Forum de FilmDeCulte

les gens se transforment en animaux.

simple, efficace, définitif.

la question, c’est comment transformer une idée aussi forte en histoire, et en film ?

on est en France, donc la version sombre / horrifique n’a pas de public, pas de financement et donc même pas le budget nécessaire pour faire ça correctement. la version à grande échelle n’est pas de notre culture – et la pure imitation de roland emerich qu’avait été dans la brume avait montré que c’était une impasse.
reste donc ce qu’on sait faire : l’angle familial et intime.
le choix est heureux. outre d’avoir apporté le financement de France tv pour aller jusqu’à 17m de budget, il permet au film de s’installer confortablement dans son identité, celle qui manquait douloureusement à la plupart des films de genre français : celle d’un film français de genre. il n’y a là aucun surmoi américain, aucune référence, (quasi) aucun trope recyclé, aucune ligne de dialogue n’est suspecte d’avoir été pensée en anglais avant d’être traduite maladroitement. on est dans un film français pur et dur. et dans un film de genre qui reste fermement ancré dans son histoire, qui va jusqu’au bout, qui n’en a pas peur, qui va aussi loin que possible (et assez loin !) pour pouvoir aller au délà des 100 000 hommes de 25-45 ans fans de genre et ne pas perdre les spectateurs de France 2.
je pourrais même dire que c’est le premier à réussir à incarner les promesses de grave, cette approche française du fantastique, ici en version grand public. Il n’y avait pas de q&a après la projection, sinon je lui aurais demandé s’il pensait que son film existerait artistiquement sans grave, et je pense que la réponse aurait été non.

pour transformer ça en film, le film a donc développé son histoire en scénario. c’est vraiment un film à scénario : on sent que le dev a été très long (c’est visiblement un scénario original retravaillé), qu’il y a eu 26 versions, que tout a été pensé, soupesé, voire même négocié. le film du coup ne laisse plus beaucoup de place à une forme de spontanéité artistique, de risque, il est rationnel de bout en bout, comme 90% des films français depuis qu’ils se financent sur scénario devant des commissions. mais à l’intérieur de ça, c’est ce qu’on peut faire de mieux dans cette école française actuelle du scénario. chaque fil narratif et émotionnel est tiré, tout se nourrit, se provoque, c’est humain et intellectuel et narratif, une masterclass comme disent les gens sur internet.

et tout est parfaitement fait, de bout en bout. Il y a une relation père-fils au cœur du film et elle est belle, l’amour inconditionnel du père est très émouvant, cette relations de père-pote est très contemporaine (on regardera ça dans 60 ans en se disant « ah ouais ils étaient comme ça à l’époque, c’est drôle »). les visuels sont magnifiques, les concepts parfaits, les maquillages et effets sont parfaits et impressionnants. y a 2 ou 3 bêtes extraordinaires. la musique attire parfois trop l’attention et porte trop ses ambitions, mais elle a confiance en elle comme rarement les musiques françaises. romain duris – que je ne supporte pas – est un daron crédible et émouvant, et quelle chance ont les hommes acteurs de pouvoir vieillir sans se charcuter la gueule et laisser leurs rides enrichir leur art (et gloire à lui ne pas avoir forcé à enrichir son rôle – il est à la limite du second rôle et c’est parfait comme ça ). paul kircher est extraordinaire, pas besoin d’en dire plus il sera partout. adèle e. est un cas intéressant parce que son rôle et sa présence me semblent vraiment être issus d’une réécriture négociée avec le « marché » pour une présence féminine ou quoi, elle sert un peu à rien, ça semble rajouté à l’affaire.
bref, tout, de bout en bout, est du très haut et du très grand niveau.

après…
le film est un peu long. 2h10 c’est beaucoup, le récit fonctionne pas « bloc » et arrivé au dernier, sa puissance est amoindrie par les quelques longueurs subies auparavant. rien de grave, mais 10-15 minutes en moins renforceraient les choses. et j’ai trouvé ça platement filmé, là encore rien de grave – c’est très beau, propre, y a des jolis plans etc – mais je trouve que tout se ressemble en ce moment, qu’il n’y a pas de regard, qu’il y a une école visuelle quasi unique que tout le monde décline. et puis, le film étant très mainstream, borderline safe, je ne me suis pas senti emporté par la chose, il y a quand même des choses émouvantes mais sinon je le regardais en me disant « c’est fou, ça plaira peut-être à ma mère » - et en soi que ça me plaise 20% de moins à moi en étant safe tout en plaisant 80% de plus à ma mère qui sinon n’aurait pas passé les 5 premières minutes – c’est un calcul artistique et financier que je comprends et que je respecte.

chapeau.

T'inquiète, à partir du moment où le film a eu sa première mondiale, tout est permis.

Je rejoins pas mal ton avis.
A l'actif du film, il y a la tenue esthétique globale, avec ses effets spéciaux réussis, ses maquillages spectaculaires, sa photo "naturelle" et sa musique qui emporte. Ensuite il y a le coeur du film (la relation père-fils), qui est réussi. Duris et Kircher assurent.
MAIS.. Moi aussi, je trouve le film trop long, tout simplement. Et puis vu que ça se concentre sur "la famille", bah ça manque quand même un peu d'ampleur quoi, de recul, de portée. Le phénomène des mutations est déjà accepté comme une normalité, un truc à gérer comme le Covid, et ça n'est pas développé plus que ça, je trouve le "world building" un peu pauvre, finalement. Les mecs ont de quoi faire un X-Men et ils font un Captain Fantastic quoi. Autre bémol: le personnage d'Adèle, qui sert à rien et qui n'a rien à jouer. Scandale.
Mais bon, ça reste vraiment réjuissant de voir ce genre de proposition en France, et malgré le petit côté "rhah ç'aurait pu être encore mieux", franchement j'ai passé un bon moment.

4/6

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Ed Wood:"What do you know? Haven't you heard of suspension of disbelief?"

j'ai trouvé intéressant le dialogue implicite avec la période covid, maintenant on sait que en un mois chrono une maladie peut arriver, bouleverser totalement nos liens personnels et collectifs, des mesures politiques inimaginables en temps normal mais qui passent crême... ça facilite grandement l'acceptation émotionnelle de la situation du film. d'autant que le film se passe dans un équivalent des situations post confinement : on sait que c'est là, que c'est grave, mais la vie reprend, juste un peu adaptée. la scène dans le supermarché évoque parfaitement ça.

pour le world bulding je suis d'accord, mais je suis bien persuadé qu'il y en avait beaucoup plus dans la V2, avant que les retours incessants à base de "il faudrait plus se concentrer sur l'humain, c'est ça qui est vraiment fort..." le réduise à peau de chagrin.

de la même manière, j'ai beaucoup de mal à croire que c'est son choix artistique souverain de ne porter aucune sorte de reflexion sur le spécisme. est ce que, si les humains se transforment en animaux, ça les incite à mieux traiter les animaux de souche ? ou est-ce qu'au contraire ils traitent les animaux "mutants" aussi mal que les autres ? ça me semble une question totalement incontournable du sujet et elle n'est abordée que de très très très loin.

Absolument. La question n'est que vaguement abodée d'une point de vue "pandémique" mais pas de manière philosophique, on ne réfléchit pas assez à notre condition humaine/animale.

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Ed Wood:"What do you know? Haven't you heard of suspension of disbelief?"

il y a la barbaque dans le caddie d'adèle, mais enfin c'est subliminal...

un autre élément illustrant la pusillanimité de la démarche c'est la manière dont cailley ne film pas son corps. la nature animale de l'homme c'est évidemment le corps vs le cerveau et la conscience, et le fait qu'on ne voit qu'un bout de son dos et qu'il soit filmé à 75% en gros plans, ça prive d'un aspect des choses. j'y ai vu une nouvelle illustration de la disparition progressive de la nudité au cinéma depuis me too, mais l'impact est plus large sur le film.

FingersCrossed meilleur nouveau.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste

<3

Encore un film qui sort auréolé d'une réputation flatteuse après sa présentation à Cannes et que j'ai trouvé globalement éclaté au sol. En fait en exagérant un peu (parce que j'ai quand même légèrement préféré ce film là), je pourrais reprendre quasiment ma critique de Vincent doit mourir et la recopier. J'y vois exactement les mêmes problèmes. Pour résumer c'est simple, aucun rythme, aucun projet de mise en scène, un scénario qui prend beaucoup trop de place et un concept fantastique torché dont on passe totalement à côté de sa poésie, son horreur ou même, plus grave, sa métaphore.

Là pourtant je suis plutôt emballé par l'ouverture in media-res, on débarque dans un monde où les règles sont déjà posés mais très vite, je vais avoir le même soucis qu'avec tous ces néo films de genre français moisis (oui La nuée c'est de toi que je parle aussi), ça va mettre littéralement trois plombes à devenir vaguement excitant et intéressant. Tout est bien trop mollasson, bien trop plat et pour une scène vaguement sympathique (le supermarché, enfin il se passe un truc) tu te tapes ce qui ressemble à cinq scènes d'exposition sans intérêt. On comprend rapidement l'ambition du film, ne pas se contenter d'être un "film de genre" vu qu'en France c'est visiblement un gros mot mais faire un véritable drame familial, un teen movie etc... Sauf que le film n'a jamais les épaules de ses ambitions et toute la seconde partie est une espèce de bordel scénaristique terrible où ça part dans tous les sens, où l'on oublie l'enjeu principal (retrouver la mère), où l'on torche ce qui aurait dû être le cœur du film (la relation avec Tom Mercier) et où on a un peu le sentiment que ça avance ça à vue. J'y vois là encore un vrai problème structurel du financement du cinéma français. Impression (mais peut-être que je me trompe totalement) que le film est passé par la moulinette de 50 commissions différentes qui chacune a mis son grain de sel et ça donne un film sans cesse alourdi par son scénario, par son récit, ses multiples arcs et personnages (pourquoi ce personnage d'Adèle Exarchopoulos, elle ne sert à rien ?) et qui du coup n'a absolument plus le temps de se poser et de 's'amuser avec son concept, de le rendre fascinant, beau, effrayant etc... Tout va trop vite, de manière trop hachée dans un rythme bâtard (le film n'est pas ennuyeux mais jamais stimulant) pour que l'on soit emporté.

Ca rejoint une autre réflexion que je me faisais durant la projection c'est à quel point il y a un énorme déficit de mise en scène dans ce néo cinéma français de genre. Aucun projet de mise en scène ici, c'est sincèrement réalisé comme une série moyenne, aucune personnalité, aucune pate, aucune gueule. Dans le dernier acte, Cailley va s'amuser un peu dans une scène à la Amblin dans des maïs, mais c'est pas particulièrement bien réalisé non plus. Vraiment c'est très faible à ce niveau là, je comprends pas, là encore on a le sentiment qu'on veut pas faire "de l'image" sous peine d'être qualifié de superficiel ou que sais-je. Mais je veux dire si Spielberg est une influence, comment ne pas halluciner devant le fossé gigantesque qui sépare un plan de E.T qui raconte mille choses et un plan semi caméra épaule ici qui n'essaie même pas de raconter quoi que ce soit par sa mise en scène ? Je trouve ça effarant et pour travailler dans le court-métrage, c'est une réflexion plus générale que je me fais, impression que toute une génération a totalement abandonné l'idée de la mise en scène comme outil narratif.

Tout ça est dommage parce que le film est ambitieux, que son concept qui parle d'animalité, d'altérité, de retour à la nature est passionnant et aurait pu être d'une poésie magnifique. Mais ce qu'il en reste c'est vraiment peau de chagrin dans une absence (encore une fois partagée avec Vincent doit mourir et La nuée) de générosité quasi totale. Où sont les visions que l'on aurait pu attendre d'un tel concept ? Où sont les envolées poétiques ? Cailley reste tristement terre à terre. Alors même si les CGI ne sont pas trop craignos (encore que c'est assez limite sur certains plans), qu'il y a quelques moments plus réussis (dans la dernière demi-heure), que Paul Kircher est vraiment bien en ado chelou et que la BO de Andrea de Lazslo est jolie, c'est un film qui ne va absolument pas me marquer, dont le projet ne me parle pas. J'avais lu que le film rappelait la BD Epiphania de Ludovic Debeurme, je vous invite à la lire, en terme de spectacle et de poésie on en est à des années lumière. Incompréhensible retours critiques en tout cas. Vu le film présenté par l'inénarrable Philippe Rouyer qui parle limite de chef-d'œuvre... Délire total.

2/6

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CroqAnimement votre

T'es un peu dire mais oui, le film en soi est déceptif par rapport à son potentiel...

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Ed Wood:"What do you know? Haven't you heard of suspension of disbelief?"

c'est drôle parce qu'en soit je suis d'accord avec tout ce que tu dis, mais je vois le positif. je pense que c'est impossible de faire autre chose que ça si on veut faire un film de ce 'genre' en france, et que c'est probablement la meilleure version de ce que ça peut potentiellement être.

là où je suis d'accord et il faut vraiment que ça change c'est la platitude de la mise en scène, tout est filmé pareil en ce moment, ça ne dit rien, plus personne n'a de style, c'est juste plus possible.

mais à te lire et à être globalement d'accord je formule que je respecte plus le film que je ne l'aime.

Oui j'ai lu ton texte et j'ai vu qu'on pointait un peu les mêmes choses c'est marrant. Mais marre de mon côté de ce ciné de genre bidon, faussement plus "qualitatif" qui finalement est juste très moyen (et pas vu Acide qui paraît-il est pire).

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CroqAnimement votre

acide est une comparaison parfaite, parce que les grandes lignes sont effectivement les mêmes mais tout est plus nul chez eux. tu pointes l'aspect sympa de commencer quand l'épidémie a déjà commencé : tu te cognes les jt qui annoncent l'imminence du truc dans acide. on est aussi en mode familial intimiste, mais le règne animal arrive quand même à trouver un petit angle qui raconte pas la base de la base. les 2 ont une mère absente et un duo père-enfant, sauf que dans acide ils sont joints par la soeur donc ça change rien tandis que le règne en profite pour faire un joli portrait de père et son ado.

Lol, oui tu vas souffrir là..

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Ed Wood:"What do you know? Haven't you heard of suspension of disbelief?"

Ah mais je vais gentiment faire l'impasse sur celui-ci.

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CroqAnimement votre

Pas encore vu le film mais sur ma fiche de lecture j'avais noté en points positifs "Un début marquant", "Un univers fantastique original traité avec réalisme" et "Un récit qui nous tient en haleine".
Et en point négatif "Un film d'auteur avec son lot inhérent de légère frustration".

L'ai-je bien descendu ?

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Liam Engle: réalisateur et scénariste