Bon bah vu en retard, malheureusement pas en 3D, et si ce film confirme que la firme a retrouvé un peu de dignité et de self-estime depuis l'arrivée de Lasseter, j'ai quand même un peu l'impression que celui-ci la laisse coincée dans une impasse qui empêche chacun des films d'être réellement marquant.
Alors je préviens, parce que ce qui suit va sembler injustement sévère, que c'est sans doute leur plus belle réussite depuis longtemps. Mais c'est justement parce que le film laisse entrevoir beaucoup de possibilités qu'il dégoûte à ne rien savoir en faire de grand (ou alors on considère que c'est un produit lambda Dreamworks et on s'en contente, mais bon...)
Le meilleur du film, c'est son ambition de réveiller l'imagerie du conte, comme le montraient les premiers artworks qui faisaient saliver.
Le film essaie donc de renouer avec le genre du merveilleux. Il y échoue sur un peu près tous les plans.
La photo (probablement la 3D aussi, j'imagine) cherche pourtant à entretenir l'émerveillement, dans une sorte d'explosion de couleurs maîtrisée. Les idées de lumière (les loupiotes qui illuminent la ville, la chevelure lumineuse sous l'eau) ou de décor (la tour au milieu de son fossé à la lumière ambiguë et changeante) sont bien présentes. En allant pour une fois plus loin que le conte, en explicitant le rôle de mère castratrice de la sorcière, en n'hésitant pas à jouer de la concurrence de séduction avec une fille qu'elle vampirise (comme dans leur tout premier long...), en acceptant une pincée de mort (un peu de sang, de menace de noyade, une corde de pendu qui traîne pas loin), le studio a compris ce qu'il devait travailler pour donner du poids à son film.
Par la sorcière donc surtout, par les jeux purement graphiques aussi (la révélation face aux fresques) il y parvient subrepticement, par intermittences, même si c'est jamais très long ou solide. Des plans comme ça, qu'il faut néanmoins attendre l'extrême climax pour à peine entrevoir :
Je sais que le film ne peut pas être QUE ça sur 1h30, et que ca n'a de toute façon jamais été le but, le style et le talent de Disney d'étaler du sombre, du baroque ou de l'expressionnisme d'un bout à l'autre des films. Mais parce que le style des films sera justement toujours plus propret et cloisonné que les somptueux artworks, parce que le pur déchaînement graphique sera toujours neutralisé, les meilleures œuvres de la filmo (notamment les films des années 30-40 et des années 90) leur redonnaient de l'ampleur autrement, en confrontant le matériau à une réelle mise en scène : il y avait un travail solide, en dehors des pics sombres et maniérés, qui savait mettre ceux-ci en valeur aux moments-clé, menant le film dans son entier comme un tout cohérent, faisant poindre une vraie narration du découpage ; bref, prenant fermement le film en charge.
Or c'est impossible ici, le panier est percé de tous les côtés : pas un geste romantique sans qu'un personnage se sente obligé d'en ricaner, pas une envolée lyrique sans qu'un système rodé de chansons anonymes - devenues pure recette dont le film déroule le programme sans visiblement trop savoir pourquoi - vienne phagocyter toute possible ampleur... pas une idée qui ne passe au rouleau compresseur d'un point de vue inexistant, l'âme du film ne pouvant ressurgir que par ce genre de pics, petites percées formelles circonscrites. Le studio semble chercher tout au long du film ce qui fait le cœur palpitant de cette filmo, farfouillant dans ce qui lui reste d'automatismes quelconque recette, mais malgré toutes ses tentatives, l'ensemble reste irrémédiablement bloqué. C'est une distance définitive au premier degré qui est ici à l'œuvre : l'incapacité de faire une vraie scène, de prendre un risque dans le découpage et la narration, de taper du poing sur la table en imposant un point de vue, de percer le vernis du produit parfait sur-maîtrisé, sur-contrôlé, sur-aseptisé, dont ils ont malgré eux fondé le modèle en fin des années 90. Face à ce mur, aussi travaillée soit la lumière, aussi recherchés soient les enjeux du scénario, rien ne peut réellement se réaliser à l'écran : tout est là, en projet, mais sans réel effet.
Le seul élément du merveilleux qui survit, comme dans les phases les plus vides de l'histoire du studio, c'est finalement l'animation, le plaisir du mouvement - seul élément digne de l'imagerie du conte qui est là, tangible, vivant à l'écran : les jeux de chevelure (ou toute autre phase de célébration du mouvement, comme la scène de danse, seule véritable "scène" à proprement parler d'ailleurs).
Pour le reste, le film se suit agréablement, car question humour, cartoon, rythme, le studio a su trouver une efficacité qui lui est propre : on sent fuser les idées sans que cela ne brise une certaine tendresse pour les personnages, dont les échanges restent sympathiques. Mais ça ne fait évidemment que divertir un ensemble qui ne sait pas trop quoi en faire non plus, et quand ca consiste à sortir l'habituelle panoplie de persos secondaires fonctionnels, on se dit que toute cette vitalité très balisée n'est qu'un élément de contrôle de plus...
Bref, c'est plaisant, mais ils sont dans un beau merdier, là.