Lorsqu'un missile de provenance inconnue est lancé sur les États-Unis, une course s'engage pour déterminer qui est responsable et comment réagir.Lorsque je pense aux films de Kathryn Bigelow, je vois les routes dévalées par le camping car de
Near Dark, les courses-poursuites et les sauts en parachute de
Point Break, les incroyables plans-séquences immersif en vue subjective de
Strange Days. La première partie de la carrière de la réalisatrice est composée d’œuvres d'un cinéma kinétique.
Au sujet de
The Hurt Locker, je déplorais que Bigelow ait troqué à partir de ce film la Steadicam pour la
shaky cam, comme apparat d'un certain réalisme, mais en repensant à ses derniers films, ce constat m'apparaît sous un jour nouveau : la cinéaste a surtout troqué un cinéma du mouvement pour un cinéma du surplace. Le sous-marin de
K-19 était constamment en mouvement, au même titre que les soldats parcourant ses coursives mais dans son film de guerre suivant, Bigelow ne plonge pas ses soldats sur un champ de bataille qui pourrait les amenait à courir, elle choisit une arène où les personnages sont amenés à agir sur un lieu unique et qui implique beaucoup d'attente (le désamorçage évidemment mais, plus parlant encore, le morceau central de sniping). Une grande partie de
Zero Dark Thirty consiste à attendre qu'un prisonnier parle ou qu'une caméra de surveillance montre quelque chose (et s'il y a bien le raid final, l'héroïne en est absente, restant dans l'expectative).
Detroit se déroule similairement dans un état de siège.
A House of Dynamite permet plus que jamais à l'autrice d'explorer cette notion, en se focalisant sur des personnages de la plus haute importance, parmi les plus puissants, mais qui sont tous coincés dans différents bureaux, immobiles, à attendre une intervention, une information ou une prise de décision. Tandis que le missile, lui, bouge, sa course continuant inéluctablement sur l'image satellite.
Toujours une cinéaste du regard, Bigelow surenchérit sur l'importance des écrans, non pas dans une réflexion sur la surveillance et le voyeurisme cette fois-ci, mais pour développer un propos sur l'interconnectivité, avec tous ces écrans, ces cadres multiples, tous ces appels, ces communications, parfois rendues difficiles par des conneries techniques de
conference call impossible ou de mauvais réseau, et cette poignée de gens élus, littéralement par le peuple ou bien par le protocole qui leur garantit une place dans le bunker, pour décider, à l'aveugle, du sort du monde. Un monde qui est largement gardé invisible, exclu.
On n'est pas du tout dans une propagande de la compétence du gouvernement américain, bien au contraire. Le film montre à la fois comme les choses peuvent mal tourner même quand tout le monde fait son travail comme il faut et comme, dans une certaine mesure, rien ne nous prépare réellement à cette éventualité. Les protocoles sont partout dans le film : il n'y a pas que ceux des lignes de codes à lire et double-confirmer, commune à ce sous-genre de films, ils sont là dès le début, du téléphone portable à verrouiller dans une boîte hors de la salle de crise jusqu'au choix du déjeuner pour pas ralentir la file à la Maison Blanche en passant par les injonctions à
"Have a Nice Day" des collègues et...du bus que tu prends pour aller taffer! Le scénario érige un univers de règles pour mieux le montrer s'effondrer face à la réalité.
Cette réalité, c'est aussi l'humain derrière tous ces être-rouages de la machine gouvernementale parfaitement huilée. A l'instar du dernier Greengrass, on pourra s'interroger sur la potentielle contre-productivité d'avoir autant de têtes connues pour le moindre rôle et le fait de donner presque à chacun un problème personnel (Machine a un fils fiévreux, Machin s'embrouille avec sa meuf, Trucmuche est en plein divorce, etc.) mais cette caractérisation de film-catastrophe, bien que grossière, ne cherche pas à donner à chacun son arc dramaturgique artificiel mais simplement à faire de tous ces individus qui ont les doigts sur des boutons décisifs, qu'ils activent un missile ou qu'ils appellent un chef d'état, des gens
comme les autres, avec leurs petits soucis banals du quotidien. Et cela ne m'a pas semblé avoir pour vocation de créer de l'empathie mais plutôt d'interroger, dans un élan d'humilité, le pouvoir de ces gens, qui risquent de condamner la planète entière mais finiront sans doute à l'abri.
Le point de départ et la structure, qui retourne en arrière pour explorer d'autres points de vue, pourrait laisser croire qu'il s'agit d'une enquête, mais on n'est pas dans
Rashomon. On n'est même pas dans
Angles d'attaque dont on se rapproche toutefois. La narration est à deux doigts d'être malhonnête, retardant sans cesse l'inévitable, mais sert en partie le propos : les tenants et aboutissants des informations et décisions prises en l'espace de 20 minutes sont si nombreux que le temps réel ne suffit pas à en montrer toutes les facettes et nécessitent de rembobiner et délayer, comme un ralenti permet de mieux voir une action. Et on va pas se mentir, ça permet aussi à Bigelow de maintenir une tension constante. Mais il y a cependant quelque chose de déceptif, la diversité des points de vue n'enrichissant pas vraiment le récit. Le film semble tout d'abord reculer sans cesse pour mieux sauter...mais ne saute finalement jamais.
C'est là que la démonstration théorique menace de tourner à vide, dans cette fin avortée "sa fé réfléchir" qui s'avère moins profonde qu'elle ne le croit. En un sens, le propos n'est pas dans la finalité et le film a dit ce qu'il avait à dire au cours de ses presque deux heures mais y a tout de même un côté
"this is how the world ends, not with a bang but a whimper".
Maybe that's the point.