Quel monde allons-nous laisser à nos enfants et petits-enfants ? Cette inquiétude existentielle rassemble une très grande majorité des Français, quels que soient leur statut social, leur origine, leur parcours professionnel ou encore leur opinion politique.
Face à cette peur de l'après, l'héritage est souvent vu comme un filet de sécurité, que nous léguons à nos enfants et petits-enfants pour leur donner une chance de « mieux s'en sortir » quand nous aurons disparu.
La réalité qui est devant nous, dans un monde à + 3° ou + 4 °C, où les catastrophes climatiques sont de plus en plus fréquentes et violentes, où nos écosystèmes sont dégradés et pollués et où la biodiversité s'effondre, est bien différente : nos héritages, quel qu'en soit le montant, ne garantiront pas une vie meilleure à nos enfants. Dès lors, le plus bel héritage que nous pouvons leur laisser n'est pas notre argent, mais une planète qui se régénère, après deux siècles d'exploitation intensive, ainsi qu'une cohésion sociale retrouvée.
Au cours des 15 prochaines années, le monde entier connaîtra un épisode sans précédent de mobilité du capital. Avec 9.000 milliards rien qu'en France, la « Grande Transmission » - « The Great Wealth Transfer » aux Etats-Unis - est une chance unique de donner du sens et de l'utilité à l'argent accumulé par la génération du baby-boom.
L'impôt sur les transmissions est actuellement très imparfait, si bien que les plus fortunés - « Top 1 % » et a fortiori « Top 0,1 % » - y échappent massivement, par des effets d'optimisation - assurance vie, donation du vivant, non-taxation des plus-values latentes, etc. - que certains d'entre nous ont utilisé ou utilisent encore. Cet héritage est par ailleurs très inégalitaire, beaucoup plus que les revenus du travail : 10 % des Français détiennent 55 % du patrimoine total, avec un risque de plus en plus avéré que l'héritage détermine demain la position sociale des individus, à rebours des valeurs fondatrices de notre république.
L'étude « Face à la « Grande Transmission », l'impôt sur les grandes successions », publiée en novembre dernier par la Fondation Jean Jaurès et le think tank Hémisphère Gauche, montre qu'en réformant l'impôt sur les transmissions pour les patrimoines les plus élevés - seulement le Top 1 % -, nous pourrions dégager en France plus de 400 milliards d'euros de recettes sur la période 2025-2040, afin de mieux répartir les richesses ou d'investir dans la transition écologique, la recherche et l'éducation, et préparer ainsi le monde que nous voulons léguer à nos enfants. Et cela sans rien changer pour 99 % des Français !
Nous sommes entrepreneurs et entrepreneuses et avons monté des startups et entreprises dans la technologie, le conseil, la santé, l'alimentation, l'éducation, l'énergie, la data, l'agriculture, l'immobilier, le tourisme…
Nous sommes souvent vus comme un symbole de la réussite avec nos levées de fonds, nos croissances à 3 chiffres, notre goût pour l'innovation ou encore la création d'emploi de nos sociétés.
En tant qu'entrepreneurs, nous croyons bien évidemment au travail et à l'audace mais reconnaissons que la chance et le déterminisme social ont joué un rôle clé dans nos parcours et nos réussites.
En tant qu'entrepreneurs, nous croyons bien évidemment au travail et à l'audace mais reconnaissons que la chance et le déterminisme social ont joué un rôle clé dans nos parcours et nos réussites.
Nous soutenons la proposition de la Fondation Jean Jaurès de mettre à contribution les grands patrimoines - dont nous faisons ou ferons partie - car nous pensons que le meilleur héritage est celui d'une planète vivable et d'une société apaisée et nous voulons pleinement y contribuer.
Nous sommes ouverts à explorer d'autres voies pour rendre cet argent le plus utile au plus grand nombre, comme au travers d'une dotation universelle à 18 ans pour tous.
Nous sommes convaincus que, le jour où nous quitterons ce monde, notre argent aura plus d'impact et de sens s'il finance une société juste, laissant sa chance à chacun de nos enfants, ainsi que des projets de transformation écologique et sociale exigeants, plutôt que de perpétuer une des plus grandes formes d'inégalité en vigueur aujourd'hui.
Cette tribune est signée par un collectif de 115 entrepreneurs, à l'initiative de Marc Batty, fondateur de Dataiku et de FEVE, et Laurence Grandcolas, fondatrice de MySezame.