parfois, on tombe sur un texte qui dit exactement ce qu'on aurait envie de dire et en tellement bien, tellement mieux qu'on l'aurait, que du coup... on n'a plus rien à dire... Je sais que vous n'aimez pas trop MatiereFocale, mais putain, là quel article! Notamment tout le coeur, cette intelligence des moyens de la mise en scène, c'est vraiment un plaisir à lire (et ça donne envie que la critique "professionnelle" se permette de vraiment mettre les mains sous le capot des films, ce qui est méga-rare).
J'aurais p-ê personnellement insisté davantage sur l'aspect organique, qui m'a vraiment surpris, quand la plupart des films de SF prennent le pli assez fastoche de la froideur ; sur le beau "paradoxe du réseau", de ce tissus de communications à distance qui régit toutes les relations entre les personnages, entraînant paradoxalement un grande proximité entre les êtres, je trouve ça très surprenant, très poignant ; et sur la musique, que je trouve superbe (les deux parties du générique final sont géniales, ceci sans compter que le remontage auquel on assiste est un vrai kif).
5/6, vraie surprise. Le jour où j'écrirai un scénario avec si peu de gras, je serai fier comme un pou.
Citation:
Les choses vont mal. Nous sommes dans le vide spatial, quelque part entre la Terre et le Soleil, à bord d'un grand vaisseau spatial qui a la forme d'un immense clou, en quelque sorte. Ce vaisseau est en effet longiligne, et se termine en tête par un immense disque, perpendiculaire à cet axe. [Intéressant, n'est-ce pas ?] C'est vrai, j'ai remarqué que les critiques de cinéma ne décrivaient jamais les vaisseaux des films de science-fiction avec précision mais sang froid. Il faut que cela cesse. Mais c'est une autre histoire... Passons. Cette tête champignonesque du vaisseau est en fait une immense bombe. C'est même la bombe la plus puissante et la plus démesurée jamais construite, et c'est déjà la deuxième de ce type que les terriens ont construite, construction qui a mobilisé tant d'énergie qu'on peut d'ores et déjà annoncer solennellement qu'il n'y en aura pas de troisième, la Terre ne pouvant encore s'offrir autant de ressource.
Cette bombe a été fabriquée par un jeune scientifique, qui est d'ailleurs à bord du vaisseau : Cillian Murphy (découvert ici chez Danny Boyle dans 28 JOURS PLUS TARD, et revu également dans l'excellent RED EYE de Wes Craven). Pour lui et les six membres d'équipage qui l'accompagnent, tous astronautes experts et/ou scientifiques de haut-vol, cette cargaison très dangereuse est un bien précieux. Depuis quelques années, les scientifiques ont remarqué que le soleil émettait de moins en moins de lumière, et pour cause : il est en train d'agoniser et bientôt, faute de chaleur, l'humanité est condamnée à mourir. Il y a six ans, un premier vaisseau, identique à celui de Cillian Murphy, est parti avec la même bombe, s'est dirigé vers le Soleil en espérant l'y envoyer, et ainsi, par une gigantesque explosion d'énergie, faire repartir le cœur de l'astre. Cette première mission fut un échec, le vaisseau ayant disparu sans laisser de traces...
L'ambiance est donc lourde et solennelle à bord de ce second vaisseau qui détient l'avenir des hommes entre ses mains [Tu n’avais pas dit que le vaisseau avait des mains quand tu l’as décrit ! NdC]. Le voyage dure plusieurs années. Tout se passe à peu près convenablement, lorsqu’un des 7 astronautes récupère par hasard le signal de détresse du vaisseau de la première mission. Un choix difficile se dresse devant nos héros : continuer strictement la mission ou se détourner pour retrouver le vaisseau perdu ? Si le détour est possible, il est aussi risqué, et de toute façon, il n'y aura sûrement aucun survivant à bord. En même temps, en récupérant ce premier vaisseau, nos amis pourraient également récupérer la première bombe, et doubler ainsi leurs chances de sauvetage du soleil... Le choix est difficile et divise l'équipage...
Ce résumé est dix fois trop long et raconte les choses à l'envers, mais espérons qu'il donne à peu près le "la". Ah, revoilà notre ami Danny Boyle, l'idole des jeunes il y a quelques années. Celui qui transformait le plomb en or. Le chiquissime Danny Boyle, apanage du cinéphile branché il n'y a pas si longtemps. Ben moi, Danny Boyle, je n’aime pas ! Je n'ai jamais aimé TRAINSPOTTING, et malgré un sujet passionnant, LA PLAGE était quelque chose d'absolument raté, comme nous le rappelait le Marquis il y a peu. Et puis, pour ma part, voilà que je le vois arriver avec 28 JOURS PLUS TARD, belle ré-appropriation du film de zombie, grave et assez originale, et dont la mise en scène, enfin, semblait sortir des tics voyants pour développer une architecture plus construite, plus solide. Mine de rien, et malgré la pléthore de films de morts-vivants, Boyle arrivait sans avoir l'air d'y toucher à atteindre une émotion enfouie mais palpable dans le cœur le plus sombre du spectateur. Un film vraiment rythmé, très bien écrit, et avec de vrais morceaux de mise en scène dedans ! Miam ! Depuis, on l'attend, le Danny Boyle, même si on a loupé le dernier il y a deux ans (MILLIONS, je crois) , qui fut tellement mal distribué que même moi, alors que la ville où j'habite a passé le film, je n'eus pas le temps d'aller voir ! [Évidemment, quand le film est sorti à la sauvette, ça n'encourage pas les spectateurs à se déplacer à la vitesse de la lumière, les entrées sont forcément désastreuses, et du coup le film est retiré de l'affiche illico presto !]
Et bien les amis, ce fut une surprise. SUNSHINE, dont le tournage est achevé depuis 2005 (!), mais qui a battu des records de longueur en matière de post-production, a été fraîchement accueilli. Accueil critique plus que mitigé, écho public désastreux, etc. Et pourtant, la première chose qui saute aux yeux, c’est l’option choisie par Boyle, assez loin de cette réputation justement, selon laquelle, au mieux et donc en guise d’hypothèse haute, le réalisateur n’aurait pas su se débarrasser du "canevas du genre" (lu dans la presse locale), et ce serait donc laissé enfermer dans les poncifs. SUNSHINE rappellerait donc une foultitude de films de SF connus, empruntant ici et là d’hallucinantes péripéties ou thématiques, toutes honteusement repompées. On pouvait attendre quand même plus de la part de Boyle, disent-ils. Paradoxalement, et malgré ces remarques unanimes ou presque, le film serait aussi (!), tenez-vous bien, et même tenez-vous mieux, une grosse resucée du 2001 de Kubrick ! Bah, faudrait savoir, les petits gars… C’est STAR WARS ou 2001 ?
En fait, les choses sont plus simples et malgré cela, la confusion, une fois de plus, a régné en maîtresse SM. Le parti-pris de Boyle est pourtant clair comme du France Roche, et l’opération, pour ne pas dire (ça faisait longtemps !) le modus operandi (prononcez à l’anglaise, c’est plus chic : meudeusse opérandaille !), rappelle complètement celui de 28 JOURS PLUS TARD. Bah oui quoi, les cocos, c’était pas compliqué. Il s’agit en effet de faire un film qui s’inscrive assez fidèlement dans le genre, tout d’abord. Ensuite, il s’agit de dégraisser la chose afin de plutôt privilégier une certaine épure scénaristique, ce qui permet de développer un film plutôt sec (mais non sans lyrisme, on le verra), avec une série d’événements prenants mais essentiels, sans frou-frou ni fanfreluche. De la série, mais serrée, donc tenue au cordeau, pourrait-on dire. Sur cette base, comme on dit en cuisine, Boyle s’attache à développer un point de vue personnel, et surtout à faire passer ses thématiques au travers d’une petite galerie de personnages bien troussés, et aux enjeux assez fortement délimités. Ce qui n’empêche pas Boyle de délivrer un film personnel. C’est à travers sa mise en scène, dans les partis pris esthétiques, que le réalisateur sait faire la différence et sait mettre en relief de manière intimiste mais lyrique des enjeux que justement, bien au contraire, la multiplication des films sur le même thème a vulgarisés (dans le sens de "rendu communs"), puis vidés de leur sens en les rangeant au rang de poncifs ou de passages obligés. En clair, on a tendance ici à reprocher à Danny Boyle ce que tous les autres font justement, et sans vergogne encore. On est pourtant loin des films de bureaucrates et/ou de story-boarders qui n’utilisent le genre, bien souvent, que pour développer des effets spéciaux, ou encore pour remplir un peu plus l’étagère du rayon science-fiction. Au final, 28 JOURS PLUS TARD était quand même très proche des enjeux émouvants d’un Romero, tout en s’inscrivant comme un film bougrement personnel, avec un point de vue franc du collier mais singulier. Ce film, loin d’être un énième film de zombies (comme L’ARMÉE DES MORTS de Zack Snyder d’ailleurs, film plutôt bien troussé ici et là, et pas infamant du tout, du reste), réussissait un décalage assez lyrique et imprimait un ton assez frappant. Si SUNSHINE est un film rempli de poncifs (en fait, voilà bien une remarque qui en dit très long sur la façon dont la critique et le public voient le cinéma de genre : un objet de consommation agréable qui s’est certes démocratisé mais auquel, peut-être inconsciemment, on refuse le statut d’œuvre singulière, préférant ainsi évaluer ces films à l'aune de la modernité de leurs effets spéciaux, en général mochissimes…), alors pourquoi ne pas avoir fait à l’époque la remarque sur 28 JOURS PLUS TARD, construit après tout avec les mêmes prérogatives et le même soin ? Passons.
SUNSHINE est donc un film dont la trame est effectivement assez épurée et les enjeux bien définis. Malgré cela, ou plutôt grâce à cela, le film nous met rapidement sous pression. L’enjeu de départ du film (faut-il ou non prendre le risque de dévier du programme qui pourrait sauver le genre humain, ou au contraire le verrouiller ?) fonctionne très bien, pour une bonne raison scénaristique que Boyle a raison de mettre en avant : la moindre opération, le moindre imprévu mettent automatiquement la mission sous un jour dangereux, voire désespéré. La moindre opération technique (sortir du vaisseau, parer à une anomalie…) devient cruciale, comporte des risques hallucinants et peut engendrer une série de modifications, elles aussi imprévues, qui s’enchaînent dans une lente cascade. C’est très bien joué, et c’est là que Boyle marque des points d’emblée, et même se distingue de la concurrence. Car ce procédé, décrit dans le film comme "normal" et envisagé seulement sous l’angle simplement technique, met en lumière, et même en une douloureuse perspective, trois facteurs qui vont mettre le spectateur sous pression. D’abord, le procédé souligne l’extrême fragilité du programme global de sauvetage de l’humanité. La ligne à suivre est fragile, et le programme de survie se base sur une hypothèse théorique dont on est pas sûr qu’elle puisse marcher dans les faits (idée bien développée d’ailleurs, et relayée par une autre : en effleurant le soleil du bout des doigts, il y a un point vide, un inconnu physique, un espace non-calculable). Deuxièmement, le procédé permet aussi de souligner le fait que la mission repose sur sept personnes et non pas sur 20 ou 40, ce qui place assez haut l’importance du facteur humain et des dissensions dans le groupe (chose sur laquelle le film joue de manière essentielle mais très adulte, je trouve, car les personnages sont bien dessinés et très loin justement des poncifs dans ce type de situation : ce sont d’abord des techniciens rationnels et non pas des ego ambulants, trimballant leur lot de conflits. Même si le film joue sur ces conflits aussi, la base, assez émouvante, de la gestion des personnages fonctionne parce qu’elle n’oublie jamais l’enjeu de l’opération. Le film fonctionne sur ce point parce que justement, l’aspect scientifique des personnages, pourtant sensibles, et même très sensibles, qui ne le serait pas à leur place, évite de tomber dans les lourdes démonstrations pleines de pathos qui auraient pu avoir lieu dans un tel contexte). Ceci amène le troisième point de tension du film, qu’on retrouve quasiment tout le temps dans la mise en scène : la démesure complète entre l’échelle humaine, et même bien souvent individuelle (ce que permet l’excellente gestion, parfois très libre (cf. la fin, où on "oublie" certains personnages), du groupe, sur laquelle joue en contrepoint le parcours plus individualisé du héros, Cillian Murphy), et la démesure de la mission et du cosmos lui-même. Et sur ce point précis, le film insuffle beaucoup d’émotion. Bien qu’elle soit assez bien à l’œuvre dans la littérature SF, ce n’est pas si commun de ressentir de manière touchante et palpable la démesure des enjeux et de l’échelle. Les humains du film, ce petit groupe serré, paraissent n’être vraiment que quelques grains de poussière. La vacuité de l’existence humaine, malgré sa singularité, est peut-être un enjeu classique du genre, mais il n’empêche, elle est ici diablement bien incarnée et étonnement gérée dans le dispositif scénaristique pur. Et Boyle pousse même la machine bien au-delà du script lui-même, en incarnant dans chaque plan, et à tout instant dans la mise en scène, ce beau principe sur le papier. Une belle idée, même simple comme ici, de scénario, le développement d’un axe principal dans le déroulé scénaristique, l’installation d’une thématique, tout simplement, c’est une chose, mais la faire respirer, l’incarner dans l’esthétique du film et dans la mise en scène d’un film (l'inféoder à cette mise en scène), c’est encore autre chose. Et si Boyle arrive à faire justement que son film se démarque, c’est bien en cela : savoir incarner des enjeux de papier, en avoir le soucis constant même. Voilà qui déjà n’est pas si commun que ça, et nous met en face d’un film de SF aux enjeux vraiment adultes. Ce qui devient extrêmement rare, et même rarissime dans la SF contemporaine et ses dérivés. Voilà bien longtemps qu’on n’avait pas été ému et secoué de la sorte. [Cette dernière phrase est parfaite pour une critique de Télé 7 Jours !] Voilà bien longtemps qu’un film de ce genre n’avait pas pris le risque de prendre les choses au sérieux, au premier degré serais-je tenté de dire. Le film ne fait pas qu’utiliser le genre dans une pure perspective de divertissement. Il se développe d’ailleurs sur une base assez sèche, jouant plutôt l’épure en matière d’événements (il y en a peu mais leurs développements sont assez gigantesques), rend ainsi ses lettres de noblesse à un genre qui d’habitude consiste surtout à divertir le teenager. Le sentiment d’un film "pour adultes", d’un film mature, parfaitement ancré dans le genre, quoi !
Et puis quand on met les mains dans le moteur, et c’est quand même là que SUNSHINE est le plus intéressant, ce n’est pas dégueulasse non plus ! C’est évident que c’est là que les choses les plus intéressantes se passent. Et c’est aussi là que le film étonne son monde, pour le meilleur et pour le pire, selon notre humeur. Si l’histoire de SUNSHINE développe donc, comme on vient de le dire, une histoire classique avec un traitement et une hiérarchisation des thèmes futée, la mise en scène, elle, est la justification ultime du métrage. Après une entame classique et une présentation des personnages un peu chahutée et assez classique, le film part rapidement, et au bout de quelques minutes seulement, dans des directions beaucoup plus osées. Il s’agit là aussi, comme pour le scénario, de développer et de mettre en valeur un contexte crédible et complètement adulte de l’univers SF. Pas de chichi, pas d’objet futuriste délirant, rien. [À part quand même les plaques patronymiques, un peu too much, mais c’est un micro-détail et je m’étonne moi-même d’avoir pensé cela pendant la projection ! On est peu de chose quand même ! Et il y a aussi ce jet de lumière verte dans lequel vient se fixer un des personnages, mais à peine a-t-on le temps de se dire "le design ça suffit", on découvre alors la superbe idée de Boyle : la perception du son (qui est donc aussi une lumière) et le placement de l’acteur-personnage dans la lumière du cadre et non pas l’inverse ! Bravo !] C’est donc du concret, loin du zinzin habituel, et même avec quelques belles idées de direction artistique ça et là, comme ces gros scaphandres dorées qui ont dû énerver plus d’un fan hardcore de SF, mais dont la grossièreté gargarinienne exprime bien la lourdeur, et donc le danger, des tâches à accomplir. Sinon, Boyle joue avec malice sur des événements connus du genre, qu’il développe avec assurance, appuyant sur l’aspect calme et vertigineux et dangereux du cosmos où l’équipage humain apparaît comme des fourmis de titane. Ça fonctionne tout à fait bien, et d’autant plus que le réalisateur sait garder la tension sur les personnages, chose particulièrement remarquable et surprenante notamment dans les passages ou les plans les plus abstraits ou gratuits du film. Et le Boyle n’y va à la façon de ses collègues. On a une nette impression de concret donc, et surtout de découvrir un univers de mise en scène vraiment sérieux et incarné là aussi, si on peut dire. Tout cela paraît tangible et comme je le disais, est très bien géré, les personnages et leurs émotions (toutes gigantesques), sachant parfaitement prendre le relais des plans à effets spéciaux. Et bon dieu de bois de ciboire de kriss, comme ça fait du bien, bon sang de bonsoir, de voir un film où les effets spéciaux vivent vraiment dans le même espace, et de cadre et de mise en scène, que les personnages. Bien que le film soit truffé, sans nul doute, de fonds verts et d’images de synthèse (c’est délicieux cette expression désuète, vous ne trouvez pas ?), à aucun moment on n’a l’impression de voir des personnages en gros plan affrontant des armées de contrechamps numériques pourris. D’abord l’échelle de plans est totalement convenable. Boyle, finalement, est un old-shool et sait spatialiser, sans jeu de mot, son film en deux temps trois mouvements. Et d’une. Donc, quand il fait un gros plan, il y a une raison (généralement pas celle de 99,58% des réalisateurs vivants : "être au plus près de l’émotion des personnages", mythe stupide et absolument déconcertant de bêtise ! Un plan émouvant c’est un plan moyen ou un plan de demi-ensemble, l’expérience le prouve !), et en plus d’avoir une raison, en général, Boyle essaie de faire à cette occasion de belles choses pour appuyer ces plans rapprochés bien banals en général : raie de lumière, petite contre-plongée, son distordu en accompagnement, et autres petits machins tout à fait de bon aloi. Et s’il sait jouer de l’opposition grand/petit, pleine lumière/ombre, façade lise/relief, etc., ce qu’un honnête réalisateur aurait fait en réalisant ce film, Boyle ne s’arrête pas là, et profite de tout ce que Dieu lui a mis dans les mains. Et il ne se prive pas, le garçon. Lumières parasites, sons inattendus venant parasiter le film, équalisation changeante et magnifique du timbre de voix des acteurs (très beau), utilisation de textures sonores riches et souvent en opposition, utilisation du second plan sonore (le très beau cri distordu et sourd, et non pas aigu et agressif, ce que n’importe qui aurait fait, lorsque le chef de la mission affronte le soleil dans la première partie du film, son très émouvant et sotto voce dans un mixage déjà chargé), et à l’image, jeu de reflets, contraste des ambiances lumineuses, souvent subtiles, jeu de sur-cadrages, jeux de perspectives, rupture de rythme, et beautés globales des effets, qui, pour une fois, et ça arrive deux fois par décennie, sont beaux, bien que numériques, c'est-à-dire un peu salis par la lumière, rugueux, palpables, loin du tout lisse en caoutchouc plastique de la concurrence technique (contraste saisissant avec le film-annonce de SPIDERMAN 3 de Sam Raimi, avant le film, et qui monte très bien ce que je dénonce totalement ici). Finies, les saccades épileptiques. Et bonjour, découpage. À se demander si Boyle n’essaie pas de nous faire du Michael Mann dans l’espace. [Ne me faîtes pas dire ce que je n’ai pas dit ! Ce n’est pas comparable à Mann, c’est une analogie et non une comparaison !] C’est très riche. Outre le son, superbement mixé, riche en textures pour une fois, comme je le disais, très astucieux et lui aussi surprenant (c’est peut-être la plus belle surprise du film), l’autre belle surprise (y'en a encore!) c’est la construction du montage qui, au fur et à mesure que le film avance, tend à détruire le contrechamp ! Quelle audace! Il s’en passe de belles, notamment avec de beaux inserts dans une séquence (inserts pris à l’envers de la mode hollywoodienne, c'est-à-dire trop courts et surtout non interrompus par le son, un peu comme des scories de montage… D’ailleurs, dans cette séquence, c'est surprenant, Boyle conclue de manière un peu décevante ou un poil poussive ce superbe dispositif… Dommage...). Mais le plus beau en matière de montage se trouve dans le rythme vraiment couillu du final, tout en arythmie et distorsion du temps, et là, je pèse mes mots, à l’EXTRÊME OPPOSÉ de tous les autres réalisateurs ! C’est vraiment jouissif, même si ça ne vaut pas forcément un point de collage chez les Straub ou dans LE MIROIR de Tarkovski (hihi !), de voir que Boyle tord son médium, le fait travailler, le distord, en utilisant un bel effet notamment, qu’on trouve déjà présent dans un plan de 28 JOURS PLUS TARD, comme le Marquis me le faisait justement remarquer. Chut, je n’en dis pas plus. [La séquence est d’ailleurs pleine de belles choses, notamment le membre qui se déchire, belle idée, ici très organique, la réapparition surprise de deux personnages mais sur laquelle Boyle passe vite, ce qui est bien joué, la disparition d’un autre personnage hors-champ, et le renversement des perspectives, notamment…] Bref, il y a largement de quoi manger dans ce film, et enfin, enfin, enfin, on sent un réalisateur qui essaie de bosser et qui essaie de faire en sorte que son film soit original et ne se réfère justement pas à grand-chose, ou alors le moins possible. Et ça aussi, c’est assez rare pour être souligné fort à propos par moi-même. Malgré le classicisme du postulat de départ, on a que très rarement l’impression de marcher sur des sentiers battus et rebattus.
Les acteurs sont très bien servis par un scénario qui leur offre beaucoup, et également qui sait les solliciter à l’extrême. Mais ici, pas de pathos surchargé comme je le disais. C’est émouvant très souvent, un poil lyrique parfois, mais surtout, c’est du sobre. La gestion des "seconds rôles" est également maligne, jouant sur la possibilité d’ouvertures sur tel ou tel sujet, ce qui n’arrive en général pas, et donc rend le film assez anxiogène. Cillian Murphy, très sobre (et qui est une fois de plus entre le très beau et le très laid ! Quel physique bizarroïde !) est impeccable. Les autres sont également chouettes, très attentifs comme savent l’être les anglo-saxons. Petite mention à Michelle Yeoh, qui n’a peut-être pas le rôle le plus inattendu mais dégage beaucoup et qui vieillit merveilleusement ! En général, on note que le scénario est vraiment inintéressant, et développe des thèmes toujours prenants comme le sacrifice, la technique, et enfin le vertige ressenti face à la violence de l’existence, de la vie elle-même, et ici du cosmos. Ce que fait Boyle de son héros est d’ailleurs assez élégant, car il le fait frôler justement la perversion tant décriée dans le final, en réunissant sa quête à celle de l’Autre, celle de la fascination irrésistible pour les limites. Il s’en faut de peu pour que Cillian Murphy et l’Autre justement visent le même but. [Je parle ici en codé, afin de ne rien vous dévoiler…]
Alors, évidemment, j’émettrais quelques réserves. Il y a ici et là des choses qui m’ont déplu, une poignée de plans plus conventionnels, la fameuse conclusion des inserts bien maladroite et convenue dont je parlais tout à l’heure… Et sans doute la conclusion du film (la toute dernière scène, à ne pas confondre avec le final donc). Moi, j’aurais coupé avant. Si les producteurs m’avaient laissé tranquille, j’aurais gommé la scène. Sinon, bien mieux, j’aurais coupé quand la femme appelle ses enfants. Sans les deux derniers plans d’ensemble ! Et bing ! Mais tout cela est peu de chose, et la première impression est tellement réjouissante, on est tellement content de voir un réalisateur de mettre les mains dans le moteur qu’on ne va pas chipoter : SUNSHINE est un très bon film, qui vise clairement le grand public mais qui essaie paradoxalement de livrer un contenu ambitieux, une forte volonté d’abstraction et une mise en scène poussée. C’est comme la comète de Haley, ça ne passe pas souvent près de notre planète…
Fatalement Vôtre,
Dr Devo.
Gerry, notamment, toi qui parles du dispositif de mise en scène dans ton avis, si tu lis ce texte, j'aimerais bien avoir ton retour...