Le top de Vincent Ostria de l'Huma et des Inrocks :
- Attenberg, de Athina Rachel Tsangari — à mon sens la plus belle application de l'art brut au cinéma, y compris pour ces séquences de danse impromptues et pas forcément indispensables. Le cinéma grec s'élève en même temps que la débâcle financière gagne le pays. Même phénomène qu'en Argentine il y a une dizaine d'années. Pour résumer : liberté intense de mise en scène et de jeu des comédiens. Une dramaturgie extrêmement souple, qui fait la part belle au vide, au non-dit et à la désinvolture.
- La Solitude des nombres premiers, de Saverio Costanzo — après Amer, une deuxième géniale transposition du giallo. Non seulement par la musique (dont un morceau a été emprunté à Argento), mais par le sens baroque de la couleur (à laquelle le sang participe), le jeu avec les flashes-backs, les époques, mais aussi l'époque décrite (des 70's aux 80's). Sans doute la meilleure et la plus belle aventure kitsch de l'année. Un kitsch qui fait mal.
- Exit, una storia personale, de Massimiliano Amato — un autre film transalpin, celui-là complètement fauché, sorti en catimini et oublié, qui est un fulgurant jeu avec la folie, sur la folie. Les chassés croisés et poursuites de deux frères. L'un, rangé, l'autre schizophrène ou psychotique. Personnage (et physique) purement pasolinien pour un récit également déconstruit comme une fuite exténuée au bout du paysage.
- La Ballade de l’impossible, de Tran Anh Hung — encore une histoire de folie (décidément !), mais aussi d'amour fou. Encore un chassé-croisé tragique. Une adaptation rêvée du livre culte de Murakami que je n'ai pas lu, par un Français d'origine vietnamienne, qui signe le plus beau film japonais de l'année, et qui par la même occasion remonte en flèche dans mon estime (je n'avais vu que Cyclo de lui). L'intrication des deux registres liée aux deux personnages féminins diamétralement opposés que fréquente le héros s'allie idéalement avec le climat politique troublé (les années 1960 au Japon) plus une certaine dimension pop.
- Agua fria, de Paz Fabrega — adoré le climat entre rêve et cauchemar tropical, le côté crépusculaire et naturel de cette simple histoire d'enfant qui somatise et se perd au bord de la mer. Une leçon de nature.
- Hors Satan, de Bruno Dumont — une autre leçon de nature, mais plus sophistiquée, et un cinéaste qui remonte aussi en flèche dans mon estime. Je ne me complique pas la vie, je réagis spontanément. Les atouts du film sont naturellement le décor naturel, formidablement exploité (exemple : la scène de traversée d'un plan d'eau inspirée par Tarkovski), les personnages aussi troubles que touchants. Même la dimension religieuse reste assez vague et limite panthéiste pour me toucher. Les ricaneurs qui comparent à Dreyer ont tout faux. Ce film est candide, sans calcul. Un plaidoyer pour la croyance et pour la magie ordinaire.
- Augustine, de Jean-Claude Monod et de Jean-Christophe Valtat — un moyen métrage inédit sur les expériences de Charcot sur l'hystérie à la Salpêtrière, notamment avec une nommée Augustine, qui devint son cobaye favori. Magnifique travail, à la foi sobre et fiévreux, dans un très beau noir et blanc. Ça vous réconcilie avec les films en costume.
- Dharma guns, de F. J. Ossang — je ne suis pas fan à 100% des élucubrations d'Ossang, mais même si ce film se réduisait à sa séquence d'ouverture, avec Elvire au volant d'un hors-bord tractant Guy McKnight, d'une splendeur sans nom, cela suffirait à le placer au-dessus de toute la production française. Pour moi cette scène est un hors d'œuvre corroboré par une esthétique d'une cohérence et d'une singularité impeccable comme un instantané surréaliste inédit. J'adore ce film comme objet.
- Entre chien et loup, de Jeon Soo-il — road movie, dérive existentielle ou existentialiste, non-dit à tous les étages, indécision amoureuse ou plutôt flou amoureux. Cela ressemble dans ses très grandes lignes à certains récents Hong Sangsoo — un cinéaste qui part à la dérive et se raccroche à une femme —, mais Jeon Soo-il ne choisit pas les mêmes solutions esthétiques que son compatriote. Il a un souci plus écologique, au sens propre : étude du personnage dans son milieu. Il ne filme pas des événements ou des situations mais des pans de paysage dans lesquels il insère ses personnages. Un peu comme Dumont, mais avec moins d'intention. Cet attentisme du regard fait toute la beauté de ce monde là.
- Essential killing, de Jerzy Skolimowski — une expérience hors-norme due à un vétéran du cinéma polonais qui remet tout en question sans le moindre scrupule. Il bat les cartes de son cinéma et les redistribue d'une manière tout à fait différente. Ici en accentuant la fuite, le mouvement, la bestialité d'un homme traqué. Un personnage unique que ne pouvait incarner qu'une tête brûlée comme Vincent Gallo. Ce rôle lui va à ravir.
- Drive, de Nicolas Winding Refn — un film plus traditionnel, disons hollywoodien pour simplifier, qui est le seul film américain que je retiens cette année. Sans doute parce qu'il n'est pas tout à fait américain, car réalisé par un Danois (je sais bien que ça ne veut rien dire). Ce cinéaste que je n'ai pas toujours adoré met un peu de froideur et de couleur dans la nuit, apaise la noirceur de ce film parfaitement noir grâce à une sorte de recul élégant et contemplatif. Ainsi il transcende le cliché du loser pris dans un engrenage infernal. Pour résumer, le côté fluide et planant de Drive fait toute la différence.
- Arriety, de Hiromasa Yonebayashi — faute de Miyazaki on mange des grives, ou plutôt on se rabat sur un de ses lieutenants qui trousse une curieuse fable d'amour impossible entre un garçon et une fillette microscopique. Ce jeu des tailles et des échelles appliqué au dessin animé ligne claire façon Ghibli rend l'exercice délectable et troublant.
- Carancho, de Pablo Trapero — thriller social, genre que l'Argentin Trapero est quasiment le seul à maîtriser aujourd'hui. C'est à la fois un film d'action, un polar, et une histoire d'infirmière, d'avocat, d'hôpital, de milieu modeste. Avec sans doute la plus étonnante scène de fusillade urbaine de ces dernières années. Un modèle de ce que devrait, pourrait-être un thriller nord-américain.
- La Mujer sin piano, de Javier Rebollo — splendide histoire de dérive nocturne, qui ne cherche pas à convaincre, démontrer, raconter, mais simplement à rêver. Ce film est un rêve, un chouïa kafkaïen comme les rêves, régi par l'illogisme et le coq à l'âne. J'ai particulièrement apprécié la manière dont le film suivait des personnages très secondaires quelques secondes ou minutes avant de revenir à l'héroïne, qui quitte brusquement son domicile au milieu de la nuit.
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