La franchise
Mission : Impossible est sans nul doute la meilleure série cinématographique au monde. Je ne compte évidemment pas les
Star Wars,
Indiana Jones,
Retour vers le futur,
Batman,
Spider-Man,
Mad Max et autres franchises principalement réalisées par une seule et même personne. Je parle de licences comptant autant d'épisodes, où les cinéastes se sont succédés (et pas des moindres). Quelle autre saga peut prétendre à ce titre, à part
Alien?
C'est pourquoi il est quelque peu regrettable que pour les trois (et bientôt) quatre derniers tomes (en date?), la star produisant les films fasse encore et toujours appel à son gars sûr depuis
Walkyrie, Chris McQuarrie, déjà
script doctor sur le quatrième film. Si McQuarrie n'est pas à l'origine des morceaux de bravoure de
Ghost Protocol de Brad Bird, c'est ce dernierqui est devenu le modèle à reproduire pour la suite de la saga, désormais vendue en grande partie sur les prouesses trompe-la-mort de Tom Cruise.
Par conséquent, la série risque la
fastandfuriousisation : à trop vouloir se surpasser dans les cascades, la démarche risque de tourner au gimmick et la surenchère de rimer avec effets numériques nécessaires, une régression pour une saga qui a pris le relai des James Bond et se démarque dans le paysage audiovisuel actuel par sa rigueur des cascades réalisées en dur.
Et
Dead Reckoning - Partie 1 s'avère peut-être le premier épisode dont l'intrigue me stimule davantage que ses morceaux de bravoure.
En effet, si l'on pourrait reprocher à McQuarrie de peiner à conférer une identité distincte à son troisième épisode - comme il avait pu le faire avec l'épique
Fallout, résolument différent du
old school Rogue Nation - on ne saurait en vouloir à un cinéaste d'approfondir plus que jamais son approche analogique et politique du matériau.
Tout film est, en quelque sorte, un documentaire de sa propre réalisation mais jamais cette analogie n'a-t-elle été aussi vraie que pour les
Mission : Impossible où le protagoniste s'entoure d'une équipe pour accomplir des opérations semblablement insurmontables afin de parvenir à ses fins. Cruise n'utilisant aucune doublure, la nécessité pour le personnage de réussir sa mission n'a d'égal que celle de l'acteur pour réussir sa cascade. Ou de McQuarrie contraint de deviser une aventure toujours plus rocambolesque et spectaculaire et apparemment aussi improvisée que les décisions d'Ethan Hunt (
Fallout avait entamé son tournage avec seulement 33 pages de scénario rédigées). Sur ses deux précédents chapitres, l'une des façons dont le scénariste-réalisateur se démarquait de ses prédécesseurs résidait dans l'approche réflexive du personnage d'Ethan Hunt. Avec ce nouvel opus, McQuarrie pousse la réflexion encore plus loin, s'attaquant directement aux codes de la saga et du genre.
Le titre du film revêt alors un double-sens, voire triple si l'on ajoute une lecture métatextuelle. Le
dead reckoning, ou navigation à l'estime, est une méthode de navigation qui consiste à déduire la position d'un véhicule à partir de sa route et de la distance parcourue depuis sa dernière position connue. Le terme est utilisé dans le film dès l'introduction, lors d'une séquence en sous-marin qui fleure bon l'hommage à
A la poursuite d'Octobre rouge, mais peut également servir à qualifier le raisonnement du principal antagoniste du film qui paraît capable de prévoir les actes du héros. Après avoir passé tout le sixième film à expliquer qu'Ethan Hunt pensait ne pas avoir de choix parce qu'il se voyait comme un martyr seul capable de sauver le monde, McQuarrie remet la notion du choix au cœur du film, notamment celui de rejoindre l'IMF.
Cet aspect métanarratif s'incarne de façon théologique dans le texte, la sémantique utilisée étant celle de la religion - on nous parle d'Entité, de
"prophète du mal" et de
"son Dieu" et le McGuffin est une clé cruciforme - mais le menace est bien réelle. Du
deep fake aux tests psychométriques semblables à ceux auxquels on a tous pu répondre sur internet, les outils employés dans ce film d'espionnage, par un camp ou l'autre, renvoient à notre réalité, à notre quotidien même, et confèrent au propos du film une résonance terrifiante. L'autre mot qui ne cesse de revenir dans les dialogues est "vérité" et il apparaît évident que l'ère de la post-vérité incarnée par la présidence de Donald Trump représente le danger qui effraie McQuarrie. Le metteur en scène présentait déjà un rapport à l'analogique de plus en plus palpable dans les précédents (le message dans le vinyle ou dans une vieille bobine, les ordis qui ressemblent à des journaux, les fusils faits à partir de flûtes ou de tonfa, Hunt enregistrant dans son esprit toutes les informations d'une clé USB) et ce nouveau film entérine cette idée, faisant de la technologie numérique un handicap voire même un piège.
C'est pourquoi il est un peu décevant de constater quelques fonds verts et trucages numériques voyants lors du climax sur le train. S'il demeure excellent, notamment dans sa deuxième partie en film-catastrophe quelque part entre
Le Monde perdu et les jeux vidéos
Uncharted, il ne peut se mesurer à la tangibilité de la fin de
Fallout (bien que le saut soit une nouvelle fois vertigineux). Pareillement, je trouve les courses-poursuites des deux précédents McQuarrie plus forts et incarnés que celle à Rome ici mais elle demeure incroyablement ludique, enchaînant les véhicules différents et redoublant d'inventivité dans l'humour jusqu'à devoir autant à
L'Or se barre qu'à...
Un amour de coccinelle. Les 2h43 passent comme une balle mais je regrette qu'avec autant de temps, le film se fasse quelque peu avare en morceaux de bravoure (une courte scène de sniping dans le désert, une filature amusante dans un aéroport et quelques combats sur des ponts ou dans des ruelles à Venise). Il me manque encore LA séquence de tension dans la lignée du piratage de la CIA dans le De Palma ou l'infiltration dans le Kremlin du Bird. Et il me manque aussi des scènes où on sent davantage l'équipe où chaque membre se complémenterait par ses talents particuliers. Benji et Luther font doublon (le film l'assume même dans un échange amusant), Ethan et Ilsa font doublon. Heureusement, les deux nouveaux personnages féminins sont excellents, qu'il s'agisse de Pom Klementieff, meilleure femme de main depuis Xenia Onatopp, ou de Hayley Atwell.
Contrairement au dernier
Indiana Jones, que j'ai déjà oublié, j'ai très envie de revoir cette Partie 1, qui se tient effectivement mieux toute seule que
Dune ou
Across the Spider-verse, et hâte de voir la Partie 2. Au vu des nombreuses références au premier film qui parcourent celui-ci, il s'agirait d'une conclusion logique pour Hunt et sa team (l'âge de Cruise, Rhames et Pegg commence à se voir vénère, sus au rogermoorisme).
PS full spoiler :