Film Freak a écrit:
Rematé l'autre jour, film que j'avais pas vu en salles à l'époque parce qu'interdit au moins de 16 ans (craquage d'ailleurs) puis vu en VHS parce qu'un pote était fan de Point Break. J'avais bien aimé mais sans plus, retenant surtout la BO mais au fil du temps, je l'ai apprécié de plus en plus et même choppé en DVD sur le tard.
Le film prend un peu cher avec son anticipation dépassée (c'est sorti en 1995 et ça se passe en 1999) et évidemment avérée fausse (nul débordement lors du passage à l'an 2000) mais qui témoigne vraiment de son époque finalement.
Sorte de faux film de SF purement '90s (l'histoire évidemment inspirée par l'affaire Rodney King de 1994, la peur millénariste, la menace de l'implosion imminente de la société) avec son casting improbable (Ralph Fiennes en lead à contre-emploi et la galerie de seconds couteaux d'époque : Bassett, Sizemore, Wincott, Lewis) d'inspiration très légèrement williamgibsonienne mais surtout jamescameronienne (le Playback, extension du corps - comme le Power Loader d'Aliens, l'explorateur sous-marin Little Geek d'Abyss, et évidemment l'Avatar de Jake Sully dans le film du même nom, y a d'ailleurs déjà un mec en chaise roulante qui profite de la technologie lui permettant de "marcher" ici - et de l'oeil humains - la vue subjective du Terminator, les caméras des Marines d'Aliens, Little Geek, etc.), normal vu qu'il écrit le scénar pour son ex.
Bigelow se débrouille très bien d'ailleurs (excellents plans-séquences pour les scènes de Playback), pour moi c'est son meilleur film (pas encore vu The Hurt Locker), rien de fou (je trouve son style impersonnel quand même) mais bien dynamique comme il faut (même si tous ses films semblent mal vieillir, en particulier ceux des années 80).
J'aurai quand même été curieux de voir Cameron s'y atteler lui-même. Il aurait peut-être transcender le côté "petite série B" qu'a le film (même si c'est aussi ce qui fait son originalité et son charme : futur très proche, pas d'exagérations dans la direction artistique, contexte social, intrigue de film noir).
5/6
Il y a 15 ans, mon avis se focalisait sur ce qu'on retrouvait du cinéma de Cameron et aujourd'hui, forcément, dans le cadre de cette rétrospective, c'est bien évidemment Bigelow que je retrouve dans ce que j'estime toujours être son meilleur film.
Dès le départ, avec cette introduction grandiose en plan-séquence et vue subjective qui renoue avec l'énergie des embardées au Steadicam de
Point Break, Bigelow nous confronte une fois de plus à notre fascination pour la violence. Avant même de révéler le concept SF du film, on est pris dans l'action viscérale, soumis à ce rush d'adrénaline, et là le twist arrive : c'était dans la diégèse même une expérience vécue par procuration. On est dans un monde où ce désir de sensations fortes transgressif (criminalité, sexualité débridée, possibilité de vivre l'expérience du sexe opposé...) est une contrebande, une drogue même pour certains. Comme à son habitude, Bigelow approche cette idée avec ambivalence, soulignant son caractère illicite et dangereux tout comme son attrait.
C'est marrant parce qu'en ce moment, j'essaie de compiler des films sur le voyeurisme et j'avais zappé que
Strange Days était un gros film de voyeur. On est vraiment dans la scopophilie pure, plus que jamais dans la pénétration de l'intimité d'autrui étant donné qu'on ne se contente pas de voir l'autre, ni même de voir ce que voit l'autre, mais qu'on s'approprie carrément son ressenti. Le concept sied parfaitement à ce film chargé en paranoïa à l'aune d'un nouveau millénaire que l'on célèbre alors que le monde est pourri, avec ses tensions raciales, sa police violente...
Que la dystopie soit légère est
a feature, not a bug. Ce n'est pas un film de SF mais un film noir, avec quelques incursions d'action mais une structure qui prend son temps, s'attachant à son univers et ses personnages séduisants dans un premier temps - le
"pussy-whipped sorry-ass loser" Lenny Nero en tête, vrai héros pathétique avec ses costards pas possibles (big up au look d'absolument tout le monde d'ailleurs, aussi stylé que leurs blases) - avant de basculer dans le thriller bien bresom avec une utilisation des plus perverses de la technologie (le tueur qui fait ressentir à ses victimes leur propre viol et meurtre, on est loin des
"I'll never let go, Jack" et des Na'vi qui unissent leurs tresses).
J'adore comme il s'agit d'un film "plein", avec sa double intrigue policière, ses deux romances, ses deux protagonistes brisés, ses différentes addictions destructrices (Lenny accro à Faith), et comme c'est vénère tout le long, dans le fond comme dans la forme, éminemment plus bigelowienne que cameronienne.