Alors...
C'est marrant comme 28 ans plus tard, Tron Legacy reproduit globalement le même schéma que son prédécesseur.
En 1982, Steven Lisberger signait un film révolutionnaire, tant dans sa forme (premiers CGI) que dans son fond (univers informatique), avec un look super particulier, qu'il s'agisse de la direction artistique, du design des costumes, du concept des véhicules, etc. Cependant, malgré tous ces éléments, originaux, inventifs, il y avait une application plus classique (les personnages somme toute peu creusés) et en même temps complètement incapable de suivre les conventions les plus basiques de l'écriture scénaristique (structure on ne peut plus bancale, rythme inexistant, blabla inintéressant).
Pour l'époque, vu l'expérience que c'était, c'est pas forcément extraordinaire. Cela dit, je trouve autrement plus étonnant, même dans le paysage cinématographique américain d'aujourd'hui, qu'on valide un premier long métrage, suite dont très peu de gens ont quelque chose à foutre, avec un budget entre 150 et 250 millions de dollars, à partir d'un scénario qui présente ces EXACTS. MÊMES. DEFAUTS. J'y reviendrai plus tard.
J'adore l'univers de ce film. Même sans la 3D (qui reste vraiment impliquante, j'ai vraiment vraiment eu mal quand on revient en 2D à la fin), et même sans l'IMAX (qui participe, tout comme la 3D, à "l'expérience" - plus qu'un film - qu'est Tron Legacy), je pourrai passer des heures à contempler le monde imaginé par Joseph Kosinski & Co, dès le logo Disney, puis avec ce générique super classe, avec la voix off de Bridges, j'étais à fond.
Au niveau de l'esthétique, ils ont su transcender l'original de manière sublime. Il y a évidemment les costumes, il y a bien sûr les véhicules, tout cela est déjà fort classe, mais ils ne se cantonnent pas à updater le rendu cheap de l'original. Ils confèrent à l'univers une dimension absolument époque. En lieu et place du monde un peu claustro du "Grid" de 1982, on a tout nouveau monde, moins étouffant mais tout aussi noir (littéralement), semblablement désespéré, à la fois baigné dans une lumière de néons turquoises mais plongé dans une nuit constante où la beauté de ces surfaces obsidiennes contribue à l'atmosphère si particulière.
Parce que par bien des aspects, Tron Legacy est un film assez atypique. Surtout pour un blockbuster Disney. Excepté quelques détails coupables de jeunisme superflu (le saut en parachute au début) ou de naïveté niaise (la collection de bouquin et la référence à Jules Verne, la description du soleil), j'ai du mal à voir vraiment une grosse machine "pour enfants/ado". Alors évidemment, y a des duels au disque, des courses-poursuites en moto, des corps-à-corps électriques et des dogfights, mais il y a aussi nombre de scènes qui témoignent d'un certain goût pour l'étrange, comme lorsque les quatre "sirènes" viennent déshabiller puis habiller Sam, comme le décor de la résidence de Flynn, les flashbacks voilés par de la neige infographique, et même certaines des scènes d'action susmentionnés revêtent un aspect "à part", notamment par le biais de la musique parfois volontairement très "sourde" (la scènes des Light Cycles et le climax aérien final), qui m'a un peu rappelé l'étrangeté de la scène des insectes dans le King Kong de Jackson, alors que le reste du temps la musique est plus souvent dans l'emphase, comme au début quand elle se fait planante et nostalgique, ou à d'autres moments quand elle pète. Elle est parfaite en tout cas.
Je peux concevoir que ce choix ne fonctionne pas pour certains spectateurs, qui trouveront ça mou (alors que la mise en scène ne l'est jamais), moi j'ai totalement adhéré. Comme pour le combat aux disques filmé à l'envers, comme pour le début de la scène des motos, avec ce long ralenti en vue de profil total, de Sam qui court tandis que la musique, toute douce, débute. C'est le genre de petites touches d'originalité qui font pour moi l'identité, la personnalité du film. Formellement, j'ai constamment l'impression de voir quelque chose que je n'ai pas vu ailleurs. Et ça c'est incroyablement rare au cinéma. De plus en plus.
Malheureusement, je ne saurai en dire autant du scénario. Mais à vrai dire, ce n'est même pas qu'il soit trop classique (même si le McGuffin et l'intrigue générale sont super simplettes), c'est surtout qu'il est mal foutu. L'intro est touchante, le début est sympa, l'arrivée dans le monde du "Grid" est fabuleux et on enchaîne direct avec le gros de l'action, mais c'est à partir de là que j'ai commencé à me rendre compte qu'au niveau de la construction, c'était un peu n'importe quoi. J'ai l'impression que l'un des défauts communs à nombre de blockbusters récents, comme Iron Man II par exemple, c'est de foutre beaucoup d'action dans le premier acte, puis de créer un gros ventre mou bavard dans le deuxième acte, avant le retour de l'action pour le climax. Ca marche si ce que tu montres hors action est bien écrit et stimulant (Casino Royale), ça marche pas si ce que tu montres hors action est inintéressant (Transformers 2). Ici aussi donc, après le combat au club End of Line et jusqu'au climax, il n'y a plus rien. Rien d'autre que du blabla pas intéressant (la fameuse discussion "soleil") ou de l'exposition mal racontée (le passé de Quorra), surtout que l'on développe un enjeu majeur qui n'est pas très clair (ce que les ISOs représentent exactement et en quoi ils peuvent "changer le monde", j'ai toujours pas compris).
Maintenant, ceci étant dit, j'accroche à 4600% aux thématiques du film. Il y a tout d'abord l'analogie religieuse, héritée du premier film, pour laquelle le rôle symbolique des ISOs est finalement plus intéressant, peuple élu persécuté par le personnage de Clu, tantôt empereur romain face à ses jeux, tantôt dictateur fasciste (oui en gros, les ISOs c'est les juifs). Mais en fin de compte, je trouve que la métaphore religieuse est plus puissante dans ce triangle de rapports filiaux, de démiurge dépassé, de fils préféré et de "Père, pourquoi m'as-tu abandonné?", que dans le concept des ISOs. Le film s'appelle Tron Legacy et traite en grande partie du fils de Kevin Flynn : Sam...mais aussi Clu. Tout compte fait, bien qu'il soit interprété par Bridges lui-même, rajeuni numériquement (l'effet est d'ailleurs très bon...tant qu'il ne parle pas, où là il se transforme en mec sorti d'un Zemeckis), Clu est tout autant un double maléfique qu'un fils, l'autre création de Flynn, à la recherche de la perfection alors qu'il l'avait devant les yeux. J'adore le personnage de Clu, autrement plus intéressant et complexe que celui de Sam, qui est pourtant le héros (et je pense que la performance pas toujours convaincante de Garrett Hedlund est aussi due au fait qu'il a pas grand chose à jouer en fait). J'adore la scène où l'on voit sa création, j'adore la scène où l'on voit sa rébellion, j'adore la scène où l'on voit son ascension, et évidemment j'adore la confrontation finale.
Il y a globalement dans cette apothéose absolument tout ce que j'aime, thématiquement et esthétiquement : des gens qui hurlent de grandes déclamations, de la confrontation filiale, un acteur rajeuni par ordinateur, un décor et un visuel qui illustrent le tourment émotionnel des personnages, des effets de style super premier degré, et le tout qui enfle jusqu'à son paroxysme...j'en avais des frissons et les larmes aux yeux...les derniers gestes de Clu, je les trouve bouleversants.
Tron Legacy est très loin d'être parfait. J'essaie toujours de marier objectivité et subjectivé, autant que je peux, lorsque je parle d'un film, lorsque je note un film, et bien qu'il existe, évidemment, certaines personnes qui n'aiment pas JFK ou The Dark Knight, je pense pouvoir dire avec assurance que ce sont "objectivement" de bons films, en plus de les aimer avec ma subjectivité qui fait que je les trouve pas juste "bons" mais absolument extraordinaires. Tron Legacy, objectivement, ce n'est évidemment ni JFK ni The Dark Knight. Même subjectivement, ça ne l'est pas pour moi. Et je conçois que je réponds au film parce qu'en plus d'un visuel qui me séduit plus que beaucoup d'autres, les thèmes abordés me parlent et me touchent particulièrement. Je ne dis pas par là qu'il s'agit de thèmes originaux (ce genre d'allégories religieuses/politiques et de conflits filiaux, c'est monnaie courante) mais qu'il s'agit de thèmes taillés sur mesure pour moi. C'est un peu la différence entre le film que tu kiffes et que tu recommandes à tout le monde et le film que tu kiffes mais dont tu es conscient que tout le monde n'y sera pas aussi réceptif que toi.
Après, je pense aussi que Tron Legacy a des qualités objectives, on s'accordera tous sur l'esthétique par exemple et quelques autres détails bien badass. Mais je ne nie pas les problèmes du scénario...c'est juste que, très sincèrement, à côté de tout ce que le film a à me proposer, pour moi c'est infime. Ca n'a entaché en rien l'expérience, le trip qui m'a été offert.
5/6
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