Paye. Ton film. Malade.
Si
Man of Steel était un premier volet portant encore la marque de Christopher Nolan,
Batman v Superman est en quelque sorte de le
Batman Returns de Zack Snyder. Une suite que l'auteur se réapproprie complètement, pour le meilleur et pour le pire. L'accueil critique outre-Atlantique est à la fois étonnant et peu surprenant tant le film accumule les choix improbables. Je dis étonnant car ce sont précisément ces parti-pris inattendus qui me séduisent dans ce film par conséquent couillu et personnel mais simultanément parasité par le cahier des charges du
franchise building imposé par DC/Warner, trop pressés à construire leur univers partagé.
Je compare au Burton parce que c'est franchement barré mais c'est moins maîtrisé.
Tout le long, les fulgurances côtoient la vulgarité. Ce n'est clairement pas le film qui va réconcilier Snyder avec ses détracteurs donc si vous n'aimez pas les précédents films du cinéaste, passez votre chemin. Quelque part, c'est Snyder qui fait une suite à son
Man of Steel mais par le prisme thématique de
Watchmen et le prisme formel de
Sucker Punch. Il y a toujours de la caméra portée dans les scènes de dialogues mais quand Snyder refait les origines de Batman, dans une ouverture mêlant brillamment les deux moments-clé de la naissance du héros, c'est quasiment un remake de l'intro de
Sucker Punch.
L'approche esthétique tranche donc quelque peu avec le chapitre premier mais s'avère cohérente vis-à-vis du projet de Snyder sur le fond.
On évoque un peu facilement le caractère divin des films de super-héros mais avec Superman, c'est inévitable et, après avoir été davantage dans l'intime sur
Man of Steel, le metteur en scène s'attaque frontalement à la métaphore religieuse cette fois-ci.
L'excellente idée du film est de montrer la réponse des humains à l'apparition d'un dieu. Il est fort judicieux de revisiter les événements controversés de la fin de
Man of Steel au travers d'un autre point de vue.
Batman v Superman arbore d'ailleurs un aspect méta vis-à-vis de la réactions d'une partie du public face au climax de son prédécesseur. Pour ce faire, le récit adopte donc en partie le point de vue de Bruce Wayne (Ben Affleck, plus convaincant que je ne l'aurais cru, surtout en Batman mais aussi en Wayne dragueur creepy, mais tout de même très basique pour le Wayne intime), super-héros mais dénué de super-pouvoirs, et l'interprétation qu'en fait Snyder est affolante. À l'instar du reste, le traitement est super bourrin, s'inspirant évidemment du
Batman : Dark Knight de Frank Miller, parano et violent donc hypocrite. Wayne devient donc un mec hanté par des cauchemars sortis de genres différents : un peu de fantastique pour le début, du film d'horreur au milieu et un MÉMORABLE
set-piece post-apocalyptique qui rappelle là aussi les séquences les plus cheloues de Watchmen. C'est la vision de Superman dans
Man of Steel puissance 1000.
Mais Snyder ne se contente pas de faire "le héros torturé version iconique". Ouvrir le film sur le meurtre de ses parents, genèse pourtant connue et reconnue et déjà racontée plusieurs fois du personnage, s'inscrit dans le parcours du protagoniste version Snyder : en gros, Batman c'est Saint Thomas. Un Saint Thomas milliardaire qui ne croit tellement pas en ce Messie qu'il veut montrer au peuple que leur Dieu peut saigner. Un peu comme Léonidas face à Xerxès dans
300.
Tout le rapport de l'Homme à Dieu dans le film incarne le récit.
C'est ce qui motive les riches sceptiques du film. Bruce Wayne donc mais aussi l'autre humain de l'histoire, Lex Luthor. Tous deux révèlent des traumas à l'origine de leur athéisme et c'est cet athéisme qui nourrit leur méfiance envers Superman. Ils réfutent son existence. Ils refusent de croire en lui. Comment Superman peut-il être bon si Dieu ne l'est pas?
Comme pour le reste du film, la caractérisation de Luthor et la performance de Jesse Eisenberg diviseront. On est finalement plus proche du Joker que du Mark Zuckerberg attendu. Un génie psychopathe avec des
daddy issues qu'il projette sur Superman. On peut pas dire qu'on a déjà vu cette interprétation du personnage auparavant.
Après, la première moitié, pourtant la plus carrée du film, reste plutôt laborieuse dans l'écriture des plans de Wayne et Luthor - manipulant tout le monde, gouvernement et Batman compris, dans une inversion intéressante de l'ouvrage susmentionné de Miller - même si cela fait sens au bout du compte.
Si le parcours des antagonistes du film est intéressant, celui de Superman n'est pas forcément en reste. Mais il est moins abouti.
J'aime decidément la vision qu'a Snyder du personnage : un Dieu humain qui doute. C'est du Kazantzakis en fait. Jadis, il ne savait pas s'il devait faire son
coming out, aujourd'hui il est rejeté après l'avoir fait. Les puristes crieront une fois de plus au scandale mais j'aime la modernité de cette lecture éloignée du
boy scout souriant auquel on est habitué. Il y a une séquence qui semble adapter le
Superman : Peace on Earth d'Alex Ross mais en mode dépressif, c'est dire. Il y a un peu de l'Atlas d'Ayn Rand dans ce Superman ou plutôt du Dr. Manhattan dans ce surhomme qui perd pied avec le monde avec sa meuf comme seul lien mais après avoir précipité la romance entre Clark et Lois dans
Man of Steel,
Batman v Superman fait carrément l'erreur d'ellipser leur relation, nous plongeant dans un
status quo par conséquent jamais crédible. Et comme le film ne trouve jamais réellement la place de Lois dans l'intrigue, son rôle est complètement foiré.
Réduire Alfred à un sidekick comique avec une ou deux leçons, comme dans la franchise de Burton et Schumacher, c'est acceptable mais Lois méritait mieux qu'une enquête parallèle superflue et des apparitions opportunes.
Ce n'est pas la seule piste qui soit sous-exploitée.
Il y a une très belle idée dans la mise en parallèle des deux orphelins que sont Batman et Superman, et plus précisément dans leur rapport avec leurs mères, mais le travail de terrain n'a pas été convenablement abattu pour que cela paie de manière efficace au moment opportun. Si les dames en question avaient bénéficié de plus de scènes, le film aurait pu retrouver l'émotion que le premier tirait des séquences avec les deux pères de Superman.
Mais là, encore, y a au moins une idée. Ce même traitement expéditif est moins excusable lorsqu'il s'agit d'inclure les membres de la Justice League juste parce qu'il faut poser les bases de l'univers partagé à venir. Seule Diana Prince/Wonder Woman est vaguement développée mais son inclusion dans le récit est si grossièrement écrite et mal amené qu'elle fait vraiment cheveu dans la soupe. Elle est bien dans l'action mais elle est trop mal intégrée dans le récit pour que j'en aie quelque chose à foutre. Et comme Gal Gadot m'apparaît peu convaincante pour le moment... Le modèle est clairement la Selina Kyle de
The Dark Knight Rises mais il s'agissait là d'un véritable personnage secondaire alors qu'ici, ça ressemble, au mieux, à du
fan service. Il fallait soit lui donner le même temps de présence, soit l'exclure complètement.
Et vu le sort réservé aux autres membres, ce n'aurait pas été un mal.
Batman v Superman est indéniablement bordélique. Le pire étant sans doute ce climax bourratif et laid, symptôme paroxystique des problèmes du film : il y a toujours une idée forte qui incarne le récit mais c'est souvent très bourrinement exécuté.
Des fois, l'iconisme pur fait passer la pilule, des fois moins.
En tout cas, c'est assez fascinant à regarder. Il y a des scènes que j'adore (les rêves, les discours, l'action, dont j'ai pas vraiment parlé mais qui claque dès qu'elle met en scène Batman, que ce soit une poursuite en voiture dévastatrice ou des combats de gros bourrin, contre humains ou contre un dieu) et d'autres horriblement maladroites (les métahumains, Doomsday). C'est thématiquement riche mais mal branlé dans l'éxécution, à la fois trop long et trop rapide. Du coup, je suis vraiment curieux de voir le Director's Cut. La demi-heure de plus annoncée pourrait régler certains problèmes.