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MessagePosté: 08 Jan 2017, 18:53 
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Content de voir enfin quelqu'un abonder dans mon sens :mrgreen:


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MessagePosté: 08 Jan 2017, 22:55 
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Baptiste a écrit:
Le film montre parfaitement comment une tâche quotidienne et répétitive peut-être le berceau de la réflexion et de l'inspiration. Il contourne ainsi le cliché habituel du film qui montre un artiste raté s'adonnant à des métiers alimentaires qui le font dépérir (comme Inside Llewin machin des Coen que j'ai pourtant aimé). J'ai en particulier apprécié les séquences de bus, qui sont l'occasion de jolis montages planants en surimpression, exprimant exactement cette idée de l'inspiration par la répétition.


Oui mais non, je crois que c'est un peu plus contrasté (et heureusement j'ai envie de dire). Quand cette répétition se dérègle de manière légère avec la panne du bus (mais c'est vrai que le film a un côté à la Tati qui peut extrapoler queque chose de plus sombre à partir de cette légereté) Paterson est complètement dépassé et panique, on a l'impression que c'est une des causes de sa perte d'inspiration ( plus profondément que le chien) et lui comme le monde extérieur semblent projeter le traumatisme du 11 septembre sur l'incident (le running gag "il aurait pu se transformer en boule de feu", dit identiquement par tous, y compris sa femme, comme s'il était impossible d'avoir un rapport individuel et particulier au "réel", où les perception médiatiques et "privées" seraient différenciée, à l'inverse de la poésie que ce réel finalement éjecte). J'ai l'impression que cette projection est le "vrai" contenu du film, et que l'intrigue visible (avec la poésie donc) est prétextuelle. Sinon, d'un certain côté cela voudrait dire que si l'on suit Jarmusch la culture littéraire sur laquelle Paterson s'appuie est morte avec le 11 septembre, et n'est plus possible, un regard sur la poésie un peu à la Adorno. en fait.

Après quelque jours, je n'ai plus beaucoup de souvenir de la partie "poétique" du film, mais je me souviens plutôt des anecdotes un peu tragiques, non développées qui semblent raconter une autre histoire, à la fois plus collective et infigurable (la partie avec William Jackson Harper et son amie -on sent que Paterson la compare avec sa femme-, la chute de la séance du Docteur Moreau où l'on entend le dialogue "nous croyions que ces personnes étaient les sujet du Docteur mais ces personnes sont en fait des prisonniers", les Stooges qui deviennent un truc en noir et blanc, passent lentement du branché au rétro, sur le même plan qu'Abbott et Costello, avant de redevenir du banché sur un mode plus décoratif). Heureusement qu'il y a ces parties (qui donnent au film une patte un peu similaire au comics d'Adrian Tomine... que je trouve plus justes), car le film est très anecdotique (mais j'ai ce rapport à tous les films de Jarmusch que j'ai vus, je crois uniquement "Mystery Train", "Dead Man" et "Ghost Dog" en fait, pas vu les films de ses débuts) .

J'ai quand-même été gêné par les stéréotypes "raciaux" du film (même si on rejoint là un côté un peu "Mystery Train"). Le Japonais au banc est quand-même très caricatural. Les origines iraniennes de la femme sont présentes-absentes (et ne sont dites que sur un rêve aussitôt détrompé, avec les éléphants, comme un lapsus...c'est tû même dans son souhait d'être Dolly Parton à Nashville alors que le mari pourrait relever l'humour de la situation, qui excède la lubie). On nous raconte l'histoire de l'anarchiste italien sur un mode Wikipédia qui fait passer les luttes sociales de l'époque pour Al Pacino contre Vito Corleone. Le collegue indien n'est caractérisé que par sa propension à se plaindre de tout. Petit monde où une origine correspond à un seul trait de caractère, et la complexité relève du patrimoine historique. Dans la partie avec William Jackson Harper on sent que Paterson a une sorte de complexe. Il sont tous les deux conformes à une sorte de stéréotype, aussi "kitsch" l'un que l'autre pour être méchant, mais l'un est méprisé et malheureux en amour (et semble le pus concient des deux du caractère factice de sa posture), quand l'autre est quand-même reconnu, ou du moins apprécié et encouragé. On sent que Paterson pense de lui "il ferait bien de se convertir au minimalisme objectiviste plutôt que te prendre pour Hamlet s'il ne veut pas que la ville le rattrape", mais c'est aussi une manière de dire que le maniérisme littéraire n'est pas un truc de black. Enfin c'est comme cela que je l'ai compris, je reconnais (et espère) que le film est peut-être plus subtil que ça, et mon interprétation une projection.


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 12:30 
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Je ne dis pas que la posture du perso ne pose pas problème, mais Jarmusch semble plutôt pointer du doigt les dérèglements d'un monde qui va trop vite (les portables, les collectivités locales qui n'ont pas assez de thune pour avoir des bus qui ne tombent pas en panne, etc.).


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 17:18 
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Faut vraiment être aveugle pour penser que le personnage de Driver en a quelque chose à cirer du "talent" de guitariste de sa femme.
Plutôt que de peur du social, ce qui n'est pas faux non plus, je parlerai d'une vision fantasmée et béni-oui-oui du social, le film est essentiellement rythmé par de petits rituels sociaux qui confirment la décence du personnage principal, poète modeste et poli. A la Ozu si l'on veut.
J'encourage quand même à jeter un œil sur les poèmes de Carlos Williams qui n'ont pas grand-chose à voir avec Philippe Delerm.
Pour ce qui est de la bulle kitsch, c'est quelque chose dans laquelle se complaît Jarmusch depuis pratiquement toujours. Dans le même genre passéiste, en tout aussi naïf mais avec une sensibilité plus authentique, on peut citer Kaurismaki qui vient lui-aussi d'une culture rock. Bref, on en revient à la maintenant rebattue caractérisation de cinéma de "hipster" que Jarmusch a contribué à inventer.
Il s'en sort d'une certaine manière en livrant une vision du couple et de l'existence non dénuée de pessimisme et en faisant de son héros un hipster inconscient de l'être, aidé par une femme qui en est juste aux rudiments ("ce soir, on mange du quinoa").
Le dialogue avec le japonais n'est pas inintéressant de ce point de vue. Paterson livre quelques éléments de la vie de William Carlos Williams qu'à coup sûr, le Japonais n'est pas sans savoir, en tant que poète lui-même et admirateur de ce poète. D'où le "ahah" qui n'est pas sans une condescendance cachée, quand Driver lui dit des choses qu'il connaît de longue date. "Ahah" qui plonge juste Driver dans la perplexité.

Il est aussi intéressant que Gontrand mentionne la jalousie de la femme quand Driver lui relate son dialogue avec une jeune comparse de dix ans, avec cette remarque qui semble pour la seule fois du film un peu empreinte de fourberie si l'on se fie à son air quand elle la dit "on dirait presque un de tes poèmes".


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 17:25 
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Le "Ahah" pour moi c'est pour souligner le cadeau du cahier, un encouragement à se renouveler et à un nouveau départ.

Au final, le film est l'objet de beaucoup d'interprétations, mais dans l'atmosphère générale, le rythme, je trouve qu'il ne faut pas y voir beaucoup plus (et c'est à mon sens énorme) qu'un hommage simple mais vibrant à la sensibilité artistique. Jarmusch en profite pour faire un portrait de l'Amérique évidemment, et ça va plus loin que le point de vue hipster qu'on lui accole dédaigneusement.


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 17:38 
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Là où je rejoins Baptiste, c'est que c'est plus un univers à la Amélie Poulain que vraiment hipster et je ne pense pas que la "haha" soit condescendant, le personnage du Japonais est pour moi l'intromission dans la fiction des gentilles vieilles dames psychanalystes aux ambitions de maïeuticiennes ("Just do it!"), qui ont au demeurant ont toute ma sympathie en-dessous de 60€ par séance, que le film essaye de racoler parmi le public. Un souriant miroir, maître à la fois du signifiant et du destin, en quelque sorte.


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 17:49 
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Je reviens sur ça parce que c'est significatif:

supergontrand a écrit:
devient beaucoup plus directe dans les rapports de couple une fois la poésie perdue -d'ailleurs la pub du bus "DIVORCE 300$" n'est pas anodine ). Film assez pessimiste mais paradoxalement désincarné, refusant d'assumer le risque de la crise.)


Cette pub est là pour soutenir le point de vue du poète: avec un téléphone (puisque DIVORCE 300 c'est le sms qu'il faut envoyer), on peut divorcer depuis son canapé. Plus besoin de contact humain pour ce règlement juridique et existentiel fondamental. Or le perso a une aversion pour les téléphones. Donc le message esthétique là, c'est que le divorce est loin en ce qui le concerne. Perdre sa naïveté et son mépris instinctif de cette technologie socialement destructrice pourrait mettre en danger son couple mais en l'occurrence, il en est protégé.

Tout ça pour dire que Jarmusch me semble pas du tout avoir de propos distancié sur son personnage, il fait complètement corps avec lui, il n'y a pas de critique (ou alors sous le registre mélancolique). Ca me convient totalement, je trouve ça franc et généreux.


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 17:55 
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supergontrand a écrit:
Là où je rejoins Baptiste, c'est que c'est plus un univers à la Amélie Poulain que vraiment hipster et je ne pense pas que la "haha" soit condescendant, le personnage du Japonais est pour moi l'intromission dans la fiction des gentilles vieilles dames psychanalystes aux ambitions de maïeuticiennes ("Just do it!"), qui ont au demeurant ont toute ma sympathie en-dessous de 60€ par séance, que le film essaye de racoler parmi le public. Un souriant miroir, maître à la fois du signifiant et du destin, en quelque sorte.


Oui je ne parle pas là des intentions de Jarmusch, qui me semblent très imparfaitement réalisées, mais de ce qui se trame à son insu (et je projette, comme nous tous).
C'est ce qui rend le film intéressant, ce fossé entre les intentions et ce qu'on voit.


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 18:07 
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Baptiste a écrit:
Je reviens sur ça parce que c'est significatif:

supergontrand a écrit:
devient beaucoup plus directe dans les rapports de couple une fois la poésie perdue -d'ailleurs la pub du bus "DIVORCE 300$" n'est pas anodine ). Film assez pessimiste mais paradoxalement désincarné, refusant d'assumer le risque de la crise.)


Cette pub est là pour soutenir le point de vue du poète: avec un téléphone (puisque DIVORCE 300 c'est le sms qu'il faut envoyer), on peut divorcer depuis son canapé. Plus besoin de contact humain pour ce règlement juridique et existentiel fondamental. Or le perso a une aversion pour les téléphones. Donc le message esthétique là, c'est que le divorce est loin en ce qui le concerne. Perdre sa naïveté et son mépris instinctif de cette technologie socialement destructrice pourrait mettre en danger son couple mais en l'occurrence, il en est protégé.

Tout ça pour dire que Jarmusch me semble pas du tout avoir de propos distancié sur son personnage, il fait complètement corps avec lui, il n'y a pas de critique (ou alors sous le registre mélancolique). Ca me convient totalement, je trouve ça franc et généreux.


Ton interprétation est un peu paradoxale mais se défend. Son mariage est fort, mais d'un autre côté il n'est juste qu'à un SMS du divorce (ou à un smartphone - que sa femme veut lui faire acheter).

Un truc qui m'a aussi surpris c'est pourquoi son chef de dépôt (jamais vu auparavant, ce n'est pas le même que l'Indien, caractérisé comme lourd et borné - mais bougon et sympa) lui met la main sur l'épaule après l'histoire de la panne, lorsqu'il rentre chez lui. Il ne s'est rien passé de grave après tout. En général quand un bus tombe en panne les chauffeurs ne tombent pas dans les bras l'un de l'autre en pleurant. C'est plutôt le genre de réaction que l'on aurait face à quelqu'un qui a confessé un problème affectif, "J'en peux plus de ma femme qui ne me comprend pas, je suis à bout" (son chef fait avec Paterson le geste que celui-ci n'a jamais su faire avec Everett, il y a quand-même un quelque-chose où l'entreprise lui permet de "performer" des sentiments qu'il n'est plus capable d'éprouver sur un plan amical ou amoureux)


Dernière édition par supergontrand le 09 Jan 2017, 18:24, édité 3 fois.

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MessagePosté: 09 Jan 2017, 18:09 
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Aucun souvenir de ce chef de dépôt, rafraichis-moi la mémoire...


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 18:13 
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Au moment où il rentre chez-lui le jour de la panne, juste avant l'histoire de la sortie ciné et du chien, il y a un plan muet (la musique à la Brian Eno recouvre la scène) et filmé je crois depuis l'intérieur du bus, où Driver sort du bureau de son chef dans la cour, et celui-ci lui faut quelques pas avec lui et lui met la main sur l'épaule pour le consoler (ce personnage, muet, blond, n'apparaît que là... mais cela préfigure la scène avec le Japonais, celui-ci qui ânonne l'anglais, aura été discrètement précédé dans l'image par un Américain muet). Le plan raccorde directement avec celui du trottoir qui s 'arrête sur un fondu au noir (et le film en a beaucoup...) quand une petite fille lui prête son portable pour appeler la dépanneuse.

J'ai pu remarquer ces scènes dans la scène (comme le client qui reste au fond du bar la tête tournée en permanence quand Everett sort son revolver en mousse) car le fil de discussion avait quand-même bien spoilé le film...


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 18:28 
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Ah donc c'est dans une des images en surimpression? AUCUN souvenir, tu es très observateur :D


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 18:30 
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Je ne suis pas sûr qu'il ya un poème de fin de journée ce jour-là (donc "le flux" d'écriture s'interrompt avant l'histoire la perte du cahier - mais le reproche à sa femme perdure).

Il faut quand-même signaler que ce sont deux gamines de 10 ans qui lui sauvent par deux fois la mise dans un rapport quasi-matrimonial (et qu'il écoute les conversations des ados et les plans drague de ses passagers dans son bus mais bref), mais quand sa femme lui dit qu'elle aimerait bien avoir des jumeaux il n'en a rien à battre tout en sortant de son rôle de grand enfant et dit "un pour chacun...cool".


Dernière édition par supergontrand le 09 Jan 2017, 18:33, édité 1 fois.

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MessagePosté: 09 Jan 2017, 18:33 
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Oui le "un pour chacun" m'avait un peu choqué, ça entérine un peu le côté "vie parallèle" que le couple adopte, mais c'est assez moderne, loin d'être archaïque, cette idée d'un couple qui se rejoint le soir après deux vies complètement différentes la journée.


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MessagePosté: 09 Jan 2017, 18:37 
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Je ne suis pas en couple, mais ça n'a pas grand chose à voir, entre avoir deux emplois du temps séparés et deux enfants (qu'on n'emmène pas au boulot)...
Cela veut dire aussi que le couple ne résisterait probablement pas au fait de n'avoir qu'un seul enfant (puis ça se lie à la double-origine du couple: un enfant serait plutôt américain, l'autre plutôt iranien, pas de mixte). Quand elle dit qu'elle veut aller à Nashville c'est peut-être une manière d'avoir son attention malgré tout, c'est un intello de la côte Est, mais il faut qu'elle joue à l'Américaine redneck pour le garder (le mec n'en a par exemple rien à secouer de la poésie iranienne qu'elle connaît peut-être).


Dernière édition par supergontrand le 09 Jan 2017, 18:46, édité 1 fois.

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