Je trouve que le film partage de nombreux points communs avec le récent palmé
Tree of Life. Ce sont deux films réalisés par deux auteurs totalement autistes et qui travaillent hors du système (surtout pour ce film-là de Dumont à des années lumières de l’univers parisiano centré du ciné d’auteur français). Et ce sont deux films qui traitent de l’amour et de la foi d’une manière très frontale, très pure. J’irai même plus loin en disant que les deux films se départagent une vision personnelle de la création du monde. Là où Malick nous fait une séquence en numérique belle, impressionnante, nous subjugue par la technique qui reproduit les premiers balbutiements de la vie, Dumont nous montre un homme à genou face à la campagne française à l’aube avec un soleil qui illumine le champ comme une lumière divine qui donne vie aux formes et aux choses.
Après
Hadewijch qui était un film très fort où Dumont étalait quelque part avec ostentation son talent fou. Pour la première fois il tournait à Paris et après
Flandres qui évoquait la guerre, là il se permettait de parler du terrorisme et du fanatisme. Comme pour faire pénitence de tant d’ambitions, son nouveau film est d’une aridité thématique totale et marque un retour profond au Nord qui l’a vu naître en tant que cinéaste. C’est un retour à une austérité absolue. Très peu de dialogues, aucune musique, assez peu de mouvements de caméra, un générique de début et de fin silencieux. Aucun superflu.
Et c’est vraiment une expérience de cinéma où l’on s’enfonce peu à peu dans un ennui engourdissant pour mieux être finalement bouleversé par la pure grâce qui survient soudainement sans crier gare.
Ce qui est merveilleux chez Dumont c’est cette intervention de la mythologie, du mystique, du fantastique chez ces personnages si triviaux, si laids, si simples, si tristes. Il n’est pas tendre avec eux mais c’est justement en les éloignant au maximum d’un archétype qu’il finit par les étreindre avec la passion la plus forte et la plus fervente. C’est en les regardant avec le plus de distance, en les dénuant au maximum d’humanité et d’empathie (les personnages ne sont plus que des silhouettes) qu’il finit par être au plus proche d’eux avec un amour déchirant.
J’aime également comme chez Dumont il y a cette sensation qu’il essaie de percer à jour quelque chose, de voir en-dessous des matières, des visages, des paysages, comme s’il espérait y voir surgir quelque chose. Et ce qui est fondamentalement génial dans son cinéma, c’est que ce regard scrutateur finit par devenir effectif chez le spectateur et que c’est lui qui va découvrir ce que le cinéaste est parvenu à en extraire. Et que cette espèce d’essence pure, elle est unique à chaque spectateur. C’est pour ça que c’est un cinéma paradoxal qui navigue en permanence entre extrême limpidité et une complexité thématique plus prononcée. Là on interroge encore la Foi autour du Bien et du Mal. Un des points d’ancrage du film sont les mains. Beaucoup de plans les montrent donner, recevoir, aimer, pardonner, frapper, rassurer, tuer et prier bien sûr. Les mains comme vecteurs de l’âme humaine, comme outil donnant accès à l’immatériel.
C’est un film sur lequel j’ai encore beaucoup à dire (position de l’homme dans le monde, importance du paysage etc…) mais en même temps c’est un pur film de ressenti qui te sort d’un ennui engourdissant (pas désagréable par ailleurs) pour soudain te recouvrir de pure grâce. C’est très, très fort. Dumont est le plus grand cinéaste français en activité.
J’en suis sorti tout bouleversé et enthousiasmé comme ça m'arrive très rarement. Magnifique.
5-5.5/6
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