EaRev a écrit:
Ce qui me choque avec Inception, c'est à quel point son scénario est admiré alors qu'il est franchement faible. En fait j'aboutis toujours à la même conclusion : de manière générale en ce qui concerne le cinéma, les gens font une terrible confusion entre qualité et complexité d'un scénario. C'est certainement pour cette raison que, par exemple, celui d'Avatar est souvent qualifié de simpliste lorsqu'il est en réalité incroyablement solide et puissant, tandis que celui d'Inception est vu comme génial lorsqu'il est en réalité très fragile. Je ne cherche absolument pas à opposer frontalement les scripts d'Avatar et d'Inception, je citais le film de Cameron simplement à titre d'exemple d'une histoire simple mais rudement bien menée, comme j'aurais pu le faire avec le récent Super 8, pour citer un autre exemple.
Tu as raison sur un point, on mélange souvent sujet, histoire et scénario, et à l'intérieur de ces concepts, l'ensemble des strates qui les composent... à la manière du rêve déstructuré par Nolan dans le film : les arcs scénaristiques, le trauma à résoudre, les obstacles à rebours etc.
Ici, Nolan défriche avec beaucoup d'imagination et de rigueur un sujet passionnant : le rêve, la pensée. Il y greffe plusieurs histoires entremêlées, toutes déjà vues, mais traitées de façon singulière, servant toutes à plonger dans les méandres des personnages. On peut être réfractaire à ce stabylotage aigu, mais c'est du bel ouvrage de scénariste structuraliste. C'est quasiment de l’architecture. Tout le déploiement des règles, ce tutoriel qui s'étire, cette lourde mécanique pour encadrer ce qui pourrait être complètement fantaisiste (le rêve), c'est impressionnant d'invention autant que de maîtrise. On sent l'effort pour immerger, perdre le spectateur, et pour la majorité des gens qui vont au cinéma comme au spectacle, ça atteint parfaitement les objectifs espérés...
Ensuite, comme tout film à concept, il y a des choix d'exploration qui nécessairement prennent à contre-sens la première heure, car celle-ci laissait imaginer des possibilités infinies... le film a des limites dans son développement - les choix de l'auteur (les rêves tournent irrémédiablement au film d'action, comme une concession implicite au pop-corn movie... les personnages sont tous construits dans un puzzle émotif qu'il est possible de résoudre, et l'ensemble de ces puzzles en forme un autre, prédominant, qui touche à l'essence même du film, etc.).
Pour moi, et bien que je ne sois pas spécialement fan du film, et encore moins de Nolan (en tant que cinéaste), je ne peux que m'incliner devant ce maître du thriller psychologique à gros budgets. Il est le seul depuis une éternité (toujours ?) à appliquer une telle profusion de détails dans un blockbuster. Même Spielberg n'a jamais été aussi porté sur la mécanique du récit. Le gros hic pour moi, c'est qu'à la manière du bras de Schwarzy à la fin de
Terminator II, on voit sans cesse la structure métallique sous la chair, et qu'il ne me transporte jamais par la force de sa mise en images, y compris lorsque les films sont réussis à tous les niveaux (
Dark Knight,
Memento,
Inception).
Peut-être que tu préfères les histoires simples qui se complexifient à mesure que le récit progresse... et que tu as du mal à adhérer aux scénarii d'emblée ambitieux, qui t'apparaissent comme regorgeant d'une mécanique compliquée, pour accoucher in fine d'un vulgaire film d'action saupoudré d'un trauma père-fils superficiel. Pour ma part, je préférerais toujours les films simples qui deviennent complexes, aux films à concept dont je me suis toujours méfié (de peur que le concept étouffe toute émotion, privilégiant le rappel des règles peut-être pile au moment où j'étais prêt à vaciller...). Pour autant,
Inception est un scénario dinguissime, prodigieusement crafté, et comme il en existe qu'une poignée par an. Faut pas bouder son plaisir. Parfois ça prend, parfois ça ne prend pas. L'important, c'est de le tenter.
Il y a dans cette oeuvre, pour un regard de spectateur profane, une dimension émerveillée à s'y plonger, et donc une inclinaison naturelle à le considérer comme un scénario parfait. C'est une exagération à laquelle n'échappe aucun film proposant un univers, que ce soit
Matrix,
Star Wars ou
Dark City. On en revient toujours aux qualités réelles quelques années après leur sortie, pour s'apercevoir que c'est chaque fois l'imaginaire et leur mise en images qui est célébré, et pas vraiment le scénario.
Inception fait largement partie de ces spécimen.
Citation:
Et je n'évoque que rapidement cette fin ouverte que je déteste, comme toutes les fins ouvertes, mais ça c'est purement personnel et je comprend que cela puisse être considéré comme vachement cool (perso j'y vois un signe de faignantise de la part de l'auteur qui ne sait pas comment finir son histoire et décide de... ne pas la finir).
Là, c'est une pointe de mauvaise foi. Tu sais parfaitement que Nolan sait comment finir son film. Et si la fin est ouverte, c'est par jeu, car elle l'est faussement... il a saupoudré le tout de multiples indices concordants. Cette fin n'est pas ouverte, ni fainéante, ni même en queue de poisson... elle est ludique. Et là, je crois qu'une grande majorité de spectateurs préfère, parce que ça prolonge le plaisir en dehors de la salle de projection.
Citation:
Ensuite, je n'ai pas aimé le fait que les axiomes de l'univers onirique du film soient extrêmement mal posés. Nolan sort de longues scènes où les personnages dictent les règles du jeu (et on me dit que c'est un super scénar non mais je rêve muahah), mais ce qui est vraiment dramatique c'est que même avec ça certaines choses restent floues. Pour moi Inception est un échec lamentable de story-telling. Là où la véritable force d'un bon scénario se mesure à sa capacité d'enseigner au spectateur les règles du jeu d'un univers donné sans qu'il ne se rende compte qu'on les lui apprend, Inception dicte et échoue. Il échoue aussi en partie car l'univers lui-même est mal posé, et ça se voit. Nolan se permet des gratuités que je n'ai pas aimé, à commencer par cette malette magique qui permet de faire des rêves communs. Ça n'a pas l'air de poser des poser de problèmes aux autres. Moi ça me soule. Au moins Matrix proposait une véritable explication à la matrice. C'est sans compter la tonne d'incohérences/interrogations apportés par les différents doutes sur l'histoire très mal posée. Je ne vais pas lister tout ce qu'on peut trouver sur les différents forums de ciné, mais tenez un exemple : pouquoi les personnages ne sont pas en apesanteur dans le niveau de la neige ?
Au petit jeu des incohérences, aucun film à concept n'échappe aux critiques. Cela dit je te rejoins sur cette impression de subir un tutoriel pesant, pour au final ne jouir que d'une heure de cinéma
live. Ce que Nolan tente à mon avis, c'est le coup classique de "voilà comment ça va se passer", afin que tous les spectateurs puissent mesurer à chaque instant la difficulté des paliers, afin surtout qu'ils sachent toujours quand et comment le plan va partir en vrille, et qu'ils se créent eux-mêmes leur propre dose de suspense, proportionnelle à ce qu'ils auront ingurgité comme règles dans la première heure, ou proportionnelle à leur imagination. C'est un cinéma très interactif, où chaque action est pesée par le spectateur, réfléchie par le prisme des règles de Nolan et par le prisme de la réalité de notre monde.
Citation:
L'ultime déception arrive lorsque, au milieu du film, alors qu'on est en train de se rendre compte qu'il n'y a aucun enjeu dramatique, puisque tout n'est que rêve
Attention, ce n'est pas que le rêve le sujet, c'est surtout les idées et la pensée. Le rêve est un moyen d'implanter une idée, et le background susceptible d'être contrôlé sous conditions.