Pfoooo je sais pas par où commencer.
J'ai trouvé ça fabuleux.
Avec Indiana Jones 4, on se disait avant de le voir, "vu le temps passé entre l'annonce du projet et sa concrétisation, obligé il a peaufiné comme un bâtard". Ce n'était pas le cas. Avec Lincoln, dernière arlésienne du cinéaste, c'est précisément ce qu'il a fait.
Ce projet aussi est passé entre les mains de différents scénaristes et il apparaît évident face à la forme qu'il a fini par adopter que Tony Kushner était le partenaire idéal pour porter cette histoire à l'écran.
Spielberg a toujours préféré raconter la grande Histoire à travers la petite, évoquant l'Holocauste via Schindler ou le conflit israëo-palestinien via une mission du Mossad, mais là, pour la première fois, il s'attaquait directement à un illustre personnage, connu de tous. Pas un anonyme, pas un composite de différentes personnes ayant réellement existé. Un mec. Et pas des moindres.
On peut tous se réjouir que l'ouvrage ait nécessité tant d'années pour voir le jour car il a évolué du biopic initial vers le film qu'il est aujourd'hui, très justement comparé à The West Wing, Kushner réduisant l'ouvrage massif duquel le film est tiré, ainsi que son propre scénario de base long de 500 pages, à un film de 2h30 focalisé sur un événement précis : le passage de l'amendement abolissant l'esclavage.
Ce faisant, il peut donc ramener le président à l'un de ses faits les plus marquants, et finalement raconter la grande Histoire à travers la petite, celle, incroyable, passionnante, de la lutte pour passer l'amendement.
Plus que jamais un portrait des coulisses du pouvoir, l'oeuvre est une complexe description de l'arène politique. Dans Munich, Kushner faisait dire à Golda Meir qu'il fallait parfois "faire des compromis avec nos valeurs" et cette thématique est à nouveau abordée dans Lincoln, qui ne fait aucune concession dans sa peinture d'un monde où même les plus intègres doivent manoeuvrer en serpents pour arriver à leurs fins, pour le bien de tous.
C'est un film qui n'a pas peur de dire que la société se doit de reposer sur une démocratie, soit un gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple, mais que ce peuple est parfois en retard, qu'il doit parfois être guidé par ceux qu'il a élu pour diriger ledit gouvernement.
Dans une des précédentes incarnations du projet, la Guerre de Sécession occupait une place importante du récit. Ici, c'est toujours le cas, mais elle est présente sans jamais apparaître à l'écran. L'introduction suffit à situer la réalité de la guerre, en une brève scène de quelques plans seulement, qui ne répète pas l'ouverture de Saving Private Ryan, avec son chaos "réaliste", mais opte pour une illustration de la situation du pays à ce moment précis : la saleté de la boue, ce pied qui écrase un visage. L'inégalité règne.
Mais Kushner et Spielberg ont tôt fait de repositionner la lutte ailleurs, dans les bureaux, dans les Chambres, à la Maison Blanche, au Capitole. C'est là que réside le véritable champ de bataille pour la liberté, et les armes sont des mots.
Nombre de spectateurs sans doute seront rebutés par l'aspect indéniablement bavard de l'entreprise mais il sied de manière plus que pertinente au propos du film, que c'est par le verbe que l'injustice sera vaincue. Ainsi Kushner écrit-il Lincoln comme un orateur de légende, qui sort littéralement des discours de son chapeau, toujours prêt à décocher une anecdote pour mieux véhiculer ses idées, conteur hors pair tel Spielberg, le grand communicateur, le grand manipulateur. Derrière le portrait de leader affable, je pense que le film ne cache pas la nature quelque peu tyrannique du bonhomme, prêt à tout pour imposer sa volonté.
Lincoln, c'est aussi le portrait d'un humain. Ce n'est pas une hagiographie. Il suffit de voir la manière dont Spielberg le filme, notamment au début, presque toujours petit, diminué, rendu minuscule, presque toujours assis, dérobant l'homme de sa célèbre stature. Il est tantôt plus petit que son interlocuteur, tantôt plus petit que le drapeau de son pays, il est souvent voûté, défait, il est à quatre pattes, il est en chaussettes, c'est un mortel.
Et puis soudain Spielberg le rend iconique. Il se lève, il pare, il hurle. Il va sans dire que Daniel Day-Lewis est à nouveau parfait, méconnaissbale, transformé, remarquable dans le moindre détail, de la voix à la posture, qui y sont aussi pour beaucoup dans la composition d'un personnage auquel on peut s'identifier.
Le réalisateur est sans doute plus en retrait ici que dans ses autres films mais il n'est aucunement absent. Au niveau de la mise en scène, au sens théâtral du terme - sens d'autant plus pertinent pour ce film précis - ça reste spielbergien en diable, dans le placement des acteurs, leur ballet sur la scène. Spielberg garde ce dynamisme qui réussit à faire passer un film sans structure de 2h30 de vieux qui parlent assis dans des bureaux à toute vitesse. Il réfreine Kaminski (et Williams, en sourdine la majeure partie du temps) presque tout le long, tout en se permettant des saillies de temps en temps. C'est brillant.
Ca m'a rappelé une autre oeuvre écrite par Aaron Sorkin : The Social Network. Cette humilité du cinéaste - même si Spielberg se fait davantage ressentir que Fincher - face au scénario et aux acteurs, tous remarquables, du second rôle criard voyant (Tommy Lee Jones) jusqu'au micro-rôle à contre-emploi (Walton Goggins) en passant par des performances au diapason (David Strathairn) et du troisième rôle trucculent (James Spader).
Le scénario, visiblement concentré sur cette simple intrigue, demeure non moins riche, arborant ce même discours que Munich, prônant le dialogue, ici entre deux partis, et deux divisions d'un même pays, deux races, érigeant un idéal maisn défait de la naïveté qui croirait en un gouvernement sans compromis, voire sans corruption. Et s'il faut tous ces mots pour le faire comprendre, il en sera ainsi, quitte à tomber parfois dans le didactisme. C'est un film cérébral mais au sang chaud. Sans pathos et pourtant émouvant.
Il y a quelques faiblesses, comme dans la sous-(sous-)intrigue concernant le personnage de Joseph Gordon-Levitt, fils aîné du président, qui n'a que quelque scènes pour vivre et en souffre un peu, même si elle joue son rôle dans le tout. A vrai dire, je trouve que le rapport, presque muet, et dans tout aussi peu de scènes, de Lincoln avec son autre fils, beaucoup plus puissant. Il m'apparaît évident que Spielberg est davantage intéressé par cette relation-là, dans la manière qu'il a d'inclure ce fils cadet un peu partout à travers le film, même lors de discussions politiques. Il y a deux scènes en particulier où ça m'a frappé : une où il garde le fil en arrière-plan dans le cadre lors d'une discussion cruciale, et évidemment, celle vers la fin, lors du vote. Peut-être la plus belle du film, dans le fond, dans la forme. Ces deux scènes me font voir ce fils cadet comme le futur pour lequel se bat Lincoln, l'enfant incarnant à lui seul l'enjeu de l'amendement tout entier. La génération à venir.
L'autre maladresse, c'est peut-être cette dernière séquence, ce dernier discours. Comme d'habitude, Spielberg semble faire durer son film une ou deux scènes trop loin. Y a d'ailleurs un détail qui m'a un peu rappelé le débat sur la scènes des douches de La Liste de Schindler
.
Enfin bref, ça reste une merveille à mes yeux, une oeuvre dense dont je ne saurais retranscrire la richesse avec cet avis.
6/6