big up, fontenelle :
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Cette semaine, dans "Le Nouvel Obs", le boss, Jean Daniel (photo), se fend, sur deux pages, d'un long "message" adressé à de "chers amis" à lui qui se trouvent être "socialistes".
On y trouve, reconnaissons-le, nombre des fulgurances qui ont fait de Jean Daniel ce qu'il est aujourd'hui: un Phare de la Pensée - un "méchant cador", comme on dit à la NASA.
"Si la gauche s'oppose, elle se répète".
Observe-t-il par exemple.
(De sorte que pour cesser de radoter, la gauche devrait surtout cesser de s'opposer.)
Mais ce n'est pas tout, vous le devinez.
(Je ne vous aurais pas dérangé(e)s pour si peu.)
On trouve aussi, dans cet éditorial, du journalisme - du vrai, avec de (très) gros morceaux d'investigation.
(Un peu comme aux temps bénis où l'excellent Edwy P. allait répétant, le doigt sur la moustache: "Apportez-moi la tête d'Alfredo Nixon".)
Jean Daniel écrit ainsi, et c'est, ne pas s'y tromper, une espèce de scoop interplanétaire: "Il m'est revenu que MM. Pinault, Arnault, Bolloré, Lagardère et Bernheim ne croyaient pas du tout que l'on puisse agir sur la croissance par la consommation".
De cette information explosive, Jean Daniel tire aussitôt la seule conclusion possible: "Sarkozy est moins dépendant du grand capital que nous le pensions".
(Le gars serait même, à bien y réfléchir, quelque peu altermondialiste sur les bords.)
Mais c'est quand il aborde les "thèmes de la sécurité et de l'immigration" (naturellement imbriqués l'un à l'autre) que "Jean Daniel est grand" - comme on dit à l'ONU.
Il n'hésite pas, en effet, à révéler, pour la (toute) première fois, que la gauche a traité ces thèmes "d'une façon qui relevait", je vous le donne en mille?
"D'un manichéisme idéologique et moraliste".
Jean Daniel, qui ne déteste pas citer Jean Daniel, souligne qu'il n'a pourtant pas été le dernier à tirer le signal d'alarme: "J'ai moi même été critiqué par mes amis", se rappelle-t-il.
(Venez me dire après ça que le journalisme n'est pas un métier plein de bruit et de fureur.)
Jean Daniel explique ce qui a motivé ces critiques des amis de Jean Daniel: "J'ai affirmé depuis très longtemps, et je ne cesse de le faire, que la France précarisée et qui demande à être mise en mesure d'accueillir l'immigration comme à être protégée de la mondialisation n'est pas une France raciste".
Je reconnais que c'est limite abscons: ça veut dire, en clair, que le brave gars bien de chez nous qui en a marre de tous ces bougnoules qui viennent lui piquer son boulot et creuser à grands coups d'allocs le trou de la Sécu "n'est pas raciste".
Pensez-vous.
Loin de là.
Jean Daniel, plongé dans les oeuvres complètes (tome VI) de Jean Daniel, nous rappelle que Jean Daniel est un peu, sur les thèmes (jumeaux) "de la sécurité et de l'immigration", le Nostradamus de la presse hebdomadaire: "Permettez-moi de vous dire qu'ayant prévu et guetté depuis très, très longtemps les réactions des couches populaires sur ces thèmes, je n'ai aucunement été surpris par ce qu'on appelle la "droitisation"".
Ce n'est pas faux - dès le mois de novembre 2004, en effet, Jean Daniel, déjà sous l'emprise d'une pudique dignité, se lamentait: "Mon désenchantement actuel, c'est de voir ce que devient la France. A cette étape de ma vie, j'avoue ma tristesse de ne plus reconnaître mon pays, de ne plus me retrouver dans ses valeurs. Le plus grave, c'est que j'avais tout anticipé. (...) J'en avais parlé deux fois à Mitterrand, qui s'est énervé les deux fois et redoutait ensuite qu'à chacune de nos rencontres je ne mette le sujet sur le tapis. "Que voulez-vous que je fasse? Maintenant qu'ils sont là, je ne peux pas les renvoyer", s'impatientait-il. "Président, la question n'est pas là. (...) Le pays est en train de changer. Le clocher de votre affiche électorale, dans peu de temps, vous le verrez entouré par deux minarets". Pour couper court et pour me blesser, il répondait: "Vous parlez comme Le Pen". Je l'alertais justement pour que Le Pen ne pût un jour faire de nos dérives un fonds de commerce"...
Voilà donc ce dont souffre Jean Daniel: jamais la gauche ne l'écoute, quand il parle un peu comme Le Pen (dans le souci, naturellement, de combattre Le Pen).
Jamais la gauche ne l'écoute, quand il affirme que chacune de nos églises sera bientôt encadrée par deux minarets - ce qui est une façon joliment poétique de nous prévenir que nous serons bientôt submergés par les Hordes Musulmanes (assoiffées de sang).
Dans son édito de la semaine, Jean Daniel redit sa désolation: "Je continue de penser que ce n'est pas la France qui se droitise, c'est le réel qui ne répond plus aux critères de jugement de la gauche traditionnelle".
A ce point de la démonstration, vous l'aurez compris: sur les thèmes (inséparables) de la sécurité et de l'immigration, le réel, vu par Jean Daniel, donne raison au brave petit gars bien de chez nous qui "n'est pas raciste" - mais qui se méfie quand même un peu, et comme on le comprend, de l'invasion immigrée.
Dès lors, Jean Daniel peut tranquillement expliquer, tout en faisant mine de ne pas vraiment y consentir, que Le Pen est, certes, un peu rugueux, mais qu'au fond la gauche ferait bien de lui prêter l'oreille, vu qu'il a notamment le mérite d'ouvrir la discussion, autour des thèmes, féconds, de la sécurité et de l'immigration.
Voilà ce que ça donne, en jeandaniélique: "Le crime de Le Pen n'a pas été de soulever un débat mais bel et bien de l'avoir empoisonné".
Si t'as quelque chose de bien dégueulasse à cracher sur les immigrés, tu peux le faire, mon bon Raymond, mais en levant le petit doigt.
Jean Daniel, amarres larguées: "Délivrés de leur insupportable caractère pétainiste et de leurs accents antisémites et chauvins, les discours de Le Pen rappelaient quasiment les mêmes questions que Mitterrand quand il évoquait le "seuil de tolérance", Giscard "l'invasion", Chirac "les mauvaises odeurs dans l'escalier", Rocard "on ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais on doit prendre notre part pour y remédier", Balladur "la préférence nationale n'est aucunement immorale", sans parler de ce que Fabius avait dit le premier, au début: "Le Pen formule de bonnes questions, mais de très mauvaises réponses"".
Hhhhhhhh...
C'est donc écrit en toutes lettres, dans notre hebdomadaire des Lumières: des mots comme "seuil de tolérance", "invasion", "mauvaises odeurs" ou "préférence nationale" n'ont rien de "pétainiste", ni de "chauvin", dès lors que ce n'est pas Le Pen qui les prononce.
Voilà qui fait, pour tou(te)s les xénophobes timides, un formidable encouragement...
Jean Daniel a, dès lors, un peu de mal à se contenir - et c'est tout naturellement qu'il se lance dans un hommage appuyé à l'homme qui a su dire tout haut les mêmes choses que Le Pen, mais avec beaucoup plus d'exquise délicatesse - je veux parler bien sûr de Nicolas Sarkozy.
Toute honte bue, le patron du "Nouvel Obs" écrit ceci: "La droite ne s'est pas lepénisée, elle a "défascisé" le problème".
(Notez ici que l'immigration, qui était jusqu'alors un "thème", devient soudainement un "problème"...)
Si c'est Nicolas Sarkozy qui vomit qu'il y a trop d'immigré(e)s, c'est quand même beaucoup mieux que si c'est le FN qui l'affirme.
Nous explique Jean Daniel.
Ce Nicolas Sarkozy est vraiment quelqu'un de très comme il faut - et il faudrait quand même que "nous", la gauche, cessions de l'importuner.
Jean Daniel: "Je ne pense pas, au contraire, que nous ayions tiré toutes les leçons de notre insuffisance quand je lis les commentaires sur les malheureux discours africains de Sarkozy".
(Quand je vous disais qu'il fallait cesser de l'importuner!)
En effet: "Après un procès irrécusable et sans nuances de la colonisation, il a eu l'agressif mérite de proposer un débat sur l'Afrique".
(Je sais, je sais, vous vous pincez: mais je vous jure que je n'invente rien.)
Finalement, si je résume: de la même façon que Le Pen a su lancer un (salutaire) échange autour du "problème" de l'immigration, Sarkozy, en tançant les ressortissants de nos anciennes possessions noires, a courageusement ouvert un aimable "débat".
L'un comme l'autre ont au fond le mérite, insigne, de ne pas se laisser emmerder par les pesanteurs du bien-pensisme politiquement correct.
Jean Daniel: "Je trouve avantage à ce que les tabous soient levés, à ce que le problème soit posé"...
Merci donc à Nicolas Sarkozy, qui a su poser le PROBLEME de "l'homme africain".
Merci au briseur de tabous.
Rien n'est gagné, cependant, car "le rassemblement des antisécuritaires a créé, à l'intérieur de la gauche, une véritable hégémonie intellectuelle et sectaire".
(Hhhhh...)
Il est (grand) temps, estime Jean Daniel, que la gauche se libère de l'emprise de cette ignoble secte, et comprenne que: "Sur tous ces PROBLEMES (c'est moi qui souligne), la compassion relève d'une cruelle irresponsabilité dont les premières victimes sont évidemment les immigrés eux-mêmes".
Etre dur avec l'étranger pour le bien de l'étranger: quel merveilleux programme!
Et si nouveau!
C'est, au mot près, ce que Brice Hortefeux et ses copains ne cessent de répéter.
Jean Daniel: "J'ai toujours professé qu'il était plus fraternel de se soucier du sort fait aux immigrés que de les accueillir et de les abandonner".
Chers amis de "gauche" de Jean Daniel, quel choix ferez-vous?
Accueillerez-vous l'étranger?
Ou vous soucierez-vous de son sort?