Attention, longue intro Bob's School of Writing.Quand le personnage est réapparu sur les écrans en 1995 après 6 ans d'absence, son plus gros hiatus, les bandes-annonces et les affiches de GoldenEye avaient pour tagline "
You know the name. You know the number." Et c'est comme si elles s'adressaient exclusivement à moi.
Je connaissais James Bond mais je n'en avais vu aucun, même à la télévision, et c'est directement au cinéma que j'ai découvert le célèbre agent secret, lors de sa première aventure sous les traits de Pierce Brosnan, et donc pendant longtemps le film est resté mon épisode préféré, et garde forcément encore une place spéciale dans mon coeur.
A l'approche de la sortie de Skyfall, j'étais dans une vibe 007 mais j'attendais les jours précédant la projection pour me refaire Casino Royale et Quantum of Solace, donc pour patienter, je me suis rematé GoldenEye et Demain ne meurt jamais, qui restent les deux meilleurs opus de Brosnan. C'est la première fois que je les voyais APRES que la franchise ait été rebootée avec Daniel Craig, et force est de constater que les deux derniers volets ont rendu les films de l'ère Brosnan presque irregardable.
J'ai toujours adoré l'acteur dans le rôle mais a posteriori, je comprends tout ce que ses détracteurs lui reprochent.
On dirait un mix entre Timothy Dalton, grand brun ténébreux, et Roger Moore, et son flegme british. Malgré tous les efforts dans l'écriture, qui essaie de proposer un côté un tant soit peu auto-réflexif, avec un soupçon d'introspection pour le protagoniste, on reste encore dans la formule bondienne à base de
too much et de
punchlines totalement gratuites (y a personne pour les entendre...à part les spectateurs, c'est presque méta). Du coup, Brosnan a un peu le cul entre les deux, avec cette volonté de composer un rôle sérieux mais sans perdre de vue l'humour qui a caractérisé la série durant l'ère Moore.
Et ça, ça ne passe plus du tout aujourd'hui.
On ne peut plus avoir de Bond Girl comme Natalya (Izabella Scorupco), informaticienne lambda qui semble embrasser les emmerdes maousses sans que cela ne lui pose le moindre problème, malgré les morts. Ca, après avoir vu Vesper traumatisée par juste UNE baston qui culmine en un meurtre sale se réfugier sous la douche, c'est plus possible.
Casino Royale a apporté une dose de réalisme à la saga qu'elle ne peut plus nier à présent. Le mot "réalisme" n'est peut-être pas le plus appropriée quand on parle de James Bond, mais ce reboot est clairement davantage ancré dans un monde réel que ses prédécesseurs, ne serait-ce qu'au niveau des
bad guys,
middlemen d'un groupe de terroristes en cols blancs versant dans la magouille géopolitique plutôt que le casse du siècle.
Craig est la parfaite incarnation de cette nouvelle direction. Moins raffiné, plus brut, mais aussi plus dangereux. En cela, il rappelle davantage Sean Connery que tous les autres Bond. Il dégage ce même magnétisme sexuel qui manque terriblement à Brosnan, trop lisse, aussi beau gosse puisse-t-il être. Surtout en comparaison à Craig donc.
Malgré tout, parmi les spectateurs, fans et moins fans ont chacun leur vision du personnage et de l'univers, et imposent à la licence un cahier des charges qui n'a pas forcément lieu d'être. Un catalogue de passages obligés que peu de chapitres parviennent à énumérer de manière exhaustive. Presque chaque film est en réaction par rapport au précédent, ce qui rend les épisodes assez complémentaires. Ce qui manque à GoldenEye est dans Demain ne meurt jamais et vice versa. Et il en va de même pour Casino Royale et Quantum of Solace. D'autant plus que le second sert vraiment d'épilogue au premier.
Finalement, ce que je préfère dans le Martin Campbell, c'est les personnages et toutes les scènes hors action (la rencontre dans le train, le poker, la torture), tandis que ce que j'aime dans le Forster, c'est plutôt l'intrigue géopolitique et l'action (avec ces séquences un peu concept incarnant chacun des 4 éléments). Casino Royale est plus réussi, cela va sans dire, mais je persiste à trouver Quantum of Solace racé, et donc intéressant (la scène de l'opéraaaaa). En dépit de tout le mal que j'ai pu dire de Forster, il apporte une patte au film que je ne trouve pas simplement "bournienne". Le film garde une identité propre. J'adore l'efficacité du classicisme classieux de Campbell (la scène de Parkour super carrée, la poursuite en camion
old school à la Raiders of the Lost Ark, le poker encore) mais je trouve le Forster formellement plus séduisant (les décors plus bondiens, la photo moins datée).
L'idéal serait un amalgame des deux. Et le choix de Sam Mendes après Forster prouve que les producteurs veulent sortir du profil de faiseurs anonymes en s'orientant vers des réalisateurs nommés à l'Oscar, avec une sensibilité plus indé...
The only question remains, Mendes allait-il savoir unir en un même film les qualités des deux premiers Bond de Craig?
La réponse est oui.
Cela peut paraître superficiel mais rien qu'avec un coup d'oeil au générique, on peut voir ce que Mendes a choisi de garder des deux précédents : il rappelle Stuart Baird et Alexander Witt (respectivement monteur et réalisateur 2nde équipe de Casino Royale) et Dennis Gassner (chef décorateur de Quantum of Solace). Rien que ces quelques noms en disent déjà long sur la gueule de ce Skyfall, qui opte donc pour de l'action maousse mais old school via un rythme posé (contrairement au découpage "bournien" du Forster) mais des décors dans la plus pure tradition de Ken Adam (grandiloquents, pour ne pas dire carrément théoriques ici).
Théorique, un peu comme le rapport de Bond au bad guy, un Javier Bardem énormissime, composant un méchant quelque part entre son propre Anton Chigurh de No Country for Old Men et le Joker de Christopher Nolan. Certaines critiques ont déjà évoqué l'influence des Batman de Nolan sur Skyfall et c'est assez juste. Déjà Casino Royale suivait un peu dans les pas du reboot qu'était Batman Begins, et Skyfall continue dans la même lignée, faisant la part belle à ses personnages, au détriment sans doute de l'action.
Que cela soit clair tout de suite, ceux qui n'étaient pas rassasiés par l'action du film de Campbell risquent d'être encore plus déçus par celle de Mendes. Passée l'extraordinaire prégénérique, qui pousse la démesure plus loin que ce que les Bond de Craig ont osé jusqu'à présent (mais le physique et le jeu de Craig permettent de faire passer la pilule, même quand il ajuste un bouton de manchette après un saut dangereux), l'action se réduit souvent à des corps-à-corps, plutôt qu'à de gros morceaux de bravoure. Même le climax rappelle davantage celui de The Bourne Identity que la maison qui coule de Casino Royale.
Il y a clairement une volonté d'être plus terre-à-terre, malgré quelques déviances vers les penchants les plus moorien de la saga (pas de requins mais pas loin). Cela se manifeste aussi dans l'intrigue, qui adopte un enjeu personnel et non global. La franchise sous Craig aura ramené Bond dans le monde réel, ici un monde post-11 septembre où la menace ne vient plus des nations mais d'individus tapis dans l'ombre, renvoyant la mère patrie à ses propres péchés (M est au coeur de l'intrigue, qui revient sans cesse sur le territoire britannique).
La grande réussite des Bond de Craig aura été de transformer l'essai entamé avec Brosnan, visant à garder l'humain au sein de l'histoire, et Skyfall ne déroge pas à la règle. Ce n'est pas un hasard si les meilleurs Bond, comme Casino Royale ou celui-ci, sont ceux qui ont quelque chose à raconter. En choisissant de confronter l'agent secret à son métier et à sa place dans la société actuelle, Mendes et Cie (ne négligeons pas l'apport de Peter Morgan, responsable de l'idée originale, et John Logan, qui ont su comme Paul Haggis tirer vers le haut l'écriture sans doute plus formulaïque de Neal Purvis & Robert Wade, coupable d'avoir signé les deux pires Brosnan) proposent une étude du protagoniste. Il ne s'agit plus ici de s'intéresser à ses origines (comme dans le reboot/prequel de Campbell) mais à son statut, 6 ans après son retour, 50 ans après sa première apparition à l'écran. Si Casino Royale expliquait pourquoi il était comme il était, Skyfall souhaite expliquer pourquoi il continue, qu'est-ce qui l'anime.
Le très beau générique, marquant le retour de Daniel Kleinman, annonce la couleur : macabre.
Abîmes, cimetières, crânes squelettiques, ombres et reflets trompeurs...on nage dans quelque chose d'assez morbide qui planera tout le long sur le récit et le parcours de Bond, visiblement animé par un désir de mort. De l'autodestruction alcoolique du début jusqu'à l'anéantissement de ce qui le définit, en tant qu'humain ou en tant qu'icône, pour mieux réaliser ce qu'il décrit textuellement dans le film comme son "hobby" : la résurrection.
A ce niveau, la nature théorique du climax est assez jubilatoire.
Et ce n'est pas la seule scène de ce style.
Qu'il s'agisse du Shanghai SF, avec ce close-combat expressionniste absolument fabuleux, ou de l'île-fantôme aux statues géantes déchues, et le jeu morbide auquel Bond y est soumis, l'atmosphère que confèrent Mendes, et le grand Roger Deakins, aux images font de Skyfall un Bond qui ne ressemble à aucun autre.
Comme je le disais au début, aucun Bond ne peut être exhaustif, mais l'équilibre suggéré par l'équipe ici est plutôt réussi. Ainsi voit-on le retour de Q sans que cela ne paraisse incohérent dans ce Bond XXIe siècle, et même quand on ose un poil de gadget, le contexte fait passer la pilule. Etrange mixture que ce Bond qui parvient à se renouveler tout en aspirant à retrouver un certain parfum rétro. On retrouve le Bond queutard (Craig nique plus dans ce film que dans les deux précédents réunis) et blagueur (l'humour du film fonctionne à merveille, face à Q, face à Eve, face à Silva, y a qu'une punchline qui paraît vraiment gratuite) mais sans que cela ne nuise à l'effort on ne peut plus sérieux de Mendes.
Alors on va pas se mentir, y a quelques baisses de rythme, mais ce qui est bon est TELLEMENT bon...
Jusque dans la dernière scène, l'entreprise est parlante. Les quatre Bond de Brosnan se terminent avec la Bond Girl dans les bras de 007, prêt à fourrer. Les trois Bond de Craig se terminent autrement. On constate qu'au bout de trois films, son 007 est encore en train de se mettre en place, se concluant à chaque fois sur une annonce, une revendication. Une résurrection.
5,5-6/6