So... Je vais essayer de pas être trop brouillon.
Citation:
ça se veut concis et fragmenté mais chaque scène est trop dilatée pour que l'ensemble tienne, les cadres se veulent précis et composés, mais pas trop, il faut que ça flotte, qu'on n'impose pas trop au spectateur ce qu'il doit voir
Je pense en fait que le but est surtout de ne pas tirer une sorte de beauté glacée (à la Kubrick, par exemple) du travail d'épure : que l'épure ne se donne pas en spectacle, mais qu'elle soit seulement un moyen de retourner l'attention et le regard vers les personnages, sans qu'on ait à prendre conscience du système installé autour pour que ça marche. Le mot était peut-être pas bien choisi : c'est moins l'épure que la simplicité qui est recherchée. On a dit que le film est humaniste, on pourrait dire plus simplement qu'il est "chrétien" (d'une humanisme chrétien si on veut) tant il en épouse les concepts et la pensée. Et cela a, je crois, des répercussions formelles. Je m'explique...
C'est sa particularité, ce film a pour sujet et objet central
une idée (l'existence d'une transcendance, d'un amour universel, apellons-la comme on voudra). Idée à laquelle ces hommes ont fait don de leur vie... La foi en cette idée est testée par les évènements : était-ce une posture, des paroles en l'air ? A l'arrivée du danger, une logique factuelle, raisonnable, semble devoir surplanter l'idée : en gros, "la théorie c'est bien joli, mais là vous allez mourir, réveillez-vous". Or le retournement du film, est de faire passer cette logique pour parasite, et de réactiver la force première de ce pourquoi ces hommes sont là : nous croyons à cette idée, nous pensons que c'est tout bêtement la vérité, et y rester fidèle est plus logique, fait plus de sens, que le petit déchainement des évènements qui nous entourent.
(d'ailleurs, c'est un des trucs qui me gêne dans les scènes de discussions chez l'habitant, tout le trip "l'oiseau et la branche" : les raisons de rester n'ont pas à être matérielles ou factuelles, tout le film se penchant sur un processus purement mental, de pure foi). Si j'insiste sur ce point là, c'est que la forme du film me semble être un découlement logique de cette ré-affirmation spirituelle que vivent les personnages : cela me semble faire fausse route que de chercher, dans le film, quelque chose qui viendrait embellir (rendre plus original/inspiré/complexe, ou au contraire élégamment conceptuel) chacune des scènes, comme pour leur donner un surplus de substance. La démarche du film est autre : c'est très logique par exemple, dans le chemin que se trace le film, que les scènes chantées soient filmées d'assez loin, dans une image décontrastée et terne qui ne mythologise pas, qui filme le processus de manière presque "réglementaire", sans jamais fantasmer le sentiment religieux, sans jamais utiliser la possibilité d'une emphase. Le film, formellement, se met au niveau de la religion catholique qu'il accompagne : le sentiment spirituel ne va pas se ressentir par la preuve, par l'effet (un gros plan stylé, un jeu de lumière expressionniste, un échange dialogué virtuose... qui feraient grosso-modo office de veau d'or), mais par la foi (l'invisible), la capacité que chacun va avoir à poser face au monde un regard qui le remplisse de sens. Il en va de même pour le film : ce vide factuel prépare un terrain prêt à être rempli par la puissance envahissante de l'idée (de pourquoi rester), laissant la place à l'épanouissement de ce qui n'est pas concret.
Pour que le pitch et le choix tel qu'il nous apparaît iniatialement (soit une décision butée et "fait divers" de rester au monastère pour des raisons très théoriques) devienne une sorte d'évidence (englobante, intime, totale), il faut que le film sème et travaille sa simplicité patiemment, calmement, sans verser ni dans l'épure glacée picturale, ni dans le spectaculaire.
Ca ne me choque pas du tout, ainsi, que le film accumule des scènes au bord de la naïveté : la petite discussion toute simple sur l'amour, les baskets données à la villageoise, Wilson qui se pose au bord du lac... L'aspect élémentaire de ces séquences n'est pas une faille, une maladresse ou une paresse : ces scènes n'ont pas pour visée de faire passer des messages, mais au contraire de nous transmettre cette impression d'essence et de simplicité qui s'en dégagent (la simplicité n'y est pas un moyen, elle est le but).
A quoi sert-elle ? La vision, incroyablement idéalisée (et c'est aussi ça, le côté western, pas que les paysages fordiens), d'une communauté d'avant les conflits de religion, dans une sorte d'osmose quotidienne aux rouages sommaires, répond au vide du monastère ne donnant qu'à voir ce qui reste parmi les décors vacants : les hommes et leur idee. A une visite de Noël et aux croates près, le plus fort du récit n'est majoritairement construit que sur des choses qui "n'existent pas" matériellement : les doutes d'un moine, la fatigue inquiétante d'un docteur, la décision qui se répand au sein du groupe, etc. Ainsi, la majorité de ce qui fait le film se passe dans l'invisible (on en revient à la foi chrétienne). Il y a ainsi une vraie logique à se concentrer sur l'essentiel (le dilemne mental), et d'envoyer valdinguer tout ce qui peut parer, orner, remplir de péripéties, rendre élégant, tragique (ou même belle !) la décision de ces moines. Pour qu'on rentre vraiment dans les arcanes mentales de la décision prise, pour qu'on puisse entrer en symbiose avec la conception que ces hommes se font à ce moment là de leur place dans le monde et de leur spiritualité, il faut couper tout ce qui fait écran entre nous et leur pensée, y compris le lyrisme.
Film humaniste, donc : il ne reste que les hommes, face à un décor d'ailleurs souvent abstait (minéral, désertique, immense : on a souvent cette impression des "hommes seuls face au monde"), sentiment qui redirige immédiatement le regard vers leur humanité. Je conçois qu'on puisse reprocher, à Beauvois comme à Champetier, de ne pas avoir assez souligné cette essence (au hasard, de ne pas avoir alterné mathématiquement scènes de contemplation silencieuses de la nature et scènes de débats autour de la table, par exemple) ; de ne pas avoir en somme poétisé le fonctionnement du film, de ne pas l'avoir rendu visible. Mais là encore j'ai le sentiment que ce serait justement aller contre l'effet réel sur le spectateur, contre ce retour constant et automatique à l'humain que permet la discrétion des opérations (et du travail réel) de la mise en scène. C'est pour ça que je dis (je me répète, hum) que ça me semble moins "épuré" que fondamentalement "simple", car notre regard est dirigé vers eux avant d'être attiré par le vide qu'on a fait autour pour permettre cette lisibilité. Que le climax du film se résume à la possibilité enfin offerte au spectateur de scruter une série de visages comme autant de trésors ou de paysages (car la vraie émotion de la scène, elle vient de là !) en dit long, pour moi, sur la puissance humaniste que ce film est parvenu à puiser de ce travail cinématographique patient.
Que l'idée de mise en scène utilisée alors et que la scène semblent trop simples ou faciles, comme tu le dis, ne me gêne pas. Ca va pour moi dans le sens de ce que le film a recherché. Oeuvre de pauvreté si tu veux, de maturité plus certainement (je vois très bien ce que tu veux dire par là, même si à mon sens il y réussit !), en tout cas tentative d'un retour à certaine essentialité du cinéma, en se coupant des détours inutiles.
PS :
Pour revenir au travail de Champetier, dont il est peut-être plus facile de parler (c'est concret), je te prendrais l'exemple de la prière au matin du jeune moine barbu, dont j'ai mis une photo, de plateau malheureusement, en page 1 :
. On a deux éléments : les rayons de soleil pur qui traversent le vitraux, et le naturel recherché de la photographie. Et bien je trouve qu'il y a un travail, un vrai, pour sortir ce rayon de soleil pur de son symbolisme mastodonte, de son lyrisme, du côté envahissant qu'il pourrait avoir sur la scène (qui nous demande, une énième fois, de nous concentrer sur le moine lui-même) - et ça va au-delà de gérer la surexposition sur la robe blanche... Je suis pas fan, habituellement, du travail des chef-op français et de leur lumière naturaliste, mais même si elle a l'air profondément détestable
, je suis toujours épaté par le boulot de Champetier, son tavail s'avérant toujours aussi mesuré et discret qu'intelligent. Sa façon de toujours faire passer l'équilibre de l'image, sa fonction dans la scène, avant une flamboyance qui viendrait mettre en avant ses talents de chef-op, est quelque chose que je trouve admirable.