aka Marche ou crève
Le jeune Garraty va concourir pour "La Longue Marche", une compétition qui compte 50 participants qui doivent marcher sans relâche jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un.Dès ses clips, j'étais plutôt séduit par le travail de Francis Lawrence et c'était cool de le voir apporter son style esthétisant à
Constantine...et d'autant plus surprenant de le voir changer radicalement sur
Je suis une légende, que j'ai toujours trouvé bien meilleur que sa réputation. Alors c'était pas du Dogme 95 non plus mais en troquant l'univers du
comic book fantastique pour le roman désespéré de Richard Matheson, Lawrence s'adaptait aux exigences dramatiques du récit. Dire que le reste de sa carrière m'a déçu serait un euphémisme et ce n'est peut-être pas un hasard s'il retrouve du poil de la bête en actant sur son dernier opus propose le même type de réalignement.
Après un premier épisode réalisé par Gary Ross, Lawrence a repris la licence
Hunger Games dont il a signé les trois suites ainsi que la préquelle, et qui traitaient déjà d'une jeunesse sacrifiée dans un futur dystopique, mais la nature
young adult du récit (ou du moins, le simplisme relatif des versions ciné) empêchait à mes yeux un traitement autre que superficiel de ses thématiques. En portant à l'écran l'ouvrage de Stephen King, Lawrence explore les mêmes questions mais défaites du vernis des blockbusters à destination du grand public, saisissant la pleine noirceur du matériau de base.
Le spectre de la Guerre du Vietnam plane de façon si évidente sur l'histoire, imaginée par l'écrivain à la fin des années 60, que parler d'une métaphore de l'engagement militaire tiendrait d'une lapalissade. C'est limite pas un sous-texte : des jeunes marchent flanqués de tanks sous le commandement d'un officier vers une mort certaine dans l'espoir d'améliorer leur statut social, forgeant des amitiés condamnées le long du chemin. Mais le pire, c'est que le caractère cyclique de l'Histoire continue de donner une résonance actuelle au contexte, accentué ici par les répliques de l'officier en question, paraphrasant par moments le discours MAGA. J'ai cru comprendre que l'adaptation surenchérissait le déclin socio-économique et le décor se fait quasi-post-apocalyptique, les personnages traversant une Amérique moribonde, aux rares habitants spectateurs figés dans le temps.
Un tel postulat ne pouvait qu'être hautement allégorique et Lawrence mine tout le potentiel visuel d'un concept pourtant pas très cinégénique sur le papier. En voyant le film, j'ai saisi pourquoi tant de cinéastes s'étaient cassé les dents sur l'adaptation. C'est quand même 1h48 de gens qui marchent avec pour seuls rebondissements les exécutions régulières, somme toute identiques, des candidats. C'est presque un anti-slasher ou, comme évoqué plus tôt, une distillation du principe de
Hunger Games à son essence sans pitié. Pas de "jeux" de gladiateurs modernes ici. C'est jamais kiffant ou spectaculaire ou quoi. C'est froid. Cru. Je ne m'attendais d'ailleurs pas à voir le film montrer aussi frontalement d'autres aspects peu ragoûtants qu'impliquent les règles de la compétition.
En écartant toute distraction et tout apparat, le film se concentre sur ses protagonistes et leurs rapports et c'est là que le film, que j'ai craint un moment répétitif, m'a cueilli, quand l'écriture transcende les scènes de camaraderie plaisantes mais convenues pour tisser une réflexion sur l'existence, la Longue Marche n'étant alors plus simplement analogue de la guerre mais de la vie toute entière. Non seulement ça reste un regard politique, une dénonciation de l'
American Dream qui pousse les individus à croire qu'ils ont une chance de gagner le gros lot, notamment s'ils cravachent, mais c'est aussi un résumé déchirant de notre temps limité sur cette planète. Tu vis, tu souffres, tu te fais des amis, et ils crèvent un par un.
Une réalité saisissante qui m'a touché, même si je partage la philosophie de vie de McVries (David Jonsson, une fois de plus excellent après
Alien Romulus). Pour continuer à marcher.