Si je vous dis que c'est le film le plus fin que Zack Snyder ait fait, vous me croirez?
Sucker Punch est d'une densité insoupçonnable.
J'y allais en m'attendant à un simple festival geek, espérant juste m'en mettre plein les mirettes, mais le dernier opus de Snyder n'est pas le blockbuster fun mais creux que laissait présager les bandes-annonces.
Dès les premières images, le message est clair : les rideaux s'ouvrent sur la scène où se joue le film et tout, même la réalité, y sera théâtralisée.
Parce qu'il n'y a pas un, ni même deux, mais trois niveaux de réalité - et à peu près autant de niveaux de lecture - dans Sucker Punch. Le monde "réel" et dégueu (l'asile, sa psychiatre, son infirmier), l'interprétation rêvée que s'en fait l'héroïne (le bordel, sa Madame, son pimp), et ses fantasmes de prise de pouvoir (LES TRANCHEES REMPLIES DE NAZIS ZOMBIES EN PLEIN PARIS STEAMPUNK AVEC DES ROBOTS OU L'ON SE BAT A COUP DE MITRAILLETTES ET DE SABRE pour n'en citer qu'un).
De prime abord, les différentes couches narratives du récit pourraient apparaître comme un simple prétexte à ce qui intéresse le plus notre bourrin qu'on adore ou qu'on déteste, à savoir les scènes d'action, mais en réalité, le film est beaucoup plus riche que ça thématiquement.
Sucker Punch est le Inception de Snyder. Son Scott Pilgrim. Son Kill Bill.
Une vraie lettre d'amour au cinéma et à la culture geek érigés non seulement en échappatoire nécessaire mais carrément en mode de vie. Plus que jamais, l'auteur nous donne ici sa vision du monde. Et à l'instar de Nolan, Wright ou Tarantino, son monde se voit magnifié au travers du prisme de sa culture. Tout comme un niveau onirique d'Inception pouvait renvoyer à James Bond ou qu'un des Evil Ex dans Scott Pilgrim était un super-héros ou que les sièges d'avion étaient dotés de range-sabres dans Kill Bill, Snyder revendique le droit de voir son monde comme un maëlstrom de références, ou plutôt d'iconographies. Du samouraï au robot en passant par les dragons, le cinéaste convoque tout un pan de la littérature de science-fiction ou d'heroic fantasy et l'imagerie du manga et du jeu vidéo et du film d'horreur dans un mélange à l'hétérogénéité complètement assumée, comme une ode à l'imagination.
Comme une autre histoire inspirée d'Alice au pays des merveilles - je pense au Labyrinthe de Pan - l'imagination intervient comme seul moyen d'évasion et de rédemption pour son héroïne, tourmentée par un âge de transition et emprisonnée dans une époque d'oppression.
Ce n'est pas un hasard si, au-delà de ses trips anachroniques, le film se situe dans les années 60. Les protagonistes, des jeunes femmes portant presque toutes des surnoms affectifs à tendance péjorative (Baby Doll, Sweet Pea, Blondie), sont vues par Baby Doll comme des putes et vivent toute sous la coupelle d'hommes que l'héroïne voit comme des menaces sexuelles (un beau-père incestueux imaginé prêtre, un infirmier manipulateur imaginé proxénète, et le docteur qui doit lobotomiser Baby Doll devient dans sa tête un mec qui va la dépuceler). Et ce n'est pas un hasard si la technique adoptée par Baby Doll & Co pour arriver à ses fins consiste à détourner l'attention de leurs geôliers par le biais d'une danse lascive.
Très habile, Snyder ne nous montrera jamais la danse. Il ne nous montre que ce que la danse déclenche dans l'esprit de Baby Doll, autrement dit les séquences d'action où nos héroïnes incarnent toutes des fantasmes masculins (genre l'écolière à jupe courte...avec un FLINGUE) en plein délire de mec geek (dirigeables, mechas et cie). La femme est obligée d'user de sa sexualité pour vaincre l'homme.
Oui, Sucker Punch est un film féministe. Entre autres.
C'est aussi le film-somme d'un auteur qui réalise ici son premier film original, qui ne soit pas adapté d'une oeuvre pré-existantes, et c'est sans doute aussi ce qui rend l'oeuvre aussi fragile.
Snyder se met ici complètement à nu, exhibant (voire exorcisant) son esprit d'enfant qui cherche à fuir la réalité en se réfugiant dans son univers iconique. Traversant les genres, incapable de s'enfermer dans un seul, du film de guerre à la comédie musicale.
Oui parce qu'il faut parler de l'importance dans la musique dans le film qui a ici un rôle à part entière. Si déjà dans Watchmen Snyder jouait de manière pertinente sur la réutilisation de morceaux cultes pour iconiser ses scènes, ici il donne carrément dans la reprise - ou devrais-je dire la réinterprétation pour coller à la thématique générale - de tubes pour illustrer l'état d'esprit de Baby Doll, chaque chanson accompagnant une transition et se retrouvant également intégrée dans la BO (c'est marrant mais Inception, Scott Pilgrim et Kill Bill aussi ont un rapport intime avec la musique/les chansons).
Ca reste super bourrin (cf. le passage Björk), à la Snyder quoi, mais je persiste à trouver une intelligence dans son utilisation de la musique. Parfois même, j'y trouve de l'émotion (le clip outrancier qui sert d'intro sur "Sweet Dreams"), comme dans la scène de Manhattan sur Mars avec Phillip Glass dans Watchmen.
Bon.
Ca c'est donc le sous-texte.
Quid du texte, vous allez me dire. Ou plutôt, quid des scènes d'action d'enculés là?
Je sais pas si j'ai vu un autre film qui parvenait à enfiler à la perfection autant de trucs BADASS à la suite.
C'est juste...juste...y a pas de mots. Ce film est le point culminant de ce qui a été entamé avec Matrix et Blade II concernant la mise en scène inspiré de la japanime. C'est juste COMPLETEMENT OUF.
Tout est permis. Anything goes. La caméra passe PARTOUT. Et pourtant, POURTANT, alors que tout ça, tout cet abattage d'éléments "COOLS" pourrait paraître forcé, et toute cette technologie numérique pourrait paraître désincarné, le talent de metteur en scène de Snyder parvient à donner corps à tout ça avec une virtuosité comme on en voit rarement.
Une fois de plus, le film ne va pas convaincre les réfractaires au style abusé du bonhomme, mais faut voir ce qu'il fait ici hein... Il se renouvelle sans cesse. Malgré tous les ralentis, y a pas une scène qui soit filmée comme la précédente (ça me rappelle Transformers, Bay a une nouvelle approche pour chaque scène d'action).
Les combats contre les samouraïs, c'est le climax de Blade II puissance 1000, avec toujours une intelligence du "où place la caméra", "où foutre le ralenti pour l'emphase".
La scène dans les tranchées, c'est juste VENERE, délaissant les ralentis pour de l'action brut de décoffrage jamais confus, ça m'a grave étonné de la part d'un réalisateur amateur de beaux tableaux iconiques.
La scène dans le train contre les robots transcende le plan-séquence fabuleux de 300 avec à nouveau une excellente utilisation du speed-ramping et du plan-séquence.
Snyder se fait plaisir tout le long, s'éclatant également avec les miroirs, passant
through the looking glass autant qu'il peut pour illustrer son propos.
C'est juste beau à tomber par terre.
Puis on va pas se mentir, voire des petites bombasses en SOUS-VÊTEMENTS pendant tout le film, c'est assez jouissif aussi, et le film évite le côté beauf par son sous-texte pour le coup (oui c'est facile, je sais, MAIS C'EST COMME CA, IL EST TROP FORT ZACK).
Alors, maintenant...les bémols.
Le piège de cette structure alternant les niveaux de réalité, avec de grosses vignettes orgiaques, c'est que l'euphorie retombe à chaque fois que la danse s'arrête. Et ce fut un peu le cas pour moi. Chaque retour dans le bordel se fait vraisemblablement plus long et du coup, le côté un peu fonctionnel de ces scènes, vu qu'il faut bien faire avancer l'intrigue, fait retomber la sauce.
J'ai eu aussi un peu de mal à entrer dedans au début, passé l'intro, à cause d'une transition un peu chelou mais qui fait sens au bout du compte, vu le dénouement.
Et c'est là que réside mon plus gros problème. Le dernier acte est super couillu dans ses choix mais s'en retrouve du coup un peu
underwhelming. Il aurait fallu soit une dernière scène d'action de fou, soit un truc vraiment poignant.Thématiquement, et sur le papier, c'est assez fort et audacieux mais l'émotion n'est pas au rendez-vous. Le film passant trop de temps à s'éclater, tant dans l'action que dans son sous-texte, le gravitas nécessaire n'est qu'à moitié là.
Mais au final, comme le reste du film, c'est surprenant.
Je me suis demandé tout le long si le titre aurait une signification diégétique, mais il n'en est rien.
Le Sucker Punch du titre (expression qui désigne un coup de poing mis en traître, par surprise) est un commentaire extra-déigétique sur le film lui-même. Le film ne va pas là où l'on attend forcément.
Je me demande à quoi va ressembler le cinéma de Snyder maintenant qu'il a enfin accouché ce bébé. Très certainement une étape-clé, un tournant. Les annonces d'approche "réaliste" sur son futur Superman sont certainement déjà un signe dans cette direction.
Je suis curieux de voir comment cette fin vieillira, parce que le reste du film me séduit grandement.
Je suis curieux de voir l'effet d'une seconde vision, parce que le film est jouissif à bien des niveaux de lecture.
Je suis curieux de voir le Director's Cut plus long de 18 minutes d'ores et déjà annoncé par Snyder.
5/6
PS : ceux qui se réjouissent d'avance de voir Jon Hamm en méchant, soyez prévenus, on le voit à peine, ça tient du caméo et il n'y a rien de badass.