C'était le film que j'étais le plus curieux de rédécouvrir dans ma rétrospective Bigelow et ce contexte a prêté à cette deuxième vision, 12 ans après la première, une toute autre dimension qui m'a permis de l'apprécier davantage.
Film Freak a écrit:
Tout comme DPSR, je me demande quelle aurait été l'histoire racontée par Bigelow et Boal dans leur projet initial (ou alors savaient-ils déjà que la capture/mort de Ben Laden était imminente?), parce qu'il m'apparaît que ça aurait inévitablement été l'histoire d'un échec, d'une quête sans fin, et peut-être alors l'obsession qui anime Maya aurait-elle été davantage au cœur du film.
La première fois, la nature pas trop factuelle à mon goût du récit m'avait laissé un peu sur ma faim, mais cette fois-ci, en connaissant mieux les obsessions de l'autrice, j'ai mieux saisi celle du personnage.
Citation:
En l'état, c'est une fois de plus ce qui manque à l’œuvre je trouve. A l'instar d'Argo, la reconstitution des faits est experte mais le quota humain reste en deçà. En lieu et place des scènes d'Affleck avec son fils, on a ici quelques trop peu nombreuses scènes de Maya visiblement hanté par sa poursuite d'un fantôme. Mais ce traitement reste trop superficiel à mes yeux pour raconter quelque chose au-delà de l'approche journalistique de l'histoire.
C'est globalement un film qui commence et qui se termine avec un regard, celui de Maya, d'abord sur un corps soumis à la torture, à laquelle elle assiste pour la première fois, se retrouvant sur le terrain, détournant les yeux, et finalement sur ce corps mort, qu'elle a besoin de voir pour vérifier, officiellement pour confirmer la succès de la mission à ses supérieurs, et personnellement pour rendre concret ce fantôme qui lui a échappé pendant 10 ans et par là même donner un sens à sa vie.
Citation:
Je sais pas ce qui fait que ça marche à merveille dans Les Hommes du Président alors que ça me laisse froid dans Argo ou dans Zero Dark Thirty, peut-être est-ce l'urgence de l'enquête des journalistes sur l'affaire de Watergate, va savoir. Il est vrai que je trouve tout le dernier tiers du Bigelow beaucoup plus engageant, à partir du moment où ils repèrent la forteresse d'Abottabad jusqu'au dernier plan qui semble insuffler un peu de sens au film (ou du moins, qui propose un canevas sur lequel chacun pourra projeter sa perception de l'épilogue) en passant par cet assaut vraiment réussi, tant dans la forme (la tension, pas de zique) que dans le fond (c'est honnête, on voit les soldats tirer sans hésiter sur des femmes ou des hommes non-armés).
Film Freak a écrit:
Qui-Gon Jinn a écrit:
A l'inverse (car le film fonctionne dans les deux sens), je me surprend à kiffer l'assaut final, la mort de Ben Laden, alors que Bigelow le filme de manière super neutre, presque atone... Du coup en tant que spectateur je suis obligé de me poser la question: "Pourquoi suis-je en train de kiffer ça ?".
Parce que pour la première fois dans le film, c'est du cinéma.
Dès la première scène, elle dit qu'elle ne veut pas se contenter de regarder l'écran. On n'est pas encore dans le désir de voir, simplement dans la volonté de se montrer forte, de justifier sa présence, vu que la réalité des interrogatoires lui est encore dure à regarder en face, mais très vite, son travail consistera à mater, d'abord d'autres interrogatoires puis des vidéos de surveillance, des attaques de drones, jusqu'à cet assaut final qu'elle ne verra pas alors qu'il nous est montré, in extenso, en temps réel, nous plaçant dans une position voyeuriste en nous offrant le contre-champ de la célèbre photo prise dans la
situation room d'Obama.

C'est peut-être le fait de voir le film directement après
Strange Days - merci d'ailleurs à la Cinémathèque suisse pour l'incroyable copie 35mm projetée ce soir en Langlois et qui ne me fait qu'aimer davantage ce film que j'adorais déjà - aka le grand film de Bigelow sur le voyeurisme et le cinéma mais aussi sur l'obsession. Maya ne s'inscrit pas vraiment dans la lignée des héros bigelowiens qui se laissent séduire par la violence, elle s'inscrit plutôt dans la lignée de l'autre héroïne de Bigelow, déjà une membre des forces de l'ordre. Seulement ici la caractérisation du protagoniste se fait plus subtile : pas l'ombre d'une
backstory, rien d'aussi évident que dans
Démineurs alors que c'est finalement la même obstination, sous un angle plus critique. Le film ne tombe jamais dans le jugement mais montre bien la déshumanisation au contact de la violence qui stigmatise l’enquête.
Film Freak a écrit:
Baptiste a écrit:
Citation:
Je crois que le film pose un regard sur l'Amérique à travers le personnage de Chastain (obsédée par la réussite, puis par le désir de vengeance). Et il me semble que ce regard apporte un constat pas si glorieux au final. Bon, c'est mon interprétation.
Je trouve que cette interprétation est tirée par les cheveux.
+1
Si l'expression de Maya à la fin peut tenir du test de Rorschach, la réplique hors champ du pilote (
"On va où?") et le motif du cordage derrière elle qui renvoie directement aux bandes rouges du drapeau américain, faisant d'elle et de son obsession potentiellement futile une allégorie de l'Amérique, sont tout de même des éléments de réponses non-négligeables.
Citation:
Puisque chacun devra y aller de ce qu'il pense de la polémique concernant la torture, je dirai perso que je vois un film qui choisit de montrer les choses telles qu'elles le sont. La CIA torture un gars, les infos sont à moitié foireuses et à moitié fructueuses. Point. La vérité est que la torture peut porter ses fruits et le film te montre cette vérité. Si ça cautionne pour autant, soit. Parler de propagande après, faut pas déconner...
Mon avis n'a pas bougé d'un iota sur la question.
Citation:
Avant ça, ça fonctionne peut-être un peu trop par bouts (déjà le souci de The Hurt Locker). Les années passent vite, les apparitions de gueules connues s'enchaînent. Bigelow me paraît moins à l'aise (c'est d'ailleurs pas son film le plus intéressant formellement, déjà qu'elle a un style impersonnel).
Je maintiens ma remarque sur la temporalité mais j'atténuerais celle sur l'esthétique, le film étant moins artificiellement "réaliste" que son précédent.
Citation:
Je sais pas trop quoi en dire de plus en fait. Ca tombe pas dans le Wikipédia filmé mais je continue de préférer des films comme Munich et Zodiac, beaucoup plus riches, qui parviennent à réussir sur tous les tableaux, dramaturgie et point de vue, l'humain mais aussi le thriller mais aussi le propos... Zero Dark Thirty a le mérite d'exister et de montrer une certaine réalité avec honnêteté mais c'est un film qui ne m'apprend rien et ne me fait pas ressentir grand chose.
Mes préférences ne bougent pas mais je serai beaucoup moins dur sur
Zero Dark Thirty. En fait, ce n'est pas tant un
All the President's Men version Al-Qaïda que
The French Connection sur la traque de Ben Laden. Un compte-rendu de la minutie du travail laborieux abattu pour arriver à un résultat insatisfaisant. Il y a un mot génial qui revient à plusieurs reprises dans le film, notamment en titre de chapitre, et qui m'avait marqué à vie dès la première fois :
tradecraft, traduit tour à tour par "techniques de renseignement/de pro" mais qui se traduirait littéralement par "l'artisanat du métier". J'ai toujours adoré comment le mot sonnait et ce qu'il évoquait d'un jargon spécifique sur ce qu'est ce "métier", sur cette occupation, et l'expression cristallise à la perfection ce qu'est le film.