une déception ? Non. Je vais décerner au film la note maximale, avec une certitude inébranlable, comme ça l'a été pour finalement peu de films cette année. J'ai été enthousiasmé, et surtout impressionné, par à peu près tout, de la mise en scène soufflante de vivacité à la finesse de l'écriture, en passant bien évidemment par la performance capture, splendide et chatoyante. Mais je l'ai presque été un peu trop, d'une certaine manière. "Tintin" m'a donné beaucoup de plaisir mais m'a aussi assez stressé. D'abord, j'étais une petite boule de nerfs sur mon siège au moment où les lumières se sont éteignées, ça ne m'a pas aidé à envisager le film sereinement. Et puis, mis à part ce petit détail, c'est quand même film hautement intimidant, c'est même très franchement le film le plus intimidant que j'ai vu cette année, devant "Tree of life" oui, qui me paraissait plus balisé (c'est dire !). Devant "Tintin", je me suis senti assez écrasé par toute cette virtuosité, jamais gratuite et toujours au service du récit, mais qui éclate jusqu'à l'aveuglement. Je me suis senti perdu. Devant la bataille navale ahurissante, et le très plan-séquence dément (le plan de l'année ?), je ne me sentais pas collé aux basques du Chevalier de Hadoque ou de Tintin, je ne me sentais pas non plus totalement spectateur de cinéma, j'étais entre les deux, tiraillé entre l'envie de plonger dans ce décor de pixels, et celle de me poser, seul sur mon siège, pour réfléchir calmement à ce qui se passait à l'écran, et puis pour me pincer, aussi (je rêve ? Non.). Après la séance, les images ont mis un certain temps avant de me revenir en tête (et elles continuent toujours à revenir peu à peu à l'heure où j'écris cet avis). A la fin du film, c'est comme si j'avais tout oublié, si rien ne s'était imprimé dans ma mémoire. Trop d'images, trop de sons, trop de détails. Un flux démentiel d'informations.
J'essaie de me souvenir d'autres films qui m'ont procuré la même sensation à la première vision. J'en trouve peu. "Playtime" m'avait fait cet effet. J'avais été franchement sidéré mais sans pouvoir dire ensuite précisément ce qui venait de se passer à l'écran. Des choses qui bougent, souvent mystérieusement, des arrières-plan qu'on n'arrive pas à saisir, et de l'excès et de l'audace, partout partout. Dans les deux cas, sans avoir été à fond et toujours en ayant eu la sensation d'être assez distant des péripéties visibles à l'écran, les deux heures ont passé à une vitesse folle. Les 107 minutes de Tintin sont probablement les 107 minutes qui ont passé le plus rapidement cette année. On a parlé de surenchère de scènes d'action ; c'est pour moi assez mensonger. Il y a de l'action, c'est sûr, il se passe toujours quelque chose. Mais on n'enchaîne pas course-poursuite sur baston sur course-poursuite sur fusillade sur ... Etc. Il y a des respirations (notamment au début, et avec le très bon personnage de Filoselle), n'en déplaise à ceux qui ne voient là dedans qu'une grande scènes d'action géante et ininterrompue. Si vous relisez la bande dessinée, vous verrez que Tintin est rarement posé quelque part. Lorsqu'il n'est pas en mouvement, c'est son cerveau qui carbure. Je pense que c'est le passage de la BD (et de son trait fin, lisible et épuré, et de son découpage sage et posé) au cinéma (et de sa richesse du détail, et de ses vingt-quatre images par seconde) qui a décontenancé un public qui s'attendait à trouver un film gentil et mignon comme une photo de Robert Doisneau.
Spielberg vient ici de réaliser un grand film, mais je persiste à croire que Tintin est une bande dessinée assez inadaptable si on cherche à l'embrasser tout entière. Il faut faire des choix. Il faut un point de vue. Podalydès aurait pu faire le "Tintin de Podalydès", en mode "Bijoux de la Castafiore". Spielberg a ici choisi de faire le "Tintin de Spielberg". Sa culture américaine l'a naturellement poussé vers les premiers albums, plus orientés vers l'aventure pure que les derniers, qui explorent aussi d'autres terrains. On est finalement pas trop dans l'esprit de la série au moment du "Secret de la Licorne", on est presque plus proche de "L'oreille cassée", avec ses rebondissements incessants et improbables à chaque coin de page. C'est pour ça que les critiques qui reprochent au film de manquer d'émotion me semblent à côté de la plaque. La série contient finalement peu de moments authentiques d'émotion telle qu'on l'entend souvent. Il y a Tchang, il y a Wolff dans "On a marché sur la Lune", et c'est à peu près tout. Rien de déchirant, pas de conflits intérieurs. Les relations humaines montrés par Hergé se résument à de l'amitié pure et indéfectible. Comme celle entre Tintin et Haddock bien sûr, qu'on retrouve ici pleinement dans l'adaptation par Spielberg, grâce au scénario mais aussi grâce aux très bonnes performances des deux acteurs principaux, qui incarnent les personnages jusque dans les gestes (Jamie Bell donne réellement des coups de poing comme Tintin !). Cette amitié est vraie, cette amitié est réelle, on la ressent. Je ne trouve pas ça froid.
Dans la bande dessinée, l'émotion à proprement parler est celle de l'appel à l'aventure. Tintin est un personnage prétexte pour l'aventure, la vraie. Un prétexte pour déballer décors magistraux, méchants mégalomanes, énigmes et rebondissements, scènes de bravoure. Quand j'étais enfant, je me moquais de ne rien ressentir pour Tintin. De mémoire, je n'ai jamais non plus voulu devenir Tintin plus tard, et parcourir le monde comme un reporter accompagné de mon chien fidèle. C'est pour ça que, d'une certaine manière, la distance que j'ai ressenti en voyant le film me parait assez proche de celle que je ressentais en lisant la bande dessinée. Ca se lit d'une traite, c'est prenant au possible, mais je n'ai pas les tripes nouées, je n'ai pas le coeur qui bat à 100 à l'heure. Je trouve ça cool, monstrueusement cool, et c'est déjà beaucoup. J'adore les intrigues, l'univers, les personnages, les détails. Et c'est tout ce que j'ai retrouvé dans le film. C'est en cela que l'adaptation par Spielberg est hautement fidèle. Le ton de la bande dessinée est ici retrouvé à la perfection. Je dirais presque que le film est trop fidèle d'ailleurs, j'ai l'impression que Moffat, Wright et Cornish n'ont pas trop osé lâcher la bride. C'est peut-être dû au fait que ça soit le premier volet d'une trilogie. S'il avait été pensé comme un one-shot, on aurait peut être eu droit à plus de personnages, plus de références aux autres albums, plus de tout, quoi. En l'état c'est un peu sage de ce côté là, je pense que je serai très frustré si le deuxième volet n'est pas lancé ... La toute-fin est d'ailleurs décevante, on est pas dans la vraie fin définitive, mais pas non plus dans le lancement d'un second film. Ça manque d'affirmation, de confiance. Ce doute relatif ne se retrouve que dans une seule autre chose dans le film : la musique, ici franchement peu inspirée. C'est le vrai bémol du film pour moi.
Enfin, ces réserves secondaires eprésentent finalement bien peu face au courage et à l'audace de Spielberg et de son équipe ... Ils sont arrivés cash avec une proposition risquée et bancale, et ils ont réussi l'impossible. Tintin respire à nouveau !
6/6
(revision indispensable en VF très bientôt, j'en reparlerai)
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