21 août 2015. Souvenez-vous (comme le dirait un Laurent Delahousse), un attentat (commis par le même réseau que celui impliqué plus tard dans les attentats du 13 novembre puis ceux de Bruxelles... ce qui atténue fortement le ton providentialiste "leibnizien" du film) était déjoué dans le Thalys Amsterdam-Bruxelles-Paris.
Plusieurs passagers s'étaient interposés, dont deux soldats américains en vacances, barraqués et énergiques, et leur ami d'enfance.
10 ans plus tôt, Spencer Stone et Alek Skarlatos sont les adolescents rejetés d'un collège religieux. Leurs mères, célibataires et WASP, sont régulièrement convoquées par le principal et les professeurs, qui ne se gènent pas pour les humilier plus ou moins directement, en attribuant le retard scolaire et l'indiscipline de leurs enfants à leur statut matrimonial. Elles leur opposent leur religiosité, comme une insulte, une consolation et un défi. Les deux enfants rencontrent Spencer Stone, un black un peu plus sûr de lui, qui devient leur ami. Scolairement médiocres, désoeuvrés mais intelligents, ils comprennent que le système scolaire n'est pas fait pour eux et ne les aidera pas à trouver leur place dans le monde. Galvanisé par le speech d'un sergent dans une unité de pompiers d'élite qu'il croise alors qu'il travaille dans un snack, Stone intègre l'école militaire en vue de passer les épreuves de sélection pour les corps d'élite.
Pas de topic sur ce film, sur lequel j'ai lu des avis très divergents : le film a été beaucoup attaqué (sans doute l'absence de projection de presse et la blessure envcre vive des attentats de novembre 2015 ont-elles pesé sur sa réception) et parfois défendu, mais dans une logique assez macmahonienne, en l'opposant à d'autres films et réceptions érigés en repoussoir.
De fait, j'ai trouvé le film d'Eastwood inégal, maladroit, mais assez riche et intéressant. Ce n'est pas tellement la description des attentats et le rapport à l'époque (c'est clairement un film nationaliste sur le choc des civilisations, un vrai "film de guerre") qui m'a intéressé, que le parcours scolaire des adolescents dans la première partie, qui m'a le plus touché. Eastwoord montre un environnement proche de celui que l'on a pu voir chez Gus van Sant ou le film de Greta Gerwig, mais sur un versant plus WASP et plus paupérisé. Le ton est moins esthétisant, plus direct : viriliste, mais aussi respectueux et affectueux. A l'inverse de van Sant et Gerwig, Eastwood ne juge pas les parents.
C'est toute sans ambigïté et sa richesse: il filme finalement les institutions comme le collège et l'armée comme des frontières. Dans leurs rapports extérieurs, elles sont régies par un ordre sévère, déterministe, "patriarcal" et nationaliste. Cette extériorité est marquée par la providence, la prédestination et la grâce. Mais dans leur vie interne, ces rapports sont beaucoup plus subtils : à la fois opaques et libres, sujets à des alliances, des jeux de séductions au sein desquels les sentiments et valeurs peuvent s'inverser. Et cette intériorité relève non de la grâce mais du désir.
Par ailleurs, les institutions sont finalement mises sur le même plans que les "races" et les nations.
Le film m'a semblé à cet égars très proche de
Gran Torino, car la question du racisme et de l'altérité "raciale" (mauvais mot) est un cas-limite qui relie les deux domaines, de la grâce (hors la frontière) et du désir (à son intérieur). La vie de Stone est marquée par une sorte de religiosité patriotique bien à droite, qui pourrait dériver vers la mentalité survivaliste, mais c'est clairement son amitié indéfectible pour Sandler (le seul non-soldat) qui l'empêche de sombrer dans une psychologie WASP autarcique, "trumpienne" si l'on veut, alors que tous les ingrédients étaient pourtant présents, et au premier chef l'amour des armes. De manière plus ambigue, l'arme est surinvestie et fétichisée puis prend une connotation opposée à sa fonction initiale : elle est le cadeau à partager et fonctionne comme un don (alors qu'il est au départ assez phallique), de la même manière que l'ouvrier de i]Gran Torino[/i] renonçait au racisme et cédait sa Ford, qui était don honneur de classe puid le représentant froid de son sacrifice. D'un certain côté la grâce qui lisse ce virilisme fonctione comme une castration, désirée, innommable et irrépétable (elle est ainsi la consolation du sacrifice plutôt que sa raison, placée au même rang que l'inconscient et la sexualité.).
Eastwood montre en scène une tolérance et une ouverture à l'autre qui à chaque fois est une conversion, donc forcément individuelle et ne se distinguant pas d'une élection. C'est sa limite : le respect et l'amour ne sont pas distingués chez lui. C'est une vision morale à la fois terriblement ambiguë, mais dont l'ouverture à l'autre est constammant assurée, car la part scandaleuse en est revendiquée. Cependant elle ne peut pas s'approfondir en l'individu, elle ne peut qu'être communiquée, la prière de Stone présente vraiment le salut et la paix comme une contagion, qui se diffuse pour préserver son mystère ontologique.
Le discours quasi-mystique du film est certes manichéen et simpliste, mais le discours de François Hollande sur le terrorisme, qui part d'une vision du monde opposée (pragmatique mais fataliste) l'est finalement tout autant. C'est dans cette ressemblance au plan des valeurs et différence dans leur origine que se déploie le pur désir de Stone, dont le film raconte l'histoire (plutôt que celle du personnage lui-même). C'est bien sûr terribleement ambigu (cette grâce postule la présence du mal en l'autre qu'elle veut à la fois compenser et sauver...et finalement, inconsciemment ; la désire peut-être), mais intéressant, et met en scène une part réelle du monde contemporain : à la fois la ressemblance de la grâce à une idéologie, et sa mobilisation comme refus des idéologie.
Sinon la scène du Thalys est très bonne, avec le passage au temps réel pour les scènes qui suivent immédiatement l'attentat lui-même (qui sont les plus angoissantes), Eastwood film de manière très juste des endroits plutôt ingrats pour la caméra (comme la gare de Bruxelles-Midi), et le film n'est pas sans humour. Il n'est pas non plus sans maladresse, avec le discours d'Hollande ou le fait de délaisser complètement Skarlatos (ont on ignore tout du parcours militaire) et Spencer, qui sert du point de vue de la narration juste de contre-champs sceptique à Stone, dont il est pourtant le moteur amoureux.
3.5/6