Castorp a écrit:
Il ne fait certainement pas l'éloge de cette école : il la décrit.
Quant à l'éloge de la culture classique, mon dieu, quel monstre.
La culture classique n’est évidemment pas mauvaise en soi : tout dépend quel usage on en fait. Comme j’interprète le film comme un truc sur la sélection des forts, je trouve pas ça super.
Castorp a écrit:
Il aime pas les goulags. Quel salaud. J'attends aussi de te voir un jour accuser un film d'"antinazisme primaire".
C’est un principe de base pour moi de différencier nazisme et communisme. Peter Weir les met dans le même panier, sans faire les différences qui comptent, dans l’entretien dont je parlais; c’est la marotte des antitotalitaires; ce qui confirme ce que je disais au-dessus, sur le rapprochement avec BHL.
Castorp a écrit:
Et n'importe quoi. Il ne les défend pas : il les décrit.
Ca fait quand même beaucoup d’éléments convergents qu’il se contenterait de décrire.
Castorp a écrit:
je comprends pas pourquoi ce besoin de pelleter du fumier politique dessus, avec des condamnations extérieures aux films, souvent contestables en plus, (l'anticommunisme primaire, BHL, la guerre en Irak) alors que le Beau, ça n'a rien à voir avec ça ?
Je maintiens mes critiques qui me paraissent difficilement contestables. Pourquoi dire que ces considérations politiques sont extérieures aux films? Qu’est-ce qu’on gagne à les ignorer? Rien selon moi. Ni Peter Weir ni moi ne sommes capables d’isoler en nous le créateur ou l’amateur de Beau pur, garanti sans politique, sans morale. L’art, le cinéma, ça me paraît une affaire plus impure, moins cloisonnée que ce que tu dis.
Z a écrit:
Il me semble que Weir se tient assez souvent à distance de son sujet, en s'identifiant plutôt à un personnage souvent spectateur, en retrait et décalé (le Docteur interprété par Bettany dans Master, Todd Anderson dans le Cercle, le gamin dans Witness etc.). Faire l'amalgame entre le sujet du film et le sentiment du réalisateur est un peu la grosse erreur à ne pas commettre quand on fait de la critique ciné, non ? Je suis un peu étonné que tu la fasses, alors que tu sembles bien connaître son oeuvre.
Oui, je suis d’accord sur le fait qu’il faut en principe chercher à voir si le film se distingue du personnage. Mais dans DPS et Master, je ne vois pas ce décalage: les films donnent raison à Aubrey et à Keating – Todd et le docteur, au bout du compte, soutiennent entièrement Keating et Aubrey.
Z a écrit:
Neil est premier partout, il a fait le tour de tous les challenges à portée, c'est lui qui refonde le Cercle, et pourtant quand l'art (la poésie, l'écriture, le théâtre) s'immisce, sa nature et son mal-être implosent. Pour Todd au contraire, tout cela vient le secouer, le réveiller, le sauver. Je trouve ça assez beau. Et j'aime particulièrement que Keating, l'instigateur de tout ceci, n'ait rien vu venir.
L’éveil de Todd, c’est ce qui est émouvant dans le film. Mais je dirais que Keating le voit venir justement, il devine le potentiel de Todd dès le début, il le pousse dans ses retranchements, et il agit avec lui comme un psychanalyste, quelque part entre Socrate et le sergent Hartman de Full Metal Jacket.
Z a écrit:
J'espère juste que latique ne le prend pas mal, ou ne pense pas qu'on essaie de le convaincre. C'est juste cool de parler des films,
Je le prends pas mal. C’est une bonne discussion, non?
Z a écrit:
Weir a l'air de se planquer dans certains personnages, d'être singulier dans ses fins, et d'avoir un penchant assez clair pour la rêverie et le détachement mental.
C’est pas incompatible avec la dureté, la nécessité de la violence. Cf Master. Ou cette scène de Witness:
https://www.youtube.com/watch?v=o07ecRzkLuMQue dire de cette scène? Comment la rapprocher de Truman Show, et de ce que Jeronimo et Castorp disaient sur les "bons" spectateurs?
Jerónimo a écrit:
Je pense aussi que Weir a un côté conservateur. Mais réduire tout à cela, ça me semble limité, et encore plus si tu réduis l'analyse de son oeuvre à ce seul prisme (et ça en devient une lecture étriquée, c'est voir les choses par le petit bout de la lorgnette)
Encore une fois, le dire ne réduit rien. C’est vous qui me paraissez réduire son œuvre en faisant abstraction de cette dimension, qui me paraît évidente. Les films ne sont pas unidimensionnels. Quel intérêt ça aurait d’ignorer que L’Anglaise et le duc est un film clairement anti-révolutionnaire ? Qu’American Sniper est clairement un film pro-armée américaine? Après on peut aller au-delà, ou pas. J'aime beaucoup le Rohmer, je hais le Eastwood que j’ai pas pu finir.
Jerónimo a écrit:
La genèse du film et son tournage remonte sans doute à avant 2003, il faudrait pas refaire l'histoire non plus pour faire rentrer absolument le film dans cette chronologie-là.
C’est tout à fait possible, et même probable. Mais nos deux points de vue ne se contredisent pas: on peut regarder le film depuis sa création, ses intentions; ou comme il est, au moment de sa réception, avec les effets qu’il a dans ce contexte. Variation des perpectives, encore et toujours.
Jerónimo a écrit:
D'ailleurs le "vous voulez voir la guillotine à Picadilly?" sonne un peu "ridicule" aussi. Bref selon moi on est là de l'enrôlement ou de la propagande.
C’est le mot. On peut parier qu’il y a des gars à qui Master donne aussi envie de s’enrôler. C’est l’effet que peut produire sur certains ce genre de films, qu’ils le veuillent ou non. Voir la scène où les soldats de Jarhead exultent devant la charge des Walkyries de Apocalypse Now.
https://www.youtube.com/watch?v=ctaN72ySYlUJerónimo a écrit:
notamment pas son traitement de la camaraderie. Est-ce qu'il y a quelque chose à en tirer de l'analyse de DPS? Je ne sais pas... Le "O Captain my Captain", ça joue sur le registre du mentor, mais est-ce que c'est fondamentalement mal?
Par exemple, je relis Chant de la grand-route de Whitman. On peut trouver plein de citations, qui collent ou qui ne collent pas.
A la fois, ça :
"My call is the call of battle, I nourish active rebellion,
He going with me must go well arm’d"Et ça :
"Let the paper remain on the desk unwritten, and the book on the shelf unopen’d!
Let the tools remain in the workshop! let the money remain unearn’d!
Let the school stand! mind not the cry of the teacher!
Let the preacher preach in his pulpit! let the lawyer plead in the court, and the judge expound the law." Le rôle du mentor, oui, c’est un problème essentiel du film: avoir un maître, devenir un maître. Y a rien de "fondamentalement mal" en soi: là aussi, faut examiner l’usage qui en est fait, le caractère qui s’en empare, le but qu’il se propose. Keating ou le sergent Hartman.
Jerónimo a écrit:
je pense que la télé, ce n'est que l'enveloppe du film, son prétexte, mais pas son vrai sujet, le film a un propos beaucoup plus large et universel (c'est un conte).
Jerónimo a écrit:
On peut considérer que le parti pris est une vision historique et romantique, que j'accepte, et je ne doute pas que les Anglais avaient un sentiment patriotique, surtout dans le contexte de l’expansionnisme napoléonien
Là encore, pourquoi passer si vite par-dessus le sujet premier pour aller au conte, l’allégorie? Pourquoi considérer que les Américains font des contes quand ils font des films de guerre, des films sur la télé réalité? Que je sache, c’est pas exactement le pays des elfes et des licornes. En tout cas certainement pas du point de vue des Irakiens, par exemple.
Jerónimo a écrit:
Le goulag, c'est un sujet finalement peu traité au cinéma, et dans le cinéma US également. Et en plus ici c'est assez peu le sujet du film. Ce qui intéresse Weir, c'est le système totalitaire et comment un individu peut s'en extraire.
Oui, un film antitotalitaire, nazis et communistes dans le même panier, comme je disais plus haut. On sait l’effet politique désastreux de ce type de discours. En tout cas, de mon point de vue, partagé par quelques autres.
Jerónimo a écrit:
Si je reprends ton argument du contexte politique, on était alors en plein dans les années Reagan. On nous montre une institution (la police) complètement corrompue, et à côté de ça, la protection du héros est assurée par des gens en marge... qui ont une pratique collectiviste! Ils construisent une ferme pour l'un des leurs de manière totalement gratuite, dans une Amérique livrée au libre-marché.
Tu vois qu'en réduisant l'analyse à certains critères, on peut faire dire beaucoup de choses à un film
La corruption de la police, ça ne me paraît pas un sujet très nouveau dans les années 80, ni une garantie d’anti-reaganisme.
Le village amish est bien collectiviste, mais pas exactement égalitaire.
Y a plusieurs droites, et plusieurs gauches. Le regard critique sur l’Amérique du libre-marché, ça peut tout à fait être un discours tradi-conservateur.