Donc je viens de le revoir, en prévision du second, jeudi.
Je me rappelle encore quand, après avoir vu X-Men, je me suis remis dans les comics (et j’en suis plus jamais sorti en fait) et l’une des premières BD que j’ai choppé était le Batman Year One de Miller. Déjà à l’époque, je voyais Bale dans le rôle. American Psycho était sorti la même année et il n’y avait qu’un pas entre Bateman et Batman (oooooouuuh), ou du moins entre Bateman et Bruce Wayne et plus précisément le Wayne public, le mec qui doit dissimuler la bête derrière une image de riche playboy en costard avec une attitude de connard et pro des affaires. Bale avait tout le background nécessaire…de l’orphelin d’Empire du Soleil au membre des Jeunesses Hitlériennes de Swing Kids, même Hamlet dans Le Prince de Jutland…et depuis on sait comment il a appris à maîtriser la figure du mec super droit dédié à sa cause, y a qu’à voir Le Règne du Feu ou Equilibrium…et y a qu’à voir The Machinist ou Harsh Times pour voir la profondeur du jeu de ce mec… Dans Batman, il montre un peu de toutes ses facettes…notamment parce qu’il s’agit du premier Batman qui parvient à cerner les différents aspects du personnage…le Bruce Wayne privé, brisé par la mort de ses parents (cf. ses scènes avec Rachel ou Alfred), le Bruce Wayne public comme cité plus haut (cf. les scènes avec Lucius ou Earle) et évidemment, Batman, le symbole qu’il doit endosser pour « turn fear against those who prey on the fearful »…
Et ça c’est l’un des aspects sur lesquels la mise en scène se révèle vraiment originale et inventive comparée aux autres Batman…tout le baroque de Burton ou Schumacher n’a jamais pleinement saisi cette image-là du justicier…ça passe parfois par de petites choses (le fait qu’on ne voit jamais le costume pleinement, notamment les abdos…alors que dans les 4 autres films, tu les vois bien au moins une ou deux fois) mais ça passe surtout par des parti-pris osés (sa première apparition qui adopte le point de vue de ses adversaires, pour lesquels il EST « The Batman », créature mi-homme mi-animal qui leur fout les jetons, filmé comme dans un film d’horreur, comme un monstre happant ses victimes une à une, ou un monstre pendu à l’envers qui soudain déploie ses ailes) et la Palme va au passage où Falcone le voit au milieu de plusieurs hommes qu’il dézingue, à peine perceptible…
La mise en image joue constamment sur la confusion…comme dans cette scène au début où, non-content de tous les habiller pareil, Nolan flanque Wayne et les autres prisonniers dans la boue, les rendant encore plus similaires pour illustrer le fait qu’à ce stade, Wayne n’est encore qu’un vulgaire criminel, se comportant comme eux. Ensuite, lors de la fin de son entraînement, la confusion est le but même de l’exercice, avec tous ces ninjas vêtus à l’identique et qui réarrangent leurs rangs pour déstabiliser Wayne… J’aurai plus de mal à justifier la mise en scène confuse du combat de Wayne contre les hommes de Ra’s dans les cages d’escalier sur la fin…mais j’ai jamais trouvé le reste de l’action illisible, genre dans les combats contre Ra’s.
De toute façon, même dans la BD, Batman ne se prête pas vraiment au film d’action…la précédente franchise avait déjà essayé d’orienter la licence vers le blockbuster conventionnel, notamment avec les Schumacher, purs produits des ‘90s (tandis que les Burton était plus ‘80s, donc moins « cahier des charges » dans l’action). J’avais peur que son approche « réaliste » ne nuise à l’aspect mythique du perso, de l’univers mais le film ne perd rien de son caractère iconique. Et en fin de compte, je trouve l’esthétique de Nolan absolument fabuleuse. Il annonce la couleur dès la séquence du meurtre des parents Wayne où contrairement à beaucoup d’illustrations de ce moment-clé dans la vie du personnage, la scène n’est pas montrée d’un point de vue céleste, en plongée totale, mais parallèle au sol et au niveau du sol justement. On capte tout de suite que l’approche sera terre-à-terre, à hauteur humaine. Et quand la caméra s’envole, ce n’est que rarement et l’effet n’en est que d’autant plus fort (la découverte de la Batcave, Batman qui veille sur la ville depuis une corniche, le dernier plan, etc.). Je me suis relu récemment les deux mini-séries de Jeph Loeb/Tim Sale, The Long Halloween et Dark Victory (qui se passent durant les années fondatrices du héros et ont comme influence majeure Le Parrain et autres modèles du même calibre), qui sont indéniablement les influences majeures du film, au même titre que Batman Year One, tant dans la forme que dans le fond : le côté « polar/enquête » davantage assumé et exploité (l’un des surnoms de Batman n’est pas The Detective pour rien), son côté très urbain (on s’inspire de Chicago et Hong Kong pour Gotham City et on donne dans l’immense sans jouer l’expressionnisme allemand, les statues géantes et l’architecture pas possible), et sa multitude de personnages…
Incroyable d’ailleurs de voir comment le scénario parvient à gérer un nombre incroyables de protagonistes importants en 2h15 là où 4 films de 2h n’ont pas réussi à le faire avant…outre Wayne/Batman qui n’a jamais été aussi pleinement et fidèlement exploré à l’écran, on a une flopée de figures paternelles bien plus vivantes que les figurations des épisodes précédents… Par exemple, Michael Gough en Alfred a toujours été une constante assez correcte dans les Burton comme les Schumacher mais jamais n’a-t-il eu un rôle aussi important que dans le film de Nolan où il incarne les vestiges de la famille Wayne, le nom et l’héritage à respecter pour le jeune Bruce. Jamais n’y a-t-il eu de scènes aussi touchantes dans la saga que celle où Alfred console Bruce enfant. Pour ce qui est de Gordon, c’est absolument SANS COMPARAISON. Dans les précédents, on a un gros qui sert à rien. Dans celui-ci, on a l’un des rares « partenaires » de Bruce dans son combat contre le crime…et à ce titre, j’ai hâte de voir le trifecta Batman/Gordon/Dent dans The Dark Knight. Je croyais pas du tout en Oldman et finalement j’hallucine devant le caméléonisme de ce mec… Avoir réussi à inclure dans l’intrigue un personnage obscur comme Henri Ducard, pour en faire le mentor de Wayne, puis son adversaire (Neeson évidemment parfait pour le rôle), c’est couillu…foutre Ra’s Al Ghul ET l’Epouvantail ET Carmine Falcone EN PLUS dans l’histoire, et à rendre le tout cohérent et pertinent, là ça tient du talent… Ils sont tous parfaitement exploités…utiliser les mafieux de la BD pour autre chose que du vulgaire cartoon contribue vachement à l’aspect polar et ancre les débuts de Batman dans une quête contre une criminalité vérace, qui n’est pas encore celle des freaks (hâte de voir la passation entre la vieille garde et le Joker/Double-Face dans la suite). Et c’est pas fini…Freeman en Fox, Hauer en Earle, et, oui oui, Holmes en Rachel. Qu’on aime ou pas son interprétation (moi elle me va franchement), on a une Wayne Girl qui sert à quelque chose au moins. Deuxième derrière Catwoman (forcément). Mais largement devant Basinger/Vicki Vale, Kidman/Chase Meridian et Thurman/Poison Ivy ou McPherson/Julie Madison. Ici, Rachel incarne la conscience de Wayne…le rappelant à l’ordre au début avec ses baffes (scène la plus mature des 5 films) ou quand elle surprend le Wayne public faire le con avec ses meufs au resto…
Mais en plus d’un « simple » scénar et d’une grosse galerie de personnages bien traités, le film se permet même une thématique intéressante autour de la peur (comme les deux autres blockbusters de 2005, War of the Worlds et Revenge of the Sith). On nage en plein post-11 septembre : on peut facilement voir Ra’s et la League of Shadows, secte qui veut détruire par la Terreur la mégalopole symbole de la décadence, comme Ben Laden et Al Qaeda, avec le manoir Wayne en lieu et place des Twin Towers à reconstruire ; sans compter sur la peur à retourner contre ceux qui font régner la terreur… Le film n’a pas de “fond” politique mais exploite habilement l’actualité pour illustrer son propos (« You always fear what you don’t understand », « Don’t be afraid », « There’s nothing to fear but fear itself” blablabla) J’aime beaucoup aussi l’analogie faisant de Thomas Wayne une figure à la JFK, prompt au changement, assassiné par Joe Chill qui à son tour sera tué de manière identique à Lee Harvey Oswald par Ruby (un mafieux, au même titre que Falcone qui fait tuer Chill). Amusant de voir le même JFK cité dans le dernier acte de Superman Returns. Les points de vue de Nolan et Singer ne sont pas si éloignés en fait.
J’adore ce film, il est d’une richesse débordante. Je pourrais en parler des heures. J’adore la première heure du film et sa construction qui témoigne de la réappropriation du matériau par l’auteur et qui est une manière originale d’expliquer le parcours de Wayne, sa culpabilité, sa vengeance, son point de vue, en faisant se répondre passé et présent, en illustrant par la même occasion comment son passé hante justement Wayne, « the memory of your loved ones becomes like poison in your veins ». Je le trouve bourré de choix couillus (l’entraînement, les ninjas, les hallus, etc.). J’adore évidemment tous les cadeaux faits aux geeks au niveau des références ou de la construction du mythe qui arrive à éviter la désacralisation malgré la révélation de tous ses rouages (la fabrication du costume, des gadgets, la Batmobile, etc.). J’adore qu’il fasse preuve de beaucoup d’humour (les échanges Wayne/Alfred) sans tomber dans le cartoon, restant cohérent dans son univers. J’adore la musique, à des kilomètres des délires gothicolyriques d’Elfman (inoubliable thème des Burton) ou de Goldenthal (avec son thème sous-estimé pour les Schumacher) qui parvient à se faire nolanienne (on pense beaucoup au score envoûtant de Memento par David Julyan) tout en émanant les sensibilités de ses deux compositeurs, les valses martiales de Zimmer, la mélancolie de Howard, la naissance du thème (que j’espère exploité à fond dans The Dark Knight). J’adore la dernière scène. J’adore la dernière réplique. J’adore le dernier plan. J’adore.
6/6 évidemment.
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