The Scythe-Meister a écrit:
Déjà, on est dans une sorte de mise en abime dont la valeur n'est pas tout à fait précisé - à raison, car on est dans une esthétique fondée sur le mythe, par essence irrationnel et qui ne se justifie pas par la logique mais par sa propre signification (le mythe crée sa propre logique, sa propre structure) : le livre s'appelle comme le film, le film est le livre que le personnage principal complète.
Enfin ce genre de mise en abyme ne renvoie pas forcément au mythe, si ? Je l’ai lu y a longtemps, donc c’est assez vague, mais dans les Faux Monnayeurs, Gide fait ce genre de mise en abyme (un truc comme « le livre qu’ils doivent écrire s’appelle aussi Les Faux Monnayeurs »), et pourtant je ne vois pas de mythologique là-dedans…
Ensuite, je ne comprends pas trop pourquoi un mythe est « par essence irrationnel ». Si on parle de mythes religieux, sans doute… Mais il y a d’autres mythes, non ? (je ne suis pas calé DU TOUT en philosophie et consorts…) Qui sont peut-être « irréels » (genre le mythe de Sisyphe, pour faire simple) mais pas « irrationnels ». Hum…
The Scythe-Meister a écrit:
Les trois parties sont clairement parallèles, chacune étant une quête mais aussi évidemment circulaire, le mythe fondant l'arrière-plan symbolique du film étant un mythe de naissance-mort-renaissance.
Esthétiquement, le parallélisme des parties fonctionne (souvent grossièrement, selon moi), mais la circularité est plus de l’ordre du scénario.
The Scythe-Meister a écrit:
Cette histoire principale est : Izzy, mourante, effrayée par sa propre mort, se construit à partir des recherches pour son livre une mythologie, un ensemble de représentations, qui lui permet d'accepter sa mort. Tom lui refuse la mort de sa femme, rejette sa mythologie dans l'ordre de l'irrationnel au profit de la quête d'un remède. Le film est avant tout le récit de l'acceptation par Tom de la mort d'Izzy. Le reste n'est qu'une habillement de ce geste, qui est un geste amoureux.
Alors voilà, ça je trouve ça, sur le papier, très beau. Mais à l’écran, j’ai eu l’impression que le film sombrait dans du mièvre caramélisé, qu’il n’avait pas les couilles (ou sans doute le désir) d’être trop « intellectuel » et qu’il préférait quelque chose de plus sentimental, plus grand public (dans le mauvais sens du terme). C’est sans doute ce que tu entends par « mise en scène sensuelle et intuitive », moi ça m’a vraiment rejeté du film.
The Scythe-Meister a écrit:
Le mantra du film "finish it" pose d'emblée l'enjeu du récit dans l'écriture. C'est l'écriture du livre d'Izzy, mais l'écriture de ce livre est la fabrication de l'ensemble de représentations qui permet à Izzy d'accepter sa mort. Le mythe se révèle ici dans l'écriture, il ne relève pas de la culture.
Là je ne comprends pas trop. La mythologie du film est une mythologie qui bouffe à tous les râteliers, non ? C’est de la culture, ça. Je trouve que le livre d’Izzy ne fabrique rien, ne crée pas du mythologique par lui-même, qu’il ne fait que récupérer d’autres mythologies… Elle a fait des recherches, comme tu dis, pour l’écrire, ce livre. Le mythe préexiste à l’écriture de son bouquin, il n’est pas consubstantiel (bon, j’essaie de me la péter un peu).
The Scythe-Meister a écrit:
L'une des principales fonctions du mythe est de donner sens à l'incompréhensible, en premier lieu la mort. C'est la fonction symbolique, fonction de signification, de création de sens. Izzy se réfugie en quelque sorte dans cette fonction du mythe. Ce n'est pas poser une pensée, exprimer un sens préexistant ou raconter une histoire, mais un processus en soi qui se compose lui-même, un mouvement d'ouverture. En un sens, il pourrait ne pas y avoir de livre matériel qu'Izzy écrirait quand même. La "croyance" tient ici plus du principe actif que du credo, c'est une manière de penser la mort, de se poser dans le monde. Cela relève encore de la fonction créatrice, active, du mythe.
Elle se réfugie dans ces mythes, là je suis d’accord, et y a un côté un peu facile là-dedans. Elle ne crée du mythe que pour soulager sa mort, voire même pour se voiler la face, et le film est lui très premier degré, comme si toutes ces mythologies… euh… existaient vraiment, qu’Izzy se réincarnait vraiment, pas qu’en pensée. Après, j’en sais rien, le simple fait de croire, penser, suffit-il à ? etc.
The Scythe-Meister a écrit:
La quête du futur est la représentation de cette quête du livre (il répète plusieurs qu'il ne sait pas comment finir le livre) et la décision de terminer le livre se confond avec l'acception de la mort (cf la scène juste avant le climax). Finir le livre de l'autre, c'est embrasser sa pensée, c'est pour Tom accepter cet ensemble de représentations qu'Izzy s'est constituée. C'est le sens de l'image après le climax, Izzy donne à Tom la graine qu'il va planter sur sa tombe. C'est l'histoire de Moses Morales, Izzy devient un arbre, mais c'est avant tout le symbole d'un geste, celui de l'acceptation de la "croyance" (au sens plus haut) de l'autre contre ses propres croyances, une transmission.
Et c’est en ça que c’est avant tout un film sur l’amour plus que sur la religion ou autres mythes (putain je m’y perds un peu, là). Et c’est là que le film se perd un peu, a le cul entre deux chaises : d’un côté de l’ésotérisme pour les nuls et de l’autre une histoire d’amour un peu bidon (je caricature). Je trouve que les deux aspects auraient pu se marier impeccablement, mais ici c’est trop grossier, et trop cloisonné (une scène d’amour, une scène de transfiguration, etc., il y a rarement plusieurs niveaux en même temps… dans mon souvenir…).
The Scythe-Meister a écrit:
C'est en ce sens là que je dis que le mythologique est générée à partir d'un rapport intime qui est le rapport à la mort, de soi et de l'autre. L'esthétique du film n'existe que par le prisme du mythique et de sa fonction dans l'existence des personnages (et c'est bien là pour moi l'originalité profonde du film).
Il y a un désir d’efficacité et/ou de « poésie » qui me semble assez extérieur aussi (je pense par exemple à la scène où Izzy est en train de mourir, avec la succession de plans très rapides sur Jackman). Et ensuite, si l’esthétique du film est calquée ou imprégnée de mythes, ce n’est pas pour autant qu’il faut tomber dans l’image d’Epinal (pour le passé : forêt noire pluvieuse avec branches entremêlées / pour le futur : aspect clinique et fonds d’écran…). Tu vas me dire qu’on voit très rarement ça au cinéma… Peut-être justement à cause de ça.
The Scythe-Meister a écrit:
Cela transparait d'ailleurs de manière très évidente dans le filmage par symétries et lignes droites et l'abondance de motifs primitifs.
Les lignes droites et la symétrie, ok, mais tu peux donner des exemples de motifs primitifs ?
The Scythe-Meister a écrit:
De plus, écrire c'est "expérimenter sa mort" pour citer Jabès. Cela revient à s'étendre en se figeant, à perpétuer son être tout en le laissant mourir, à engager son être dans la possibilité d'être à nouveau. Donner son livre à terminer à l'autre, c'est un geste d'ouverture, pour Izzy c'est donner sa mort à l'autre. Le recevoir et accepter de l'écrire, ce n'est pas juste combler le vide, retrouver l'autre ou une forme de l'autre comme dans la lecture, mais le perpétuer. Dans ce double geste, il y a le principe d'immortalité. Transposé au récit principal de The Fountain, être immortel, c'est perpétuer sa pensée dans l'autre au travers de l'écriture.
Ok. Sur le fond je suis tout à fait d’accord. C’est un thème original au cinéma (voire même tout court), et qui peut donner un résultat très beau. J’ai hâte de revoir le film, du coup, mais il me semblait vraiment que la mise en scène plombait le film. La fin « nirvanaësque » de Jackman, par exemple, m’a franchement horripilée. Je pense finalement que le film aurait gagné à être plus simple, plus sobre, plus modeste, moins tape-à-l’œil.
The Scythe-Meister a écrit:
Sachant qu'aucun film ne peut rien faire de plus que renvoyer à cette pensée, c'est déjà pas mal. L'intérêt est avant tout sensoriel, il s'agit d'expérimenter un ordre impossible à atteindre dans le livre. C'est différent. Si je veux de la philosophie j'ouvre un bouquin de philosophie. Evidemment que ce n'est ni du Blanchot ni du Heidegger, mais aucun film ne le sera jamais.
Je ne demande pas à voir un film-thèse, mais on peut très bien, dans un film, élaborer une pensée, un discours sans tomber dans le pensum. La relation entre Izzy et Scratchy (j’ai oublié le nom de Jackman), notamment avec le bouquin, fait plus que renvoyer, finalement, à cette pensée, elle l’illustre presque.
The Scythe-Meister a écrit:
Enfin "renvoyer" ce n'est pas péjoratif pour moi, toutes les oeuvres passent leur temps à renvoyer à d'autres oeuvres (c'est le principe de la bibliothèque de Babel de Borgès, n'est-ce pas?).
Ce n’est pas péjoratif, mais ça peut parfois montrer les limites de l’œuvre. Ce qui n’est pas péjoratif non plus. On s’en sort pas !
Une œuvre qui ne ferait QUE renvoyer à d’autres œuvres, ce serait à faire. Ca a même sans doute été fait.
Quant à la Bibliothèque de Babel, ce n’est pas le seul principe de la nouvelle !