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MessagePosté: 02 Fév 2024, 15:12 
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J'avais réussi à me préserver de toute information concernant le film avant de rentrer dans la salle, pas vu de trailer, rien lu à part quelques tweets donc je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, je lisais film-dispositif, objet filmique sans vraiment savoir de quoi il était question. J'ai dans un premier temps était surpris (après cette longue ouverture au noir, affèterie un peu superflue par ailleurs) par la facture finalement assez classique du film qui choisit de raconter de manière simple la vie quotidienne de Rudolf Hoss et de sa famille dans leur maison de fonction qui jouxtait le camp d'Auschwitz. Mais très vite quelque chose cloche dans la mise en scène. On met un peu du temps à mettre le doigt dessus mais plus le film avance et plus ça devient clair. Glazer décide de réaliser le film à base d'espèces de caméra de surveillance fixes à l'intérieur de la maison. Ca donne au film une volonté claire qui s'énonce d'elle-même, Glazer veut détacher son regard de sa subjectivité (même si évidemment théoriquement impossible) et créer une mise à distance objective par rapport à ce qui est filmé. C'est pareil pour la photographie du film. Elle n'est ni solaire, ni contrastée, ni rien du tout, elle est le plus neutre possible. Ca surprend d'ailleurs de la part de Glazer le formaliste, on a l'impression d'un film presque télévisuel, d'une émission de télé réalité avec ce montage "naturel" d'un mouvement d'un plan sur l'autre. Mais ça fait parfaitement sens, il faut prendre ce recul, dépassionner le geste pour prendre l'entière mesure de ce qui se joue.

Et bon c'est sans doute un des grands films sur le hors champ. Tout le film se raconte autant sinon plus dans tout ce que le hors champ convoque. D'une part en comptant sur ce que la mémoire collective connaît d'Auschwitz, convoquant des images vues et inoubliables à peine suggérées par une série de signes reconnaissables et immédiatement "parlant", le mur évidemment, la tour de contrôle et plus horrible encore, la cheminée et la fumée. Et d'autre part en organisant toute une bande-son d'une importance capitale qui recouvre tout ce dispositif d'une horreur continue mais jamais grossière, ce ne sont pas des hurlements continus mais bien plus une rumeur fluctuante, des coups de feu occasionnels, un son de basse indéfinissable. Le but est, mais je crois sans malice, de nous le faire oublier comme l'oublient totalement Höss et sa famille (enfin presque, cf la très belle scène avec l'enfant qui joue aux soldats et qui est soudain attiré vers la fenêtre avec un profond malaise).


Puis vient cette fin
où soudain se passe cette brutale cassure qui est, me semble-t-il, une référence directe à l'incroyable dernière scène de ce film cousin sur un autre génocide, le docu The Act of Killing de Joshua Oppenheimer où Anwar Congo, génocidaire indonésien, nous raconte comment il assassinait ses victimes et est pris soudain de violentes nausées et ne peut finir la démonstration. Ce qui arrive à Höss me semble du même ordre, comme un signal du corps contre l'esprit. Le corps dit stop et à ce moment Höss regard l'obscurité au bout du couloir et se voit plongé dans ce que l'histoire à retenu de sa destinée, dans ce qui reste de son travail à Auschwitz. Des piles de chaussures, de valises, des crématoriums à l'arrêt... Dans ce qu'aujourd'hui l'humanité à conçu de plus digne et entendable pour raconter ce qui s'est passé, comme le disait Hans Frank un des accusés du Procès de Nuremberg "voilà quelque chose dont on parlera encore dans mille ans". Et des femmes de ménages viennent épousseter ce qui reste de cette tâche honteuse sur l'humanité. Epousseter un brancard de crématorium sur lequel des milliers de cadavres innocents se sont succédés comment le faire ? Je crois que Glazer (sans évidemment faire de corrélation entre les deux occupations) interroge le travail profondément, cette aliénation du travail, de l'ordre, de la dépendance etc... Vraiment cette espèce de flash forward brutal et documentaire m'a paru sidérant. Il restera je crois dans l'histoire du cinéma pour toujours tant il me paraît fort et riche.


J'aurais je crois préféré que le film soit plus radical et c'est finalement les quelques échappées qui m'ont surpris et que j'ai un peu moins aimé. Notamment évidemment ces deux escapades nocturnes filmées en infrarouge dans une image totalement onirique assez stupéfiante qui si elles apportent une espèce de contrepoint narratif paraissent presque être un léger compromis face à la radicalité de ce qui est raconté. D'ailleurs une petite question
que trouve-t-elle
prêt d'une pelle ? Une petite boîte mais avec quoi à l'intérieur ?[/hide] Pareil pour le personnage de la mère qui, là encore sans lourdeur, vient un peu contrebalancer cette banalisation totale de l'horreur. Je me serais aussi passé de ce moment hygiéniste très nazi où Höss se lave la bite ou quelques affèteries que je n'ai pas comprises sur le moment (un fondu au rouge à un moment par exemple, référence à Bergman ?).

Il y aurait encore des milliers de choses à dire sur le film, j'aimerai le revoir d'ailleurs tant il m'a fasciné et passionné. Il donne vraiment envie d'y revenir et de s'appesantir dessus. Le film m'a aussi beaucoup rappelé ma lecture qui date déjà un peu des Bienveillantes de Jonathan Littell qui développait le même genre de discours de biais sur le nazisme pour mieux en explorer sa profonde dégénération.

5/6

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Dernière édition par Art Core le 02 Fév 2024, 16:11, édité 1 fois.

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MessagePosté: 02 Fév 2024, 16:10 
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Petit conseil: ne pas dévoiler la fin (l'épilogue), c'est dommage de spoiler...

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MessagePosté: 02 Fév 2024, 16:12 
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Oui je la passe en hide mais de toute façon ne lisez pas si vous avez pas vu le film évidemment.

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MessagePosté: 02 Fév 2024, 22:57 
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En pleine lecture du bouquin, parait-il fort différent du film. Je cache également toute image du film (à part la sublime affiche).

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Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)


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MessagePosté: 03 Fév 2024, 00:39 
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Cosmo a écrit:
En pleine lecture du bouquin, parait-il fort différent du film. Je cache également toute image du film (à part la sublime affiche).


Le Alasdair Gray est paraît-il fort différent de Poor Things aussi.


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MessagePosté: 03 Fév 2024, 17:23 
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Je n'ai jamais visité Auschwitz. Mais un jour je me souviens avoir droppé une caméra Google Streetview dans les routes alentours pour à ma manière "rendre concret" le lieu, le voir à travers un objectif que j'associe avec le quotidien et donc, par association, le voir comme je le verrai de mes yeux. (je me comprends)

Hé bien j'ai ressenti cette même immédiateté devant cette mise en image nette et claire, cette photo numérique cristalline, ce filmage au grand angle. On n'est pas du tout dans le film d'époque poussiéreux, tout est présent et là.

Ce filmage large avec ce montage dont parle bien Art Core donne au film une quotidienneté puissante. C'est The Real Housewives of Auschwitz quoi. Et avec en arrière fond ce travail puissant sur le son, dont tout le monde a déjà parlé. Bon, par moment c'est un peu forcé, tu sens le calcul derrière chaque coup de feu ou cri précisément dosé, mais ça reste fort et ça créé un arrière-fond obsédant.
Le film convoque à merveille notre culture cinématographique et historique commune pour "combler les trous". A ce titre, je me suis même demandé l'utilité du plan étalonné dark sur Höss qui semble superviser le tri des prisonniers hors-champ, j'ai pas trouvé ça nécessaire. Même si c'est dans ces moments-là plus que jamais qu'on sent le manque du contrechamp et comment on le remplit avec notre souvenirs d'autres films.

Le film, puissant dans son dispositif, n'en est pas moins un peu programmatique. Dans le premier tiers au bout d'un moment "On comprend l'idée". Surtout que certains choix sont voyants et jurent avec le détachement du reste du film. Ainsi, le film est quasiment exempt de gros plan, par contre Glazer en fait un sur les dents (de prisonniers on suppose) qu'étudie un des fils Höss. Un peu gros.

Tout comme certaines afféteries que je n'ai pas compris, comme ce conte de fée en négatif, ou le fameux fondu au rouge.

Cependant, le film n'a eu de cesse de me séduire par son éloquence minimaliste. Même quand on sort d'Auschwitz, j'adore la manière comme en deux plans il te fait exister Berlin (un orchestre qui joue devant trois personnes dont un vétéran amoché, tout est dit).

Et la fin est pour moi
un gros choc. Ce saut dans le temps est tellurique et "rafraîchit" subitement notre regard. On y voit la même routine du travail. Même si ces femmes de ménage ne sont coupables de rien, pour elle Auschwitz c'est juste un job.

C'est dans ces moments-là que le film me semble un commentaire fort sur la fameuse Holocaust Fatigue dont certains se plaignent qu'il nous arrive à tous de ressentir. Finalement nous aussi on est habitués, on en a tellement entendu parler, on entend les sons derrière le mur mais on ne les écoute plus. Et le film, sans l'air d'y toucher, nous met puissamment face à notre déni.

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MessagePosté: 03 Fév 2024, 18:40 
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J'ai pas grand chose à ajouter a ce que vous avez dit, les aspects techniques (la purete de l'image, le travail sur la bande son) du film jaillissent parfaitement lors de la vision en salle mais les afféteries que vous listez bien me posent plus de probleme dans l'appréciation globale du film.
Globalement je suis assez circonspect face à ce qui relève de la fiction pure (les discussions de chevet, la scène conjugales de la rivière, ce genre de trucs) et qui parasite a min sens le film. Ce n'est dzilleurs pas pour rien que je trouve
le saut temporel et documentaire

très fort dans ce quil montre et dit... mais je suis immédiatement moins convaincu par
les pseudo vomis de Hoss, qui sont hors de propos



Au final j'ai un sentipent assez ambivalent, a l'image de l'interrogation, fort à-propos, sur le déni, l'oubli et la lassitude de la Shoah que convoque le film, et que l'on pourrait élargir au monde actuel (Karloff je te vois).... Et je suis pas sûr que passer par Auschwitz et Höss pour ca soit une bonne idée.


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MessagePosté: 03 Fév 2024, 23:45 
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L'Holocauste a depuis toujours posé la question aux cinéastes de sa représentation et la proposition de La Zone d'intérêt est indéniablement brillante et forte, d'autant plus que le bouquin qui sert d'inspiration est complètement différent (un triangle amoureux avec des persos fictifs, c'est à se demander pourquoi il est crédité au générique), et son dispositif filmique jusqu'au-boutiste et presque expérimental dans le tournage (caméras et micros planqués pour filmer les acteurs en quasi-impro parfois pendant 45 minutes) constitue une mise en pratique efficace qui file la démonstration, avec son image vidéo sans fard et son point de vue aussi "neutre" que possible (ça reste quand même plus "cinéma" que "surveillance" à la télé-réalité) : montrer le contre-champ des camps et ainsi la banalité du mal dans sa quotidienneté la plus...universelle? Il ne se passe quasiment rien dans le film et le seul "rebondissement" narratif, c'est quand le métier de Monsieur lui impose d'être muté et que ça créé des frictions avec sa femme qui lui demandait encore la veille quand est-ce qu'il la remmènerait au spa. C'est d'un commun tout à fait relatable et c'est dans son sous-texte sur le fait que tout idéal de domesticité tranquille d'une certaine classe se fait sur le dos d'une autre que le film renvoie le spectateur face à son propre confort de vie.

Après, une fois ce parti-pris posé, et il est limpide et son propos lisible globalement dès le début, je trouve que le film n'a plus grand chose à proposer et répète son programme, pour ne pas dire son effet (le travail sur le son est remarquable mais presque complaisant), sur 1h45. Je n'irai pas jusqu'à l'injure en parlant comme on peut le faire pour certains films high concept ratés d'un court métrage étiré, et Glazer fait l'effort de tenter des trucs (je trouve séduisant les interludes oniriques infrarouges mais moins convaincu par la justification de l'entorse au point de vue et les scènes hors Auschwitz me laissent circonspect), mais je trouve tout de même l'entreprise un poil limitée.

Toutefois, je ne peux nier la force de cet épilogue inattendu et vertigineux, peut-être encore plus révoltant dans son portrait d'une certaine indécence et d'une horreur ramenée à un labeur déshumanisé, qui rehausse le film in extremis.

Ça reste le Glazer que j'ai le plus apprécié.

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MessagePosté: 03 Fév 2024, 23:48 
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Art Core a écrit:
D'ailleurs une petite question
que trouve-t-elle prêt d'une pelle ? Une petite boîte mais avec quoi à l'intérieur ?

C'est la partition, pliée en éventail, qu'elle joue ensuite au piano, les notes de musique étant sous-titrées en complainte poétique.

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MessagePosté: 04 Fév 2024, 00:01 
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Ah oui en effet, très belle idée d'ailleurs.

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MessagePosté: 04 Fév 2024, 15:53 
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Film qui est constamment stimulant dans ce qui le traverse, que ce soit frontalement, en arrière-plan, bien sûr en hors-champ, via un filtre visuel ou sur la bande-son. C'est d'ailleurs elle qui nous accueille de manière glaçante avec ces deux premières minutes avec le titre du film qui fond au noir littéralement, début magistral. Et c'est elle qui via ce bruit sourd et continu des fours crématoires en fonctionnement nous rappelle le mieux l'horreur, seconde après seconde, malgré la banalité du quotidien montrée visuellement.

L'autre coup de maître ce sont ces scènes en noir et blanc d'une limpidité biblique, qui accentue la pureté de l'oeuvre de la jeune fille qui laisse de la nourriture aux "ouvriers". Après avoir inversé l'ordre esthétique en dépeignant le tranquille jardin familial, aux couleurs agglomérées et décoratives, il choisit un noir et blanc charbonneux pour retrouver la vérité de l'horreur où la morale redevient possible.

Mais comme dans Under the skin, toutes les expérimentations de Glazer ne me semblent pas égales. Ce fondu au rouge après une succession de plans sur les fleurs, par exemple, m'a paru trop basique pour réellement frapper l'imagination. Et je trouve que le cinéaste perd un peu son propos lorsqu'il fait de Mme Höss un monstre aussi évident, quand elle menace la domestique de la faire incinérer comme les Juifs, ou à d'autres moments. Il le dit lui-même en interview, il s'agissait pour lui de rendre ce concept de raison mécanique qui ne pense pas, la déconnexion entre le cerveau de l'ingénieur, obnubilé par le rendement, et la faculté morale. Déconnexion qui a permis à ce système de perdurer plusieurs années.

Ceci dit, le film a une grande richesse parce qu'au-delà de son dispositif et ses tentatives esthétiques, il montre comme rarement la bureaucratie nazie à l'oeuvre, dans son côté le plus terre à terre et de ce fait glaçant.


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MessagePosté: 04 Fév 2024, 16:04 
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Baptiste a écrit:
il montre comme rarement la bureaucratie nazie à l'oeuvre, dans son côté le plus terre à terre et de ce fait glaçant.
Oui, c'est presque aussi bien que ANDOR.

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MessagePosté: 04 Fév 2024, 20:00 
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Je m'étonne que personne ne fasse référence au Fils de Saül (qui comme le dirait Marin Gérard, est le négatif de celui-ci). J'étais assez impatient de le voir (parce qu'Under the skin), c'était sans compter que j'avais oublié ma désastreuse vision de Birth l'an dernier et certains retours critiques plus que tièdes. D'une j'ai trouvé le film totalement inoffensif, ce qui est tout de même extrêmement problématique, et de deux cette gestion du hors-champ qui n'en est pas une plus que douteuse. Et que l'on ne vienne pas me dire que l'on comprend quoi que ce soit à l'holocauste, à l'administration des camps de la mort (une scène sur le choix de la meilleure architecture des fours et une seconde d'état major sur l'organisation globale ne suffisent pas) ou encore sur la psyché de la famille de Höss ("incarnée" sur un mode totalement mécanique et déshumanisé, ironiquement l'alien Scarlett Johansson semble cent fois plus humaine que la famille qui nous est montré à voir ici).

Le Fils de Saül est lui un film qui travaille effectivement le hors-champ, avec son format, les flous sur les côtés, un film construit comme un survival dans un camp de la mort, et qui tente autant que cela puisse se faire de nous faire partager ce que ça devait être que d'y survivre et de la construction mentale nécessaire à cette survie. Glazer est beaucoup plus pervers parce qu'avec son air de ne pas y toucher nous montre énormément, que ce soit par sa bande sonore mais aussi (surtout) dans le champs de sa caméra. Les fumées noires qui s'échappent des cheminées, les rougeoiements nocturnes, les files de prisonnier que l'on croise en dehors du camp. A vouloir jouer de la litote, on ne finit par ne plus voir que cela, parce que c'est au-delà du mur qu'est le lieu du drame, quand le réalisateur fait le choix de se concentrer sur ce qui se passe à la marge (et qui n'est guère intéressant).

J'aurai probablement pu comprendre que Glazer n'use que de la bande son pour représenter Auschwitz, s'il l'avait dans le même temps totalement évacué du champs visuel. Mais ça n'est absolument pas le cas, et cette préciosité est fortement malmenée quand dans le même temps le film est d'une lourdeur constante dans son symbolisme. La grand-mère qui s'éclipse pendant la nuit, l'enfant qui retourne jouer avec ses soldats de plombs alors que l'horreur se joue sous ses fenêtres, la baignade dans la rivière qui se termine en de vigoureuses frictions dans la baignoire, les fourrures que l'on se partage entre femmes, les dents en or comme jouets, les fondus au blanc/rouge... le film n'est que ça, prétend ne rien montrer quand dans le même temps ne peut s'empêcher d'évoquer, chaque seconde, l'omniprésence et le poids du camps qui est à quelques mètres. En l'espèce je trouve le dispositif totalement contre-productif et pour tout le dire passablement nauséeux.

Sans parler de l'ultime séquence, Höss qui régurgite bruyamment dans les escaliers, traces que les femmes de ménages du camp/musée continue aujourd'hui à nettoyer, éradiquer les traces du nazisme pour montrer à voir ce que le film ne nous aurait pas montré pendant deux heures, le sort qui fut alors réservé aux juifs. Loin de trouver l'idée géniale, je la trouve juste d'une lourdeur et d'un simplisme confondant, à l'image de ce film concept qui pense naïvement réactualiser/moderniser la représentation de l'horreur nazi. Franchement, revoyez plutôt Shoah.


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MessagePosté: 04 Fév 2024, 20:46 
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Je suis curieux de voir le film par rapport à cette question du hors-champ et du holocaust fatigue dont parle QGJ. Même si on nous rabat les oreilles dans notre scolarité avec ça, c'est un épisode qui s'éloigne de plus en plus et qui bientôt (déjà) n'a plus autant de poids, et surtout je me demande comment le film "fonctionne" par rapport à une audience au courant et une autre qui l'est beaucoup moins. Ainsi en lisant un livre sur le nationalisme québecois la semaine dernière, j'étais surpris de voir l'auteur éprouver le besoin de rappeler ce que fut originellement la nuit des longs couteaux, expression réutilisée par certains nationalistes québecois pour désigner une sorte de coup de force constitutionnel du père Trudeau en 1981. C'est quand même ironique de réutiliser comme référence une autopurge nazie pour abreuver un mythe victimisateur et témoigne déjà d'une compréhension de l'histoire singulièrement différente de la nôre.


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MessagePosté: 04 Fév 2024, 20:48 
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Franchement, revoyez plutôt Shoah.

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