Gontrand a écrit:
Paradoxalement, le premier film de Myazaki que je vois (je n'en avais encore jamais vu) sera sans doute son dernier, et qui semble en rupture avec sa manière habituelle.
J'ai vraiment trouvé "le Vent se Lève" très intéressant. Le sujet "visible", une biographie à la fois documentée et onirique (avec des vrais flashes psychédélique) de la vie d'un ingénieur de la firme Mitsubishi (d'ailleurs productrice du film, ce qui n'est pas innocent*) qui a fait la transition entre l'âge des pionniers de l'aviation et celui de la modernité technologique, qui a permis le le nationalisme et le fascisme, m'intéressait déjà beaucoup et j'ai apprécie l'angle du film, qui oscille entre la fascination pour la beauté des avions, et la représentation d'une culpabilité pour la guerre d'agression du Japon, effectuée au moyen de ces mêmes avions.
De manière juste, le film ne représente pas cette culpabilité politique comme un discours évident et manifeste, mais au contraire comme quelque chose de sous-jacent, qui est véhiculé par des lapsus, des confessions confuses entre amis et des visions, et est finalement encore plus inaccessible, souterraine et détournée que les rêves et les hallucinations de l'ingénieur (d'ailleurs vraisemblablement psychotique, Myazaki est assez fin en montrant cela). sur ces questions, le dessin animé permet de représenter et rendre palpable une vérité historique et morale qu'un film aurait plus de mal à cerner (il verserait dans l'illustration, alors que le dession animé représente au contraire le contexte politique et international comme une sorte de vision).
Derrière ce sujet visible, le sujet profond du film est en fait une fresque sur le Japon de 1918 à 1941. tout y passe: l'intégration dans la mondialisation économique vers la première guerre mondiale, le tremblement de terre de 1923 (passage superbe), le nationalisme et l'alliance avec les fascismes européens, puis enfin Pearl Harbour et 1945, qui sont montré concaténes dans une ellipse cauchemardesque, courte mais marquante.
C'est très intellectuel (peut-être un peu trop): le titre est emprunté à Paul Valéry, c'est sans doute parmi les films jamais tournés, celui où son nom est prononcé le plus de fois, et le personnage est bien une sorte de M. Teste finalement.
Le milieu du film est carrément consacré pendant 45 minutes à une dérive où Myazaki imagine ce que penserat Hans Carstop, le personnages de "la Montagne Magique" de Thomas Mann s il avait vécu 20 ans plus tard, pendant la montée du fascisme (Hans Carstorp est un personnage du film). Myazaki s'en sort plutôt bien, utilise le médium du dessin animé pour convertir un discours culturel en vision sensible, en paysage. On n'est pas si loin d'un film comme "le Conformiste" de Bertulocci, mais c'est en même temps complètement différent.
Politiquement, c'est discutable mais hyper-intéressant, même si les accusations de complaisance envers le nationalisme japonais sont injustes et moralisatrices, comme sont ridicules les commentaires choqués par la scène de la cigarette, alors que c'est justement cette scène qui marque le moment où Myazaki va s'aloigner dans le film de son personnage, cesser d'en faire un double pour le juger....c'est en fait très beau.
Myazakiaà je crois tendance à tomber dans une doxa (qui se retrouve aussi en Europe) faisant du fascisme italien un recours et une anti-thèse du nazisme. Cela apparaît via via la figure de Caproni, qui apapraît en rêve comme le surmoi de l'ingénieur, qui le guide de l'enfance à l'âge adulte, et réapparait après le voyage en Allemagne dans la firme Junker pour tracer le bilan moral de ce que l'ingénieur a vu : "Veux-tu un monde avec pyramide, ou sans pyramide: moi j''ai chosi un monde avec des pramides, même si je n'oublie pas qu'elle sont issues de la souffrance".
De même Myazaki n'élude pas la question de l'alliance (qu'il représente comme objective mais lointaine) entre le Japon et l'Allemagne hitlérienne qui est exactement redoublée par la question de l'articulation entre le fascisme et le progré technologie: les deux ordres de relations ont la même configuration. Mais singulièrement il la déplace: la critique du nazisme est uniquement axée sur celle du racisme entre alliés, ce qui est un prisme singulier. Et la figure de l'ingénieur, dans ce débat est justifée moralement, le personnage trouvé en même temps un maître technique et moral: le chef de l'usine Junker, ingénrieur génial mais invisible montre par des signes qu'il perçoit le racisme latent derrière l'idée que les Japonais cherchent à copier techniquement l'Europe: il est moralement plus haut que sa création industrielle, limite l'ensemble de sa praxis politique à cette création.
D.H. Lawrence est il me semble assez proche de Myazaki intellectuellement et politiquement. On trouve chez ces deux artistes le même type d'oscillations, sur le féminisme (chez Lawrence où il y aller et un retour entre des passages superbes, où la subjectivité des personnages féminin est souverainement lucide et combative; puis d'autres qui théorise une vision cosmologique complètement phallocenriques) ou sur la lutte des classes (Lawrence -fils de mineur lui-même- est très incisif sur l'hypocrisie d'un patronat paternaliste, qui se berce de ses propres vélléités philantropiques pour cacher des rapports de force nus, mais d'un autre côté la souffrance de la classe ouvrière est montrée comme la conversion d'un déterminisme social en déterminisle biologique et l'effet d'une damnation quasi-biblique, le prolongement transcendant et inexpiable de la bêtise humaine). Dans ce Myazaki, il y a aussi un même type d'oscillation entre compassion et distance hautaine, comme dans la scène de la prise d'assaut de la banque, et surtout dans celle du gâteau que le personnage de l'ingénieur n'arrivé pas à donner à des enfants en guenille: il leur reproche en fait de ne pas mendier, comme pourraient le faire Gerald Crinch ou Rupert Birkin dans "Femmes Amoureuses".
Mais les recours politiques sont opposés. Chez Lawrence, il y a l'idée qu'une table rase radicale de la modernité, du matérialisme, et une rupture avec l'Angleterre pour une expérience de déracinement cosmopolite sont des échappatoires. Chez Myazaki au contraire de la table rase, il ya l'idéalisation d'une sorte de point d'équilibre utopique, sirué après le moment où la colectivité acquiert sa maturité technologiqiue, devient une puissance pouvant se faire respecter, non de ses citoyens, mais des autres puissances (l'altérité existe, mais ne connote que les rapports entre groupes), et avant celui où cette puissance acquise se converti en fascisme. Ce moment-charnière semble pour Myazaki le seul moment où un discours moral puisse prendre place, ainsi que le seul où le jugement politique de la collectivité est possible. Seul ce qui est achevé tout en n'étant pas été confrotné à sa propre chute, à sa propre discussion, peut faire l'objet d'un jugemennt et d'une critique politique. La fiction est alors moins la mise en scène d'un imaginaire (qui est là, foisonnant, mais immédiat), qu'une mise en scène expliquant les limites et la délimitation exacte de ce moment charnière, l'enfermant sur lui-même.
-Quant au trait, je l'ai trouvé très beau pour les paysages, les avions, les machines, les ville. Ce que j'ai compris en voyant le film, c'est que l'europanéisation des traits physiques des personnages du manga n'est ici pas un moyen de trouver une forme graphique consensuelle et exportable internationalement (soit une logique où le spectateur est apppelé à se reconnnaîte dans le contexte du film), mais au contraire l'expression d'une logique de séparation. C'est frappant dans la scène du tramblement de terre: dans le train, les personnages centraux sont dessinés de manières européennes, mais le reste des passagers, les autres réfugiés, sont représentés avec des traits physiques asiatiques. Ce qui fait croire à une logique de reconnaissance dans les autres dessins animés, c'est peut-être qu'il ne mettent pas en scène le peuple.
-C'est vrai qu'il y a peut-êttre quelque chose d'assez froid, une sorte de psychédélisme didactique, dans certains mangas animé. Dans "le vent se Lève" ce qui est dessiné, habité et parle, ce sont des grandes idées, des complexes politiques collectifs et leur développement. Ses personnages ce sont la nation, la modernité, la technique la culture allemande, la culture italienne, l'Europe, la littérature, la disparition du formalisme symboliste dans l'idée politique, le Japon des années 1930 dont Myazaki parvient très bien à faire comprendre qu'il était à la fois impérialites et complexés par des préjugés racistes. Mais ce ne sont pas dls humains. Cette froideur, de manière un peu différente, m'avait frappé dans Jin-Roh: la réprésentation de la ville, du régime politique dans une histoire parallèle où le fascisme aurait survécu à la défaite, étaient fascinantes, mais je n'arivait pas à croire aux personnages qui étaient des pures idées, et encore moins incarnés que le contexte qui les situait. Je n'éprouvais absolument rien quand le personnage de la jeune fille martyrisée se révélait être une agent double dont la mort était programmée dès le début, mais la souffrances des silhouette d'une foule normale, à la fois complètement achevée et furitive, était le signe d'une souffrance difficile à oublier.
* je ne sais pas dans quelle mesure cela correspond à la vérité historique ou pas, mais dans le dessin-animé de Myazaki, les cadres de l'usine Mitsubishi sont présentés de manière plutôt flatteuse comme ayant eu des vélléités de résistance contre le régime de Hiro-Hito, au point d'avoir des tracasseries avec la police politique. Dans le film, plus on monte dans la hiérachie de l'entreprise, plus le personnel de la firme travaille et développe ses projets d'armement sous contrainte policière. Le peuple est montré comme le ressort du fascisme, mais l'autorité au sein des rapports de production comme ce qui essaye vainement de s'en exonérer.
4.5/6
Texte intéressant.