Ou plus exactement Robert Zemeckis on Smoking, Drinking and Drugging in the 20th Century: In Pursuit of HappinessEn 1999, la chaîne câblée Showtime a programmé une série de documentaires signés de la main de réalisateurs plus ou moins prestigieux s'attaquant chacun à un vaste sujet alors que le XXe siècle touchait à sa fin. Les cinéastes ont chacun choisi leur sujet. Ainsi Gregory Nava (scénariste de
Frida) parlait d'immigration, Garry Marshall (
Pretty Woman) du mariage, Robert Townsend (
The Meteor Man) du sexe, Barry Levinson du futur et Norman Jewison de la commercialisation de la comédie (WTF?).
N'ayant pas vu ces autres épisodes, je me garderai de leur prêter ou de leur nier quelque cohérence thématique avec l’œuvre de leurs metteurs en scène respectifs mais je trouve particulièrement éclairant de voir que, pour son film, Zemeckis a choisi de parler de substances addictives.
Avant
Flight, qui traitait frontalement la question de l'alcoolisme, j'ignorais que le réalisateur lui-même avait souffert d'addiction alors même que nombre de ses films voient un personnage, principal ou secondaire, choisir d'arrêter de boire (Lorraine dans
Retour vers le futur, Eddie dans
Roger Rabbit, Ernest dans
La Mort vous va si bien), et j'ai parfois reproché un jugement moral à certains de ses films, notamment dans la punition des personnages qui osent défier la loi divine, mais ce documentaire vient éclairer le véritable point de vue de l'auteur.
Sur près de deux heures, Zemeckis retrace l'historique de la consommation de substances addictives aux États-Unis, du tabac à l'héroïne en passant par l'alcool, le cannabis et la cocaïne, en adoptant notamment une position politique marquée sur la commercialisation et l'industrialisation des drogues en question ainsi que la stigmatisation de certaines catégories de la population, dénonçant l'hypocrisie et le racisme des différentes administrations et de la médiatisation, nocive à la fois dans ses campagnes de condamnation et dans la propagande via les publicités ou le cinéma. Il est amusant de constater d'ailleurs que, parmi les nombreux extraits de films, quand Zemeckis insère des aperçus de ses propres œuvres, il s'agit de moments où les personnages ne tiennent pas l'alcool (Roger Rabbit qui pète un câble et Doc Brown qui s'écroule dans le saloon, chacun après un seul shot).
Difficile de parler de mise en scène pour ce documentaire de montage compilant interviews face caméra et extraits en pagaille mais on retrouve toutefois le cinéaste dans le rythme effréné et l'esprit satirique des inserts de pubs ou films et des chansons servant d'illustration dans cette démarche scolaire mais kaléidoscopique du sujet. J'ai pensé parfois à
Forrest Gump et ça m'a d'ailleurs permis d'appréhender ce dernier différemment pour ce qui concerne le personnage de Jenny.
Parmi les critiques adressées au film, notamment par les détracteurs qui y voient un point de vue réac, il y a le sort réservé à ce personnage qui, à l'inverse de Forrest le naïf obéissant, vie une vie de rebelle, de bohémienne, de contestation, de drogues et en paie le prix par la maladie et la mort. Moi-même j'ai pu penser que Zemeckis imposait un châtiment alors même que j'ai longuement défendu le film en relevant son aspect satirique et sa nature de "test de Rorschach", cité presque directement dans le film, chacun pouvant y projeter ce qu'il souhaite. Mais voir le documentaire évoquer la quête de telles sensations comme naturelle chez l'humain dès l'enfance avant de relier ça à la recherche d'une expérience spirituelle, la drogue ayant été souvent employée lors de rituels, et à l'exploration de soi a remis en perspective la trajectoire de Jenny au sein du film mais également de la filmographie de l'auteur, habitée de protagonistes effectuant un voyage intérieur même quand il paraît extérieur (Marty et son père, Ellie et ses extra-terrestres, Claire et ses fantômes, le gamin du Pôle Express et le pays du Père Noël, Scrooge et ses fantômes, Mark et ses figurines).
Le documentaire s'ouvre sur l'extrait de la déclaration d'Indépendance qui stipule que tout un chacun a le droit
"à la recherche du bonheur" et Zemeckis s'en sert pour parler des substituts au bonheur.
Après avoir vu le film, je tombe sur cet article où il confirme mes impressions :
Experts testify that human beings seem to have an inborn urge to alter their consciousness. Will society come to terms with this and embrace moderation, or will strategies continue to seesaw back and forth between prohibition and indulgence?
“What interested me,” Zemeckis says, “is that I kept bumping into spirituality. I don’t think it’s any accident that intoxicating chemicals are often used in religious ceremonies. As human beings we are on a quest to know something beyond our physical presence in the universe. Chemicals can look like a quick and easy way of getting to that.”
It was “the genius of Alcoholics Anonymous,” Zemeckis suggests, to address the spiritual hunger at work in addiction, “to replace the missing piece with something else. This may be why AA is the only thing that works, and why medical science and psychology haven’t sobered anybody up yet.”En effet, toute une partie du documentaire est également consacrée à la lutte complètement foireuse des différents gouvernements contre la drogue, comme s'il suffisait de dire
"non", pointant du doigt vers la nécessité de substituer l'accompagnement et la compréhension à la seule prévention et condamnation.
Jenny, Robert ne t'a jamais jugé.
Bref, ce qui avait commencé comme du complétisme aura permis à ce fanzouze de voir ces films d'un autre œil.