Karloff a écrit:
Pas mieux. Après j'aime pas trop son cinéma, mais là je me suis bien marré. Et à Berlin, la salle riait à gorge déployée, c'est vraiment culturel, notre côté cul serré quand on va au cinéma.
Marré quand ? Cite moi des gags, des trucs drôles, je suis curieux. Vraie question sans malice. Le film n'est absolument pas drôle et surtout je crois qu'il ne cherche pas à l'être. Comment peut-on rire
à gorge déployée devant ce film ? Si c'est quand on met des dialogues de SF dans la bouche d'acteurs amateurs ch'tis c'est que Dumont a réussi son coup et nous met bien le nez dans notre propre caca comme il aime le faire. Sincèrement à part les apparitions de Luchini et les deux flics de P'tit Quinquin je vois pas où est l'humour. Dans ma salle on était une vingtaine pas eu le début d'un pouffement de rire de tout le film.
Je partais pas en confiance mais c'est quand même Bruno Dumont, celui qui a été jadis mon cinéaste français préféré. Je fais partie de la minorité qui préfère très largement son début de carrière au virage
P'tit Quinquin mais j'arrive toujours à trouver des choses passionnantes dans son cinéma même si
France m'avait bien refroidi (c'est un film passionnant France mais ce n'est pas un film que j'aime). Je crois n'avoir pas souffert au cinéma comme ça depuis plusieurs années. J'ai trouvé le film absolument atroce. Pas dans son intégralité en fait, j'étais même plutôt séduit durant 30/45mn par la proposition singulière de Dumont qui se disait pourquoi Luke Skywalker pourrait pas être un ch'ti pêcheur analphabète ? Il y a un côté léger (mais pas drôle) qui fonctionne plutôt pas mal, je retrouve mon Dumont par moment dans cette manière de filmer son environnement (le premier plan qui m'a étonnement rappelé un plan de
Hors-Satan), le film assume un côté décalé tout en étant très premier degré. Dumont feint dans un premier temps de s'intéresser à ce qu'il raconte, la lutte entre les 1 et les 0 (waouh), les gentils et les méchants dans une appellation on ne peut plus (volontairement évidemment) manichéenne. Mais peu à peu on réalise où on est, Dumont n'en a strictement rien à foutre de son histoire, c'est je suppose quelqu'un qui méprise la science-fiction, qui trouve ça débile, il n'y a aucun cœur dans cet univers. Pas cœur dans le sens forcément émotionnel (même si évidemment il n'y en a pas) mais plus coeur dans le sens, centre vital du film, urgence à raconter cette histoire avec une vraie sincérité et une envie débordante de transmettre quelque chose.
Cela rejoint la théorie que j'ai sur Dumont depuis son virage comique. La majorité (l'intégralité?) des cinéastes raconte des histoires qu'ils ont envie de raconter, qu'ils ont besoin de raconter mais pas Bruno Dumont. Lui, fait un cinéma uniquement tourné envers la manipulation. La manipulation de comédiens (comment il manipule Luchini ou encore Léa Seydoux dans France, l'enlaidissant, la torturant à l'écran, il a un mépris de l'acteur "bourgeois" évident) mais surtout la manipulation du public. Quand dans
Ma Loute il fait des gags affligeants, il ne les fait pas parce qu'il les trouve drôle (il est de notoriété public que Bruno Dumont est aussi drôle qu'une porte de prison), il les fait parce qu'il veut que le public ait presque honte d'en rire (il a aussi un mépris évident pour le public "bourgeois" de ses films). Il cherche sans cesse à nous mettre le nez dans nos propres contradictions, nos propres faiblesses. Je crois sincèrement que l'idée de faire dire par des acteurs non professionnels et s'exprimant comme des analphabètes des dialogues de science-fiction, fait partie de ce plan. Ce décalage crée un malaise, ce malaise se transforme en humour et cet humour devient presque dégueulasse en ce qu'il s'apparente à de la moquerie. Lui Dumont, derrière son combo regarde tout ça de loin et se gausse d'avance devant son public de festival qui rira honteusement. C'est un système à part entière, une manière de faire du cinéma que l'on peut trouver répugnante comme passionnante. Ici je la trouve assez répugnante.
Et puisqu'il faut mettre les pieds dans le plat, oui Adèle Haenel avait totalement raison quand elle parlait d'un cinéma misogyne (pour le racisme c'est moins évident). Le film est clairement misogyne, assez salement même et là encore, et c'est ça qui le rend désagréable, volontairement. Au delà de la nudité exclusivement féminine (le film commence par Lyna Khoudri nue), le film va à un moment jouer le jeu de l'histoire d'amour entre un soldat de l'équipe des gentils et un soldat de l'équipe des méchants qui pourrait menacer l'équilibre mondial. Mais comme Dumont méprise ce genre de cliché narratif, il n'écrit absolument pas une histoire de séduction et d'amour. Tout se passe par un semi viol du personnage masculin sur Anamaria Vartolomei, qui tombe inexplicablement folle amoureuse du personnage dont la pick up line est la suivante : "
ton petit cul me fait bander". Un peu plus loin dans le film, une Lyna Khoudri de nouveau nue et jalouse s'offrira à Joney ce personnage masculin dont toutes les filles sont visiblement folles. Là encore comment ne pas voir la manipulation de Dumont, les "actrices bourgeoises" dévoyées par son acteur amateur ch'ti mais c'est pas fait d'une manière jolie et douce (ça aurait pu) mais c'est fait dans la brutalité et ce qui ressemble à de l'agression sexuelle et de l'emprise. Beurk.
Que dire sinon de Fabrice Luchini, lui aussi presque volontairement ridiculisé dans son costume immonde et ses petites mimiques grotesques. Chaque apparition de sa part et un sommet de malaise. De toute façon plus le film avance et plus il s'enfonce dans un malaise généralisé parce que la blague de Dumont n'a pas les épaules pour tenir 1h50 et le scénario devient catastrophique. Toute la dernière partie a été pour moi une torture tellement ça devient raconté n'importe comment avec des "péripéties" toutes plus nulles les unes que les autres (ce coup hilarant de on vole l'enfant, la scène d'après ils viennent juste le récupérer, voilà 5mn pour rien). Pareil pour les apparitions de Pruvost et Carpentier qui sont très ratées (avec la petite musique jazzy à chaque fois, horrible) et surtout très tristes notamment parce que l'acteur qui joue Pruvost n'arrive littéralement plus à parler.
Je mentirai si je ne retrouvais pas par moments le talent de filmeur de Dumont comme ces plans où les chevaux s'enfoncent dans un bosquet ou pareil un point de montage superbe entre des pas humains et des sabots de chevaux. Anamaria Vartolomei est magnifique et touchante (j'avais qu'une envie c'était de la sortir de cette galère) et le plus étonnant du film ce sont sans doute les effets spéciaux, plutôt impressionnants et le film n'est absolument jamais nanardesque de ce point de vue là (même les sabres laser). Les vaisseaux cathédrales des gentils versus les vaisseaux châteaux des méchants (faut-il y voir un quelconque discours, on n'en saura rien) ça fonctionne. J'irai même jusqu'à dire que ça m'a par moment rappelé du From Software (notamment cette boule noire brillante qui parle, il y a des choses similaires dans
Elden Ring). Et j'aime que le film assume le space opéra final et la bataille (il y a un plan où Jony marche avec les vaisseaux derrière, il y a le même dans Dune de Villeneuve avec Chalamet).
Mais tout ça au service de quoi. Comme si Dumont dans une ultime manipulation c'était amusé avec le petit monde du cinéma en voulant nous montrer qu'il avait été capable de faire un vrai film de SF totalement débile (les 1 contre les 0 sérieux) et misogyne et que le monde du cinéma non seulement le financerait mais en plus le récompenserait (d'ailleurs son discours à Berlin va clairement dans ce sens). Il y a dans sa démarche quelque chose qui me dérange beaucoup et je crois qu'il est arrivé au bout du bout de cette période d'un cinéma fait comme une petite expérience en direction d'un public méprisé. Etonnement l'annonce de son prochain film semble indiquer un retour à quelque chose de beaucoup plus simple et surtout sincère (une histoire d'amour adolescente à Marseille sur fond de sauts de falaise).
1/6