Légers SpoilersEt ben… J’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi le film a tellement déchaîné les passions. C’est absolument pas honteux, c’est clairement pas exceptionnel non plus, y a de très bonnes choses et pas mal de rien.
Il y a en fait un gros problème : le film est très peu incarné. Le récit tourne autour d’un trio principal sans intérêt, notamment le duo frère-sœur absolument creux (à tous les niveaux : caractère, rôle, dialogues, casting, direction d’acteurs… C’est pas que c’est spécialement ridicule, c’est juste qu’ils n’ont qu’un rôle purement fonctionnel de trimballage du jeune d’un bout à l’autre de la carte). Identification et intérêt zéro, vraiment ce qui s’appelle un gouffre…
Le jeune Avatar est un cas un peu plus curieux par sa "normalité". Shyamalan ne l’utilise ni de façon hiératique (il est ni silencieux, ni sérieux, ni grave, ni profond, ni mystérieux, ni quoi que ce soit) sans pour autant un instant s’intéresser à ce qui fait son potentiel humain (la peur de la charge, la fuite, la responsabilité du génocide) : on ne joue jamais sur son imagerie, on ne le filme jamais d’une façon qui fait mine d’avoir conscience de l’importance de son background (le résultat d’un long cycle de réincarnation, quand même !) ; bref, on le suit juste de point en point, comme on tournerait machinalement les pages d’un bouquin.
C’est curieux, donc, pour deux raisons : déjà parce que, chargé de ce sens et de cette émotion, le final aurait eu mille fois plus d’ampleur et de force, et qu’on se demande bien l’intérêt de se refuser un tel cadeau quand il est là, disponible, sur le papier ; et ensuite parce que Shyamalan a déjà montré une capacité à faire des enfants de certains de ses films des figures passionnantes et charismatiques (martyre et fragile dans
Sixième sens, ouatée et décalée dans
Signes…), il me semblait que c’était là un de ses points forts. Entre la maîtrise mature de ses pouvoirs, sa candeur enfantine quelquefois appuyée, l’air de pas savoir ce qu’il fout là, et surtout cette "normalité" presque choquante, le personnage a le cul entre 36 chaises qui s’annulent les unes les autres (difficile de t’amener à être ému par les doutes du gamin quand on te l’a montré sûr de lui 2 secondes plus tôt, inconscient de la situation 4 secondes plus tôt, etc.)
Et le pire, c’est qu’à côté, il y a un plutôt beau personnage, le Prince du feu, qui remplit tout à fait chacune de ces conditions : il a un sens, une évolution, une raison d’agir comme il le fait, un passé plutôt classe, une imagerie, un certain charisme, et (je croyais avoir lu que c’était l’horreur, pourtant) il est plutôt bien campé par l’acteur. Bref, un personnage simple et pas révolutionnaire mais qui fonctionne très bien, ce qui fait qu’au bout du compte les scènes l’impliquant sont mille fois plus concernées et efficaces que les autres. Pourquoi lui et pas le reste de la galerie ? C’est zarb.
Autre chose qui empêche au film d’avoir du bide, une structure complètement à l’ouest, qui empile un peu les lieux et les évènements façon somnambule sans donner de sens à chacune des étapes, faisant entrer et sortir des personnages à l’improviste (la princesse !), utilisant ou pas une voix-off quand ça l’arrange… Le tout est à l’image de ces fondus enchaînés à répétition, qui semblent passer à la scène suivante comme on va faire les courses, à tel point que je me demande si le film s’est pas fait violemment remonté la gueule. Il faut attendre le final et le lieu fermé de la cité (la pénétration des murailles, surtout), pour que le récit s’ancre un peu plus (Shyamalan a toujours été plus à l’aise dans les lieux clos et statiques, en fait), mais dans l’ensemble les notions de géographie, de temporalité, sont complètement hasardeuses. L’univers qui va avec est du coup au diapason, blougi-boulga narniesque brodé à vide par une énième équipe déco qui comme d’hab s’est éclatée de manière stérile, alors que dans les rares scènes où le décor implique vraiment ce qui fait la particularité du film, à savoir les jeux d’éléments (dans la prison aux bougies, par exemple, pourtant minimaliste), l’univers entier reprend tout de suite du coffre.
Voilà, le film souffre d’abord de ça : sans être ridicule (ça me semble jamais vraiment foiresque ou boiteux), il est surtout très peu concerné et touchant.
Passons à ce qui intéresse visiblement d’abord Shyamalan, et qui constitue avec évidence la qualité du film : le côté calligraphique / chorégraphique. Les scènes "dansées" à vide manquant malheureusement de précision (cassant un peu l’énergie des plans-séquence qui vont avec, même si je vois l’idée, qui est bonne), cela concerne donc surtout les combats.
Et là faut pas déconner, c’est vraiment excellent. Dès que ca se bat (ou plus simplement que ca se retrouve dans une situation d’affrontement), la mise en scène retourne instantanément sur les rails, sait soudain très bien où elle va, ce qu’elle a à faire, et montre que le mec derrière la caméra est pas le premier venu : il suffit de voir la première fugue du gamin, 5 secondes épatantes faisant flash au milieu d’un scène amorphe, pour comprendre comment fonctionnera le film. Et je parle pas d’une logique de virtuosité qui voudrait te clouer à ton siège (ca reste souvent très calme, très construit sur la longueur en fait), mais simplement du fait que dans ces moments-là le film montre très clairement ce qui l’intéresse dans ce monde, dans ce pitch. Et là je vois vraiment pas trop ce qui peut décevoir là-dedans, je bois du petit lait d’un bout à l’autre : quitte à passer pour un gros lyrique, c’est juste TROP BIEN découpé (les longs plans, la théâtralisation discrète, sur ce point je rejoint Mr. Chow). Une scène très simple et très conne comme
, je ne touche pas à un seul des plans, c’est du pur plaisir.
Je trouve notamment au film une capacité à filmer la déferlante de cire des SFX d’une manière enfin correcte : je pense à la vague, par exemple, qui est réglée en une affaire de 4/5 cadres juste excellemment choisis. Bref, dans l’action, le film a une mesure, une intelligence, une précision, et une ambition de mise en scène qui fait vraiment du bien, dépassant l’étalage graphico-stylé habituel et la logique de prouesse pour simplement y donner à voir le potentiel dramaturgique, de pourquoi l’affrontement commence et de comment il finit, de la poésie des enchaînements dansés de mouvements… Sur ce dernier point, j’adore aussi comment le film aborde les jeux d’éléments comme dans la plus candide imagerie du merveilleux, de manière très simple et évidente en fait, comme on célèbrerait la beauté graphique de la magie. Dès qu’on fait rentrer les éléments dans le plan, le film fonctionne du tonnerre.
Voilà, de manière générale j’y vois de très belles scènes, mais un film qui ne portera pas, vu l’inconsistance émotionnelle dont il fait : on ne rentre pas dedans, ou très peu, et deux bons tiers de l’ensemble sont limite anonymes. Je suis un peu fâché, parce que ça aurait vraiment pu péter la baraque et remettre les points sur les i sur ce que c’est un film de fantasy vraiment mis en scène, porté, réfléchi. Parce qu’aussi absent soit-il, Shyamalan rappelle régulièrement qu’il a quand même une conscience basique de ce que pourrait être une scène un peu ambitieuse : la façon dont il filme l’esprit, tiens, par exemple – juste un œil, un flanc, une silhouette, un personnage surtout défini par la brume qui l’entoure… la scène a beau être littéralement endormie du désintérêt total qu’on lui porte, il y a quand même, comme un réflexe de base entre deux ronflements léthargique, l’idée de base
qu’on est pas obligé d’exhiber la créature SFX qui a été crée pour l’occasion sous toutes ses coutures. C’est pas grand-chose, ca révolutionnera rien, mais c’est le genre de petits détails qui font du bien entre de vraies scènes.
Ah, et enfin, puisque c’est là qu’on est attendu au tournant : je ne vois rien, de près ou de loin, qui joue ici avec l’idée de fragilité du film. Je trouve ça très vrai dans
La jeune fille de l’eau, plutôt dans
Phénomènes, ici c’est absolument pas le cas. Voilà.
3-4/6
Oh, et j’allais oubliez : allez le voir en 2D. Le passage en 3D est mal foutu, y a beaucoup de plans (notamment tout ce qui joue sur le point) foutus en l’air par la spatialisation, le film a
clairement pas été pensé pour. J’ai passé la moitié du film un œil fermé tellement ca a fini par me gonfler.