Jerzy Pericolosospore a écrit:
Donc, dans tous les cas de figure, les gens ne sont jamais "par nature" ou "spontanément" égaux devant la consommation des objets culturels ou symbolique. Ce "même rapport impersonnel" au cinéma, ou autre, qui serait partagé par toutes les couches "culturelles" (elles sont socio-économiques avant d'être "culturelles", les couches), est au mieux une pure vue abstraite de l'esprit, une idéalisation de la culture, mais plus concrètement l'expression typique de ceux qui, dans le champ social, sont des privilégiés, des nantis (fût-ce d'un capital symbolique uniquement): c'est leur position même de culturellement nantis qui leur font poser l'universalité spontanée, non dépendante des conditions concrètes de l'accès aux objets.
Ce n'est pas une vue de l'esprit, c'est un fait, l'indifférence fondamentale à l'art survient dans toutes les couches de la société (au demeurant le fait que leur condition culturelle soit ou non déterminée par l'aspect socio-économique n'est pas pertinent, puisque ces couches convergent vers le même point). Ça ne signifie pas qu'il y a une fracture irréconciliable entre les élus, disposés à l'absolu par une évidence totale, et les autres, les damnés de la culture. Considérer qu'il y a une certaine universalité des formes de la culture comme de l'inculture ne pose la nature même de cette différenciation, encore moins qu'elle est évidente et spontanée. J'ai toutefois tendance à penser qu'il existe des antagonismes cognitifs, indépendants ou non de la sédimentation socio-culturelle, qui déterminent le rapport à l'art, à la morale, à la logique, et à certaines entités complexes. Qu'il n'y a pas seulement, entre l'homme cultivé et son envers, une simple dissymétrie dans l'appropriation de codes socio-culturels, mais une incapacité foncière, chez le dernier, à toute représentation morale. Je reconnais que ce présupposé appartient à une métaphysique un peu datée (mais quand même moins daté que le terme "réactionnaire" que tu emploies).
Ce qui m'échappe un peu c'est ta propension à voir dans chaque rapport de force, dans chaque violence, dans chaque ligne de fracture entre les êtres, quelque chose d'intrinsèquement nocif, dangereux, voire contrefait. Quand tu reproches aux "culturellement nantis" de poser une échelle de valeur culturelle sans considérer les "conditions concrètes de l'accès aux objets", tu supposes, en quelque sorte, que ces conditions concrètes fausseraient la donne, que la façon même dont les phénomènes culturels se mêlent au monde et se teintent de son conflit permanent, les déforme, les dénature, et qu'il faudrait essayer de voir au travers d'eux-mêmes, ou du moins de la façon dont ils se manifestent à nous, pour réellement les appréhender. Si ça n'est pas une idéalisation de la culture, j'ai dû rater quelque chose (ce que je n'exclus pas, note bien).