Zhili, à 150 km de Shanghai. Dans cette cité dédiée à la confection textile, les jeunes affluent de toutes les régions rurales traversées par le fleuve Yangtze. Ils ont 20 ans, partagent les dortoirs, mangent dans les coursives. Ils travaillent sans relâche pour pouvoir un jour élever un enfant, s’acheter une maison ou monter leur propre atelier. Entre eux, les amitiés et les liaisons amoureuses se nouent et se dénouent au gré des saisons, des faillites et des pressions familiales.Il y a intérêt que tous les films au palmarès de Cannes 2023 soient des chefs d’œuvres (ce qui n'est bien évidemment pas le cas), parce que bel acte manqué que de ne pas avoir récompensé l'un des meilleurs documentaristes de la planète pour sa première dans la compétition officielle, d'autant que ça aurait permis de mettre en valeur un genre autrement mieux qu'avec les téléfilms primés à Berlin et Venise. Parce que non seulement Wang Bing est reconnu et célébré mondialement, mais qu'en plus ce premier opus d'une trilogie à venir n'est pas loin d'être ce que j'ai vu de meilleur de lui (je ne rejoins donc pas ceux qui en font un film mineur du réalisateur chinois).
Reprenant la route des ateliers de confections qui étaient au cœur d'
Argent amer, il se concentre ici sur la main d’œuvre essentiellement composé de très jeunes adultes (voir même encore adolescente pour certaine), payée à la pièce et qui débite du mètre de tissu à une vitesse supersonique. Et bien que l'on retrouve un lieu et une activité connue, décrite dans ses moindres détails dans son précédent film, ce qui frappe ici c'est qu'on à l'impression de totalement redécouvrir ce milieu de part son changement de perspective (de mémoire Argent amer était plutôt centré sur les propriétaires de ces petits ateliers, et le film était de toute façon vampirisé par le conflit ouvert entre un couple qui occupait un bon tiers du film). Et au-delà de cet aspect, ce qui frappe plus encore c'est la profonde richesse de Jeunesse, qui ne se contente pas de traiter dans le détail de l'aliénation au travail et des rapports de subordination (interminable négociation salariale qui semble ne jamais se finaliser), mais aussi de la structure sociétale (les mariages impossibles pour raison de classe, l'avortement), des rapports amoureux (qui ne peuvent nécessairement que naître au travail quand on termine à 23h), du couple (où la femme chinoise bataille pour ne pas se laisser dominer) ou de sexualité (pas pratique d'assouvir ses désirs quand on dort dans des chambres pour 4, et comme me l'a justement fait remarquer Déjà-vu on sent comme un léger glissement chez la gent masculine, avec des attouchements entre mâles
pour la blague de plus en plus appuyés). 3h30 pleine, où le ne s'ennuie pas une seule seconde (je n'en dirai pas autant de tous ses films) et qui met en appétit pour les deux futures suites qui devraient être bouclées d'ici à la fin de l'année (c'est lui qui nous l'a dit).
Sinon, pour renforcer l'intérêt potentiel que vous pourriez avoir pour ce film, et bien que les sujets n'aient absolument rien de commun, j'ai été frappé par les similarités qu'ils pouvaient y avoir entre celui-ci et
A la folie. De part la géographie des lieux, les ouvriers qui trainent sur les paliers (ouverts sur l'extérieur) comme les internés y passaient leur journée, les mêmes chambres de 4 lits aux murs décatis, la séparation entre hommes et femmes, les mêmes sortis hors des murs qui semblent de la même manière n'avoir comme issu que de retourner s'enfermer dans sa cellule, et évidemment une troublante similitude dans le rapport à l'aliénation.
5/6