Préface :
Now let's get into it...Je prévois plein de déceptions vis-à-vis du film.
Il y a quelque chose chez Sorkin qui tient du génie.
Je ne parle pas de son talent pour les monologues/dialogues, qui est à présent acquis.
Je parle de ce génie qui est plus aisément décelable lorsqu'il oeuvre sur le petit écran, donnant la part belle à ses personnages plutôt qu'à des intrigues
Lorsqu'il écrit pour le cinéma par contre, notamment lorsqu'il s'inspire de faits réels, il s'approche au plus près des faits et l'écriture des personnages se fait nettement plus subtile. Quelque part, ils brillent toujours autant, sont toujours aussi humains, mais doivent partager l'affiche avec le récit, qui nécessite d'être raconté in extenso en deux heures.
Du coup, à l'instar d'un Charlie Wilson's War, je pense que beaucoup de gens vont s'arrêter à l'aspect factuel du film et n'y voir qu'une (très) bonne exposition des coulisses de la création de Facebook.
Pourtant le film est tellement plus...
Plus que Charlie Wilson's War, c'est - encore une fois après Zodiac - plutôt d'All the President's Men qu'il faut rapprocher le film.
Adaptation instantanée d'un livre relatant des faits survenus à peine quelques années auparavant, alors qu'on est encore en plein dans les conséquences, en un film de deux heures qui va à toute allure dans sa narration, paraissant super simple, avec peu de points d'ancrages émotionnels auxquels se rattacher.
C'est peut-être ça aussi qui en fera décrocher (ou pas accrocher) certains.
Cependant, je ne trouve pas le film exempt d'empathie avec ses personnages.
Le scénario épouse une structure sans doute en référence à Citizen Kane (avec les dépositions en lieu et place des entretiens) et il n'y a pas grand chose qui rappelle Rashomon, excepté peut-être le fait qu'à mi-film, le récit semble switcher de protagoniste, adoptant le point de vue d'Eduardo Saverin au lieu de Mark Zuckerberg, mais il n'est aucunement question de divergences de point de vue ou d'interprétations différentes étant donné qu'on colle aux témoignages diégétisés.
Et si Saverin est, comme l'indique Qui-Gon, le coeur moral du film, avec qui il est facile de sympthiser, la véritable figure tragique est bel et bien Zuckerberg, effectivement dépeint de manière nuancée, à la fois détestable et touchant.
A l'instar du film de Welles, le coeur de The Social Network est contenu dans sa première scène.
Sauf qu'ici on sait d'emblée ce qu'est Rosebud : une fille. Cette fille s'appelle Erica et est un personnage crée de toute pièce par Sorkin, s'écartant habilement de la réalité pour mieux former son propos, afin de donner un début d'explication aux actions de Zuckerberg, qui tient du coup autant de Charles Foster Kane que de Jay Gatsby.
Tous ces efforts...pour se faire remarquer par UNE fille.
Parce que derrière tous ces faits qui s'enchaînent, ces anecdotes qui forment l'Histoire du site, il y a un homme, désespérément en quête d'acceptation sociale et semblablement incapable de créer un lien.
Et c'est lui qui va créer le plus grand "réseau social" du net.
C'est là que le titre (qui était initialement "The Social Experience") prend tout son (double) sens, vu qu'il désigne également ce besoin d'intégration dans une communauté.
Sans tomber dans la condamnation bête et méchante de vieux papy, Fincher et Sorkin présentent tout de même un certain scepticisme face à Internet et en particulier ce genre de réseaux sociaux, où l'on peut se faire 500 amis sans ne jamais connaître personne, et mettent évidemment en relation ce contraste entre la solitude de Zuckerberg et tous ces bénéfices factices qu'il acquiert avec le succès et la célébrité ("
we have groupies").
D'ailleurs, le film est un peu comme une ironie du sort, mettant à nue la personnalité de Zuckerberg, le créateur du site tant controversé pour ses polices concernant la vie privée. Arroseur arrosé style.
S'il y a du Zodiac dans le genre, dans la structure et dans les grandes lignes, on remarquera aussi du Fight Club dans les personnages et les thématiques.
En fait, The Social Network c'est un peu un Fight Club "plus mature", plus réaliste (forcément), où Tyler Durden a perdu.
Ou bien un film où Tyler Durden est un démon avec un objectif complètement opposé. Et qui a les traits de Justin Timberlake.
Tout comme le personnage d'Edward Norton dans Fight Club, Zuckerberg est un mec
clever. Et comme disait Tyler Durden, "
how's that working out for you? Being clever?".
Au lieu d'une star du cinéma comme Brad Pitt, Fincher est parti cette fois chercher une pop star pour camper Sean Parker, l'entrepreneur fondateur de Napster, le site qui a libéré la musique, à présent rentré dans els rangs de l'establishment et des mégacorporations, qui vient corrompre le jeune Zuckerberg, jusqu'alors un
hacker autrement plus anar, mais soudainement charmé par ce double, qui répète les mêmes phrases que lui, et pour qui il va éprouver un désir d'émulation.
Initialement, Zuckerberg ne veut pas de pub, ne veut pas vendre. Zuckerberg est un mec qui s'amuse à tricher à ses exams en utilisant comme pseudo Tyler Durden (détail quasiment invisible dans le film). Zuckerberg c'est le mec qui jadis avait envoyé chier Microsoft pour un logiciel de comparaison de goûts musicaux qu'il a préféré uploader sur le net, de manière à ce qu'il puisse être téléchargé gratuitement. Comme Parker avec Napster. Et il suivra le même parcours.
Aujourd'hui, il est le plus jeune milliardaire du monde.
Aujourd'hui, Tyler Durden a perdu.
Aujourd'hui, Tyler Durden s'est rangé.
Visuellement aussi, Fincher continue sur sa lancée mûrie, prouvant définitivement qu'un changement s'est amorcé après Panic Room, avec Zodiac, et Benjamin Button, et maintenant The Social Network.
C'est peut-être son film le moins ambitieux formellement mais ça reste magnifiquement mis en image, mis en scène, c'est du storytelling exigeant, au début quand les timelines s'alternent super vite, du storytelling subtil, par la suite quand il s'agit de souligner l'évolution de tel ou tel personnage à un moment donné.
Fincher est au service du scénario mais n'est pas limité par celui-ci. Il le transcende. Boostant la narration, mettant l'emphase sur un regard, qu'un autre aurait négligé, montant en parallèle la revanche des nerds avec la débauche des blaireaux beaux gosses pour marquer le tournant de ce siècle...
Je trouve pas qu'il s'efface, il est là à chaque plan.
Dans cette photo sombre et brunâtre de Jeff Cornenweth (comme Fight Club), triste et belle, comme si on avait éclairé le film avec la Joconde.
Dans la musique électro/indus (comme Fight Club), à la fois douce et menaçante, à l'image de Zuckerberg.
Etc.
A la fois classique et difficile d'accès, dense et subtil, dans le portrait de ses personnages, dans l'agencement de son propos, le film paraît léger, mais il ne l'est pas.
La fin paraît optimiste, elle ne l'est pas.
Et la dernière scène résonne longtemps.
6/6