Comme c'est sans doute le cas pour beaucoup de gens, vu que le film a à peine plus de dix ans, je me rappelle précisément de ma séance de
La Communauté de l'Anneau. Je n'avais pas lu les livres, je n'avais qu'une connaissance superficielle de l'oeuvre de Tolkien et de la filmo de Peter Jackson. En fait, je dirai que, tel un fou, je n'attendais même pas le film tant que ça.
Toutefois, je garderai à vie gravé dans mon esprit ce moment au cours de la projection, lors de la scène où Arwen, après avoir chevauché à bride abattue pour échapper aux Nazgûl, se tient d'un côté d'une rivière et lance à ses poursuivants en désignant Frodo, "
If you want him, come and claim him". A cet instant précis, submergé par l'emphase, j'en ai frissonné jusqu'aux larmes. On était encore qu'à mi-film et déjà, face à l'idéal de cinéma présenté à mes yeux, je m'étais retrouvé, à ma grande surprise, ému par cette fulgurance inattendue.
La même chose s'est produite ce soir lorsque la Compagnie des Nains s'est mise à chanter "
The Misty Mountains".
Le fredonnement qui ouvre la chanson résonnant de toutes ses basses dans mes tripes, les voix graves entonnant l'air avec mélancolie, l'impact que la plainte mélodieuse a sur Bilbo... Dans la toute première bande-annonce déjà - la seule que j'ai regardé - cette séquence m'avait pris par surprise. Et elle n'aurait pas dû.
Elle n'aurait pas dû parce qu'elle témoigne de cette même approche qui avait fait du
Seigneur des Anneaux un chef d'oeuvre à mes yeux, ce premier degré qui fait passer trolls, gobelins, elfes télépathiques et géants de pierre, ce
gravitas qui donne toute sa solennité à un univers d'
heroic fantasy, comment avais-je pu douter?
A l'époque de la mise en ligne de la première vidéo Production Diary, j'avais écrit ceci :
"
L'autre jour, je lis que Jackson va bientôt foutre le premier Production Diary en ligne et hier quand Liam m'a dit qu'il l'attendait grave, j'ai adopté une posture cynique, sincère hein, mais très distancée, parce que je trouve les Production Diaries généralement décevant à la longue, ne montrant rien de vraiment substantiel, juste quelques décors.
J'ai même dit que je pensais pas le mater.
Et le projet, lui, porte un lourd fardeau. Justifier son existence, tant d'années après la trilogie originale, parfaite à mes yeux donc forcément inatteignable à un certain degré, ayant traversé moultes emmerdes, des problèmes de droit au tournage retardés, à l'embauche improbable de Guillermo del Toro...puis son départ.
Malgré la présence du meilleur remplaçant possible, la crainte était là.
Est-il assez motivé? Est-ce que ça va pas sentir la redite? Est-ce que ça va marcher maintenant que la surprise a disparu?
J'ai lancé le Production Diary et aux premières notes du thème bucolique de Hobbitbourg, les coins de mes lèvres se sont hissés tout seuls, mon coeur s'est comme allégé. Tout s'est envolé.
Et j'ai commencé à y croire.
J'ai commencé à croire que je saurai être à nouveau ébloui par de nouveaux designs, j'ai commencé à croire que je serai à nouveau épaté par les nouvelles scènes d'action, j'ai retrouvé John Howe et Alan Lee, j'ai retrouvé ces décors que je connais par coeur, j'ai même retrouvé le petit guindoush qui sert de doublure aux Hobbits!
C'était comme rentrer à la maison pour Noël avec ta famille qui t'accueille les bras ouverts."
Je pourrai en dire autant du film.
C'est peut-être cette familiarité qui déplaira à certains, moi je ne saurais m'en plaindre.
Je suis trop amoureux de ce monde pour rechigner devant une nouvelle aventure, ce monde de chansons que l'on chante, que ce soit pour la rigolade (la scène de la vaisselle m'éclate) ou la menace (chez les gobelins) ou par solitude (Gollum), d'histoires que l'on se raconte, parce que la passé pèse sans cesse sur le présent (l'intro narrée par le vieux Bilbo) et le sort de nos héros de légende (l'origine du surnom de Thorin), ce monde où même les épée ont des noms, des surnoms et des histoires... Tout ça, c'est du petit lait pour moi.
Alors vous pensez bien...un nouveau film, ou deux, ou trois, 2h40 ou 20 minutes de plus pour la version longue, à mes yeux, c'est 100% plaisir.
D'ailleurs, au vu des reproches lus un peu partout, je pensais trouver le temps beaucoup plus long, et effectivement, si le film manque de structure, ça ne m'a gêné. Est-ce l'habitude des séries ou l'appréciation de la Terre du Milieu, je ne sais pas, mais j'ai pas trouvé ça finalement plus bancal que dans un
Zodiac par exemple, qui lui aussi ne repose pas sur une construction narrative classique.
J'ai plutôt vécu l'expérience inverse : j'avais peur, à chaque fin de scène, que ce soit la dernière, et je me réjouissais à chaque fois que ce ne soit pas le cas.
Pour ce qui est de la narration rappelant celle du premier chapitre de la trilogie originelle, à part le prologue et Hobbiton, le Conseil à Rivendell et le choix final de Bilbo, je ne trouve pas qu'il y ait tant d'échos que ça. A vrai dire, à bien des égards, j'ai trouvé le ton général un peu différent de celui de
La Communauté de l'Anneau. Pas tant dans l'humour (PS : comparer Radagast à Jar Jar, c'est même plus de la malhonnêteté, à ce niveau, je crois que c'est de l'affabulation) mais dans l'aspect "guerrier" nettement plus avancé ici. Faut dire que l'équipe de personnages est composé exclusivement de Nains, forcément, ça accentue le côté belliqueux.
A ce titre, il est vrai que la majorité d'entre eux fait de la figuration.
Une fois de plus, dans l'histoire qui est racontée ici, ça ne me dérange pas. C'est un habillage qui fonctionne tout à fait en l'état. Je me demande même s'il y aurait un intérêt à donner un arc au moindre personnage secondaire (c'est, entre autres, ce qui alourdit
King Kong à mes yeux, avec les personnages de Jamie Bell et Evan Parke notamment). Peut-être sera-ce le cas dans les suites. Après tout, Merry et Pippin ne sont que des
comic reliefs dans le premier film.
D'autant plus que les quelques nains qui existent sont géniaux : Balin le vieux sage, Bofur le rigolo avec un coeur, et surtout Thorin Oakenshield, sorte d'hybride improbable entre Boromir et Gimli, être arrogant et belliqueux, leader en devenir d'un peuple déchu. Il fait davantage figure de protagoniste ici que le personnage qui donne son nom au film.
Martin Freeman est aussi bon en Bilbo que Richard Armitage l'est en Thorin mais je fus assez étonné de voir que le récit le maintenant pas mal en retrait dans un premier temps. Plus encore que Frodo, il semble servir d'identifiant au spectateur, vivant par procuration les aventures d'un autre -
Un voyage inattendu me paraît être davantage l'histoire du peuple Nain que celle de Bilbo - avant d'y prendre part et de revendiquer sa place. Et en fin de compte, c'est pas plus mal, ça évite d'avoir un
Hero's Journey 100% identique à celui de Frodo. Ca prend plus de temps pour Bilbo. Forcément, me dira-t-on, vu que c'est étalé sur trois films alors que c'est qu'un seul livre à la base.
Ce choix, parlons-en.
On jugera une fois les trois films sortis mais je me demande si Jackson n'a pas eu raison. En effet, ça permet de donner plus d'ampleur à une intrigue somme toute assez simple (en apparence hein, j'ai aucun souvenir du livre) et indéniablement plus "petite" que
Le Seigneur des Anneaux. Il n'en va plus du sort de toute la Terre du Milieu et ses espèces, mais juste d'une région et d'un peuple.
Et c'est sans doute le seul vrai bémol que j'aurai, même si c'est une limite inhérente au matériau de base et non quelque chose que je saurai imputer au cinéaste : les enjeux sont moindres, les protagonistes moins nombreux, donc le tout paraît inévitablement "en deçà" de son prédécesseur. Dans
La Communauté de l'Anneau, tu as le poids sur Bilbo, les échecs de Gandalf, le mystère d'Aragorn, la dévotion de Sam, le fardeau de Frodo. Ici, tu as l'apprentissage de Bilbo et la quête de Thorin.
Alors c'est tout à fait honorable, surtout que le film leur fait honneur, mais forcément ça pâtit de la comparaison.
Sans doute faut-il regarder cette nouvelle trilogie en se défaisant de l'ancienne.
Après tout, le film a l'intelligence de ne pas tomber dans la facilité de la préquelle, avec des clins d'oeil incessants vers les autres épisodes, tout en gardant une cohérence avec l'univers. En fait, la grande différence avec les
Star Wars, c'est que Jackson semble faire ses Hobbit comme si Lord of the Rings n'existait pas. On pourra les regarder dans l'ordre chornologique diégétique et voir une évolution logique (hors SFX évidemment), alors que chez Lucas, les préquelles sont faites (délibérément) en réaction, en réponse aux précédents (ce qui rend la saga, malgré les ajouts, difficilement regardable dans l'ordre diégétique).
Y a qu'à voir l'EXCELLENTE séquence "
Riddles in the Dark", aka la scène avec Gollum, où Jackson (et Shore, et Freeman, et Serkis) réussisse l'exploit de passer d'un ton à un autre, du film d'horreur à la comédie, le temps d'une scène, qui peut jouir ici d'être présentée in extenso, dans tout ce qu'elle a de terrifiante, amusante, touchante...et jamais en mode "préquelle". Rien n'est jamais trop appuyé.
Donc voilà, malgré ses limites, je ne trouve pas le film inabouti. Loiiiiiiiin de là.
Il est narrativement moins dense que son jumeau mais n'en demeure pas moins riche, qu'il s'agisse de la direction artistique, parfaite du moindre détail (comme des ornements de barbes de roi nain) au plus grand design (tel le château d'Erebor), ou du look des nains, tous uniques, même ceux qui ne prononcent pas un mot (Bombur, je te kiffe), en passant par l'inventivité des scènes d'action (la boule de pierre qui défonce les gobelins, les pommes de pin)...
Scènes que je n'ai jamais trouvé étirées par ailleurs et équilibrant toujours à merveille les SFX, à 90% parfaits (Azog, le Goblin King, Gollum, même tous les gobelins), avec parfois des tableaux d'une maestria qui parvient à garder le meilleur de
King Kong sans tomber dans la cinématique (ce qui était un peu le souci dans
King Kong, au bout d'un moment, quand le combat dure entre un V-Rex et un gorille géant, tu réalises vite que c'est 1 et des 0 qui se tapent sur la gueule), je pense notamment à la scène vers la fin où les nains sont perchés dans les arbres.
C'est un film tellement débordant de choses qu'il y a même parfois un trop-plein, comme ce combat titanesque à un moment. J'ai ressenti exactement la même chose que devant l'apparition du Balrog, cette majesté. Mais il faut avouer que la scène s'avère narrativement assez inutile.
Toutefois, ça témoigne d'une générosité que j'ai du mal à bouder.
Un voyage inattendu reste un film de cet univers que j'aime et qui me parle tant et donc un film dont je pourrais passer des heures à énumérer tout ce que j'y aime.
Cela fait incontestablement de moi un vendu. Et je m'en réjouis.
5+/6