Gontrand a écrit:
Je ne connais pas super bien Marx, mais j'ai l'impression que l'objectif principal de l'Internationale Communisme et d'une révolution ,n'est pas directement le triomphe sur la bourgeoisie, mais la mise en commun des moyens de production (qui il est vrai est perçu justement comme 'Capital' avec une part fixe -intentamable- et une plus-value par la bourgeoisie) de manière à ce que le bénéfice du travail ne serve pas à accroître la capital, mais à vivre, ce que seul le prolétariat peut opérer, du fait de sa situation économique et de ses intérêts. La critique directe de la bourgeoisie, j'ai l'impression qu'elle intervient antérieurement, avant ce qu'on appelait "la coupure épistémologique" quand il parle de l'Idéologie allemande (implicite à l'humanisme voire au messianisme historique justement de la gauche hégélienne) et développe la notion d'aliénation, et qu'elle est ensuite absorbée dans l'oeuvre ultérieure. Dans sa polémique avec Proudhon qui concerne les différentes formes de collectivisation e d'organisation du travail et du marché, il ne parle pas beaucoup de la bourgeoisie. Il en parle après énormément dans le 18 Brumaire, pour expliquer le lien entre les institutions politiques et les intérêts économiques mais c'est alors une forme d'autopsie d'une révolution morte plutôt qu'un programme.
Marx n'a peut-être pas tellement une vision messianiste de l'histoire, c'est d'ailleurs ce messianisme et cette croyance en des phases inéluctables et des "âges" qu'il ridiculise chez Stirner. Dans "la Condition de l'Homme Moderne", Arendt critique (tout en lui reprenant explicitement le thème de l'aliénation) une certaine naïveté messianique chez Marx, mais non pas à partir de sa vision de l'histoire, plutôt à partir d'un paradoxe: en plaçant comme horizon le fait de surmonter le travail l'homme perd peut-être une de ses principales raisons d'être: il risque d'être libre mais inactif, et finalement aussi séparé du monde que s'il était exploité (d'un autre côté elle valorise elle-même avec nostalgie à la manière de Rousseau chez les Grecs le fait qu'ils valorisaient la Cité et avait élaboré des formes de démocratie directes mais méprisaient le travail, transféré sur les esclaves - c'est même pire que Rousseau pour qui il faut d'abord en finir avec l'esclavage avant d'entrer dans un contrat social).
Il y a bien un messianisme chez Marx, pour qui la prolétarisation croissante des peuples doit nécessairement déboucher sur une révolution, qui doit être la dernière, puisqu'elle abolirait les classes et conclurait enfin la préhistoire humaine, caractérisée par la lutte ininterrompue des classes.
Je ne suis pas moi-même assez marxologue pour savoir à quel point ce messianisme était tactique, performatif ou circonstanciel. Mais il existe bel et bien et le thème a été repris tel quel par des générations de communistes - jusqu'aujourd'hui.
Concernant le travail, Arendt se trompe à mon avis en pensant que Marx parlait du travail en général. Il ne faut pas oublier que chez Marx, la critique concerne le capitalisme et lui seul, et par conséquent la forme inédite de travail qu'est le "travail salarié" du travailleur "libre".