Pour le premier film déjà (découvert en 2.35), qui m'avait plu mais un peu frustré en semblant se cantonner à de l'exposition parfois laborieuse, j'avais été amené à apprécier autrement en le voyant en IMAX 1.43, le projet véritable de Villeneuve (qui avait pensé le film dans ce format dès le départ selon le chef opérateur Greig Fraser) prenant meilleure forme ainsi. D'un point de vue thématique, tout était déjà là, et déjà très Villeneuve - la nécessité de déchiffrer sa propre histoire pour comprendre son destin tragique, la volonté de mettre fin à un cycle de violence, la peinture d'un monde tué par l'industrialisation - mais d'un point de vue esthétique, c'est dans la hauteur permise par le 1.43 que la dimension recherchée par le cinéaste prenait tout son sens, le
style devenant plus qu jamais la
substance. Un extrait hors contexte d'une interview de Villeneuve tourne depuis quelques jours sur Twitter, donnant l'occasion aux
haters comme aux fanatiques de se ridiculiser en faisant exprès de ne pas comprendre ce que le metteur en scène essayait de dire en taclant maladroitement les dialogues pour évoquer le langage visuel. Quand on voit ses
Dune, et notamment cette
Deuxième partie, c'est pourtant éloquent. Les films pourraient être muets. On est quasiment dans
Metropolis. Il s'agit d'un film monumental qui cite autant
Lawrence d'Arabie que Leni Riefenstahl pour mieux déconstruire le monomythe campbellien et dénoncer l'instrumentalisation des masses par l'épice du peuple dans une fresque qui, en IMAX, travaille la notion de tragédie nanisant l'Homme.
Je ne veux vraiment pas passer pour un poseur ou un vantard, ou même simplement paraître agaçant comme on pouvait l'être avec
Roma de Cuaron sur lequel on insistait qu'il fallait
"idéalement le voir en salles pour le travail sur le son" alors même que c'était quasiment impossible, et je n'ai pas (encore) vu
Dune - deuxième partie en 2.35 pour dire ce que je vais dire avec assurance, mais de la même manière qu'un film n'est plus le même en version longue parce que des scènes supplémentaires viennent donner un autre sens à l'ensemble, je peine à voir comment ce film pourrait être exactement le même sans les parcelles de cadre supplémentaires qui donnent leur sens aux images.
Il y a quelques mois, Villeneuve avait annoncé que, contrairement au premier tome, ce deuxième film serait intégralement en 1.43. En fin de compte, seules certaines le sont. Par contre, toutes les autres scènes sont quand même en 1.90 (aka le "faux" IMAX ou IMAX numérique qui est disponible dans les salles IMAX françaises) et c'est déjà une grosse différence. Je vais expliquer pourquoi.
J'ai tout d'abord été surpris par le choix des scènes en 1.43. La première séquence prolongée filmée dans ce format ne concerne pas un morceau de bravoure mais le moment, vers le début du film, où Paul arrive à Sietch Tabr et que la foule, à la fois hostile et curieuse, l'entoure, pour ne pas dire l'assaille. Le fait d'adopter une échelle généralement réservée aux vistas incroyables ou à l'arrivée de vaisseau ou aux scènes d'action surprend parce qu'elle nous immerge non plus dans du "spectacle" mais vraiment dans l'instant et ainsi projetée sur l'équivalent de la façade d'un immeuble de 4 étages, l'image devient résolument oppressante. Le canevas est large mais le ressenti pour le spectateur est étouffant, on est nous-mêmes écrasés par cette masse humaine.
Et la mise en scène creuse cette notion tout le film.
Que ce soit lors de l'apparition des vers - lors de la séquence où Paul apprend à chevaucher son premier ver, j'ai eu physiquement envie de me lever dans la salle pour crier comme les personnages et quand ils apparaissent soudainement dans la tempête de sable, j'étais tétanisé - ou de celle des vaisseaux, l'humain est réduit à l'état de fourmi, une quantité insignifiante dans les mouvements de l'Histoire. C'était déjà le cas dans le premier film. Mais ici, Villeneuve joue également de la verticalité dans la composition de ses cadres lorsqu'il filme les personnages debout, presque de plein pied, illustrant l'ascendant pris sur les petites gens, non plus par des entités quasi-divines telles que les vers ou des machines de domination comme les vaisseaux mais par l'Homme. Enfin, en l'occurrence, la Femme aussi.
Je suis vraiment curieux de voir comment ça passe en 2.35 parce qu'un personnage qui occupe toute la hauteur d'un cadre de la tête jusqu'aux chevilles transmet une sensation de domination sans pareil (surtout sur un public qui fait face à un écran de 4 étages).
Comme l'a souhaité Villeneuve, l'image parle 1000 mots, le style est la substance, et j'ai adoré ce fond, que je n'attendais pas aussi vénère, sur le fanatisme religieux malhonnêtement attisé dans un but politique. Le premier film s'ouvre sur une voix off de Chani qui s'interroge sur
"Qui sera notre prochain oppresseur?" mais le récit s'interrompait alors que le "voyage du héros" de Paul était encore dans les clous. La façon dont ce
narrative, ce
storytelling a été créé de toutes pièces par les Bene Gesserit apparaît beaucoup plus clairement ici, abreuvant les populations opprimées d'une croyance à exploiter ensuite pour mieux les asservir. Comme je ne connaissais rien du livre, j'étais étonné d'apprendre qu'il était antérieur à
Star Wars, qui respecte, applique même devrais-je dire, à la lettre les étapes du monomythe là où Herbert en proposait déjà une subversion (que Lucas a plus ou moins repris pour sa prélogie). Tolkien et Lucas étaient sans doute les premiers à populariser ces codes ce qui fait de ce Dune aujourd'hui pas tant un
"Star Wars pour adultes" qu'un anti-
Star Wars.
D'ailleurs, en 1977, si le
space opera était une métaphore de la Guerre du Vietnam, aujourd'hui il ne se masque même plus. Il n'y a pas d'analogie d'un conflit spécifique mais le triste avantage dans notre monde c'est que l'Histoire se répète suffisamment pour qu'un roman de 1965 trouve encore une résonance dans l'actualité. Et l'orientalisme un peu problématique qui caractérise les Fremen peut alors servir un portrait ambivalent de la réalité : ils sont à la fois des fanatiques religieux et la cible d'un génocide par les puissants colons. Victimes dans les deux cas.
Dune n'est pas un diptyque subtil mais je ne trouve pas que le film tombe dans un quelconque manichéisme en N&B. Et quand il y a une séquence en N&B sur Geidi Prime, ce n'est que l'exacerbation de la disparition de la couleur de ce monde, dévitalisé par l'exploitation de ses ressources, notamment par les Harkkonen. Alors quand ils rejouent
Les Dieux du stade, bah...même leurs feux d'artifice ressemblent à des explosions de pétrole, sales.
D'ailleurs, j'ai trouvé Austin Butler génial en Feyd-Rautha. Faire des Harkonnen un peuple à l'allure cancéreuse était porteur mais sur sa gueule d'ange, qui plus est avec ses dents maquillées en noir et donc invisibles, on dirait un grand bébé dérangeant. Le Mini-Me psychopathe de Stellan Skarsgård, dont il imite la voix.
Mais le film appartient clairement à Zendaya et Rebecca Ferguson, les deux femmes de la vie de Paul, celles qui se disputent son destin. Il est intéressant de voir comme Villeneuve, dont le cinéma a été très féminin par le passé, fait de ces deux personnages les clés de voûte du récit. Paul est presque un pion pris entre l'engagement politique de l'une (même si la romance vaguement précipitée et pas assez ressentie est l'une des rares choses que je reprocherais au film) et la maternité toxique (cacedédi Müller) de l'autre. D'ailleurs, Villeneuve a décidément un rapport ambigu à la grossesse et à l'avortement. Dans
Un 32 août sur Terre, suite à un accident, l'héroïne veut à tout prix avoir un enfant et
Dans
Maelström, suite à un avortement, l'héroïne part en vrille et tue quelqu'un dans un accident. Dans
Incendies, on arrache son fils à une femme et
Dans
Arrival, l'héroïne a des visions récurrentes de sa fille morte d'un cancer et
Dans
Blade Runner 2049, on recherche l'improbable enfant né de l'union de deux réplicants comme un nouveau Messie. Et ici, il y a donc le foetus de Jessica
On m'a dit que, dans le livre, l'enfant a 3-4 ans. C'est donc pas innocent comme choix de la part de Villeneuve (qui, à propos de
Maelström, avait dit qu'il était
pro-choice mais que ce n'était pas une décision à prendre à la légère). Bref.
Mais en fait, presque tous les personnages sont des pions. Paul dont la trajectoire dorée est fabriquée, Stilgar dont la foi est exploitée, les Harkkonen dont les membres sont aisément remplacés, bons à être sacrifiés, la Princesse Irulan dont la main est une marchandise, une commodité... Des pions sur l'échiquier des Bene Gesserit, désormais en deux camps. C'est pas pour rien que ça se finit sur un simple duel en silhouettes dans une simple pièce devant une cour asservie. Et Chani, la seule qui pourra peut-être s'en émanciper...
Même si j'étais conscient de l'existence de moult livres et que Villeneuve a d'ores et déjà annoncé qu'il en ferait une trilogie en adaptant
Le Messie de Dune, je m'attendais à une fin plus définitive (mais davantage dans la façon de mettre en scène que dans les faits).
Mais c'est pas bien grave.
Parce que le reste est écrasant.