Bon, sur ce film, j'avais envie d'écrire un peu, donc un avis pleins de spoilers, avec probablement pas mal de redites, mais j'écris ça sur la première vision :
Qui, aujourd'hui, produit encore des thrillers comme ça pour adultes pour les grands studios Hollywoodiens ? Avec les moyens, le casting, le ton, qui fait que pas une fois on ne pourrait penser à un ersatz de série télé poussé sur l'écran par sa longueur dépassant les 50 minutes ?
Il est presque le dernier. Porté par cette motivation, par ce souci de faire des films "adultes", Fincher avait choisi de porter Millenium, soucieux d'amener à l'écran un polar suédois (avec ce que ça comporte de froideur et de mystère), dans l'envie d'amener le public adulte à se remettre à réfléchir, à voir le puzzle dans ce qu'il a de majestueux. Zodiac était également de cette trempe. The Game avait aussi la magie. Gone Girl entre dans les même cases. Nous faire aimer le puzzle, la partie dans ce qu'elle a de perverse, d'inaboutie, de fou. Un jeu, donc, amusant et effrayant à la fois. Jamais un hasard si Nick et sa sœur jouent à Life et laissent de côté Mastermind sur l'étagère, celui-là vient de la maison...
Pour la parenthèse, loin de moi l'envie d'opposer série et films, d'autant que quelque part, Gone Girl ne s'éloigne justement pas des canons des préoccupations des séries télévisées modernes. Breaking Bad, Mad Men, Dexter (au hasard), le surgissement de la folie, dans l'assouvissement du vice, l'explosion du moi, dans la banlieue sage... Quelque part comme on pouvait le lire sur Twitter, Gone girl est le plus abouti des épisodes de Desperate Housewives, parce qu'il va plus loin, à tous les niveaux. On cherche à atteindre un public adulte, celui que les télés ont récupéré parce que les studios font et refont des films pour les ados.
Parenthèse close, revenons au film.
Le premier coeur du film, ce sont les médias et ce en quoi ils affectent notre existence, ce en quoi ils altèrent notre ego et notre façon d'être, nous donnent l'envie d'être plus, de donner le meilleur, pas notre meilleur, mais le leur, suivant leur critères. Fincher avait déjà tâté du média avec Social Network, mais il n'avait pas fait le facebook movie que les gens attendaient bizarrement, un film sur eux, il en avait fait le Citizen Kane moderne, pour mieux nous manger dans notre ambition maladive, notre désir d'attention tant désiré, celui qui pousse les uns à devenir le meilleur ami de 500 millions de personnes pour en séduire une, celui qui pousse un homme ordinaire à se créer un double, un lui en mieux, en plus parfait. Là encore, on retrouve dans Gone Girl l'un de ces grands principes fincherien, le pygmalion pervers, qui fera de toi un homme meilleur, celui que les gens aimeront. Et dans ce rapport à la frénésie médiatique, le facebook movie qu'on pensait voir avec Social Network, ce sera plutôt Gone Girl.
Fincher a choisi le roman de Gillian Flynn, justement nommé en français « les apparences ». Cette Gone Girl était, littéralement, le meilleur sujet du monde pour lui. Le plus piège dans ce qu'il avait de fincherien, une redite de pleins de thèmes (j'en ai avancé deux). Certes, on retrouve Tyler... Oui, Amy est encore un autre genre de manipulateur. Elle aussi monstre, elle aussi en quête de transmettre son virus, son envie du meilleur pour son alter-ego. Le film le plus proche de Gone Girl, c'est Fight Club. Tout se passe dans la tête de l'héroïne (plan du début). Et puis le couple dysfonctionnel, Fincher a déjà fait, avec son célèbre schizophrène, la vie à deux, l'un poussant l'autre dans ses retranchements, pour finir par admettre qu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre... et des personnages qui voient le manège de l'intérieur (notamment la sœur jumelle de Nick, sa « conscience morale », son alte-ego féminin), qui observent l'horreur et qui eux même quelque part malade (mais conscient), jouent le jeu, impuissants.
Mais Gone Girl a cela de plus qu'il s'attaque plus frontalement au couple. Fincher a vieilli, il a envie d'être plus direct avec ses sujet. Fini la fable, place au selfie. Regardons-nous une seconde... En collant les médias et la frénésie médiatique sur Nick Dunne, Fincher emploie la foule comme il utilisait sa caméra avant, pour tout nous dire, progressivement. De caméra omnisciente, on passe à société omnisciente. On veut tout savoir, tout, et on aura tout...ce qu'on veut bien nous donner.
Millenium nous montrait une Lisbeth qui passait sa vie à fouiller les poubelles numériques des gens, espionner pour mieux se nourrir de la merde du monde, en faire son métier, dénoncer anonymement, vivre seule, à l'écart. Lisbeth et Mikael sont les justiciers de la société moderne, Nick et Amy en seront les anti-héros. Amy est déjà une vedette, ausculté depuis sa plus tendre enfance par ses parents psy qui en ont fait une vedette de la littérature (petit clin d’œil pour nous rappeler que tout ça ne date pas d'hier). Elle voit le potentiel de Nick qui face à elle se révèle un véritable chevalier servant parfait, il est beau, il passe bien à l'écran, il est suffisamment falot pour ne pas faire trop d'ombre. « Je ne suis jamais meilleur que quand il s'agit de ma femme ». Tout est dit en une phrase.
Amy est merveilleuse parce qu'elle fait de son quotidien une histoire meilleure que la vie. Et ça ne doit pas changer, jamais. Amy est merveilleuse et son histoire le sera à l'écran. Pirouette de Gillian Flynn qui va tellement comme un gant à Fincher, qui sait employer le principe narratif pour mieux servir ce qu'il cherche à aborder à travers les médias, le mariage, le film entier: l'illusion. Le mariage serait, de fait, un effort collectif pour être le meilleur pour son conjoint, quitte à très souvent jouer le jeu. Qui peut affirmer le contraire ? Le drame, c'est quand ce jeu devient trop éloigné de ce que l'on est vraiment, quand on se fatigue de jouer, ou quand on préférait son soi d'avant à ce meilleur que l'on a atteint auprès de l'autre... Et quand on s'écarte trop, ça casse, ou alors on se bat pour imposer sa vision à l'autre.
De roman photo, Nick et Amy deviennent littéralement des images dans la seconde partie du film, où tout devient prétexte à créer et créer devant les caméras (celles de surveillance, celles de la télévision). On note d'ailleurs que Fincher reste très vieux jeu dans son film. Il n'arrive pas à prendre Facebook ou Twitter comme moyens de communiquer. Non, on reste bien dans l'objet filmique, avec un œil, nous, une caméra. On va se mettre à poil, mais seulement quand ça regarde. On va commettre des crimes, mais tout va bien, c'est de la mise en scène, on va être heureux, mais ce sera juste pour vous, quand la fenêtre s'ouvrira. Action, puis coupé. Et sous les yeux d'un avocat, personnage jouissif, qui voit la perversité de tout ça avec un grand éclat de rire, parce que l'hypocrisie, c'est son fond de commerce, alors il connaît, il pratique, et il est même riche grâce à tout ça.
Pour incarner tout ça, Fincher ne se trompe pas dans son casting : Le fiancé de l'amérique, la blonde hitchcockienne, le mannequin décérabré, le séducteur de la télé... Pas de fausse note. C'en est limite effrayant : entendre les petits rires à l'entrée de Neil Patrick Harris, et puis soudain plus rien quand il montre sa belle maison (tout ce qu'on pourrait dire de Fincherien sur cette maison), et sur la fin, c'est carrément des souffles d'horreur...
Et le choix musical. Reznor et Ross nous proposent une partition d'aquarium. A l'écoute, on dirait un documentaire animalier sur les fonds marins. Ca fonctionne : le vase clos, la sensation d'étouffement, les montée grinçantes à l'approche du prédateur, et juste après, le calme curieux... Partition parfaite. Comme par hasard, le bleu est partout dès le début. Générique sur le canal, chemise bleue de Nick, photo du matin (même la nuit est bleutée) qui ne le quitte plus... Amy sera en blanc, en permanence. Le blanc, c'est l'innocence, mais c'est aussi la mort froide et propre.
Taxer le film de misogynie ? Au contraire, Amy est probablement la plus féministe des personnages au monde, jusqu'au boutiste pour ne pas subir, jamais soumise, maître du jeu, comme Lisbeth juste avant chez Fincher. Au début des années 90, Liaison Fatale, Basic Instinct, La guerre des Rose... Pas mal de film mettaient en scène le mâle alpha (oui, c'était souvent Michael Douglas) malmené dans son quotidien foutu à l'avance par des personnages féminins forts qui affirmaient leur force, flinguaient l'ordre établi. Gone Girl épouse, quelque part, cette lignée de personnages qui tourneboulent par leur radicalité, font même peur : entendre la salle avoir peur à chacun de ses mouvements, c'est quelque chose de génial, de jouissif, ça faisait longtemps qu'on ne frémissait plus vraiment comme ça.
Mais, alors qu'avant, Glenn Close se faisait buter, ici, Fincher va plus loin. Fuck la morale. Non, non, pas de ça. Amy a raison : Nick est plus intéressant, meilleur, plus beau, plus noble, quand il met la cravate et la montre qu'elle lui a pris. Il en impose. Il va franchiser le Bar, vendre son histoire, écrire le scénario et ça fera un formidable Thriller pour Hollywood. Il gagne sur toute la ligne. Grâce à elle. Et il le sait. Et sa conscience morale le lâche alors (scène magique où tout bascule).
Avec Gone Girl, Fincher ne tourne pas qu'un thriller, mais une satire sociale. Une grande mascarade autour des illusions, de ce qu'on est et ce qu'on voudrait être vis à vis des autres, dans un couple, en société. Un film porté par des personnages fous, malades, qu'on met en scène comme des héros. Une immense blague, géniale, comme Fight Club en son temps. Un film virtuose qui fait discuter, réfléchir, qui interpelle. En 99, on n'en est pas sorti indemne. En 2014, ça fait toujours mal.
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