Forum de FilmDeCulte

Que voilà un sujet sexy !



Je précise qu’en disant "Afrique" je parle que de l’Afrique centrale : les pays du Maghreb (le cinéma égyptien, notamment) et l’Afrique du Sud me semblent pas subir le même flou critique, et j’ai pas l’impression qu’il existe spécialement un "mur" empêchant d’en apprécier le cinéma.


Reste donc une série de films qu’on ne connaît pas, et dont il est rare d’apprécier la vision, à moins de jouer au faux-cul.

L’idée n’est pas de dire que ce cinéma est incapable de faire de bons films, mais que la critique a fait un travail désastreux dessus (et que du coup, les bons films, il faut les chercher à l’aveugle). En cherchant je vois que trois raisons (vous me direz ce que vous en pensez) qui, à la base, empoisonneraient un brin cette cinématographie :


- Le fait d’être née durant la décolonisation. Dans ce bain originel bordélique s’impose l’idée qu’un bon film africain est un film social et politique, sous le regard paternaliste d’européens tous contents de voir les films délivrer les messages qu’il faut, quitte à être cinématographiquement honteux. C’est pas un hasard si aujourd’hui le film africain est un des trips ultimes des sorties scolaires : tu reviens en classe, tu n’as plus qu’à demander à tes élèves de re-décomposer le propos du film, façon tract.

- Le déficit de formation technique. Il faudrait revérifier, mais il me semble qu’il n’y aucune école de cinéma en Afrique (beaucoup des réals étudient d’ailleurs en France…). Il n’y a pas non plus eu les studios pour transmettre un savoir-faire technique, et encore moins un savoir-faire narratif, rythmique, esthétique. La production massive du Sénégal (la 2è au monde !), actuellement, a de quoi faire chialer, mais c’est un problème qui s’étend au continent. Je suis déjà tombé sur un film sur-subventionné (arte, cnc, etc.) qui avait littéralement la gueule d’un film de lycéens. Au-delà des capacités à maintenir un savoir-faire (et évidemment d’un manque de moyens), il y donc aussi le problème d’un tabou européen à reconnaître que beaucoup des films qu’ils soutiennent sont incroyablement mauvais.

- Le fait de ne pas avoir connu de période classique. On peut prétexter que c’est ce qui fait sa spécificité, mais il me semble que les différences entre un film indien, américain, français ou japonais sont aujourd’hui évidentes pour tout le monde, ce qui n’empêchait pas leurs cinémas classiques respectifs (les années 30-50, on va dire) d’être très voisins dans la forme. Chacun a eu la possibilité de développer ses particularités parce qu’il a eu des racines ultra-solides. J’ai un peu l’impression, parfois, que le cinéma africain vivote sans bases, pas capable de rendre charismatique et indiscutable ce qui fait ses particularités (de ton, de forme, de narration…) faute d’avoir un référent national solide sur lequel s’appuyer.


Le tri fait entre les films par la critique française épouse ce fatalisme dans la joie et la bonne humeur, refusant toute approche déculpabilisée de la chose : on excuse tout, même le pire. De l’autre côté, face à ce bazar, les spectateurs vont souvent se ruer sur les films africains s’alignant sur l’esthétique des films occidentaux (façon « ah, ils ont enfin réussi ») au lieu de chercher ce qui pourrait vraiment réussir dans la construction d’une esthétique propre au continent (dont j’ai bien conscience qu’il est l’affaire de pays multiples et très différents, mais bon…).



DONC,
Le but de ce fil (on y arrive) est simplement de faire partager, quand vous en voyez, un film africain que vous trouvez vraiment bon. Qu’on ait dispo ici une liste de films en laquelle on puisse avoir confiance, qui nous permette de passer outre les questions politiques et sociales à la con quand on veut choisir un truc à mater. Evidemment, on ne sera pas d’accord sur tout, mais c’est pas le problème.

Je commence avec deux (bah oui, c’est tout ce que j’ai en poche), et libre à qui veut de continuer, aujourd’hui ou dans les prochains mois ! Sinon, bah y aura au moins ces deux films…

Yeelen
(Souleymane Cissé, Mali, 1987)

Dans un pays et à une époque inconnus, un père ne supporte pas l’idée que son fils puisse devenir son égal, et un jour prendre sa place : il lance malédictions et expéditions à travers les terres pour le mettre à mort. Le jeune homme, traqué, tente d’acquérir le savoir qui lui laissera la vie sauve…

On va pas tourner autour du pot : la grosse qualité du film, et ce qui y séduit, c’est sa puissance esthétique. L’image est les cadres sont pas spécialement chiadés, pourtant (il y a toujours ce côté un peu étrangement indolent, pas pressé, ce qui donne des choses très bizarres dans les scènes de sortilèges par exemple, où rien dans la mise en scène ne vient soutenir la magie à laquelle on nous demande de croire). Le truc est en fait surtout que Cissé sait créer les bonnes combinaisons (le lait et le marais, la mort et le soleil levant…) qui font que la beauté de ce qui se joue dans le plan a toujours quelque chose de trouble, de vivant.

Le film est construit d’une manière un peu spéciale : pendant longtemps, chacun des échanges n’est qu’une succession d’anathèmes et de malédictions. Quand le film s’éloigne de la menace et se calme (dans la scène trèèèès longue en forêt avec les anciens), et qu’il devient plus banal (la vague romance avec la jeune fille, très molle), ça faiblit dangereusement. Le ton de la fable est salvateur dans ces moments-là, ramenant sans cesse le film au livre d’images étranges, au récit pas forcément logique, bref, à ce qu’il a de plus intéressant.

Si on passe sur un combat final gentiment kitsch (mais plutôt beau, finalement), ça fait un chouette petit film.

Muna Moto
(Jean-Pierre Dikongué Pipa, Cameroun, 1975)

Pour épouser la femme qu’il aime, Ngando doit trouver un moyen de payer la dot demandée par la famille de la jeune fille. Il s’en remet à son oncle riche, un homme déjà trois fois marié mais stérile, bien que refusant de l’admettre. En découvrant la jeune fille, le vieil homme y voit sa dernière chance d’avoir un enfant…

Celui-là c’est du solide. On sent un manque de moyens, peut-être aussi d’expérience (des enchaînements de scènes, de plans, assez souvent maladroits, des erreurs très con un peu partout), mais on sent aussi violent comment le film les dépasse à chaque seconde. C’est juste plein d’idées dans tous les coins, ca tente toujours quelque chose dans le rythme, le montage, le découpage…

Il y a d’abord un côté classe, indéniablement : le noir et blanc, la fermeté des choix d’angles et d’axe, les acteurs qui jouent bien, le surréalisme des contes qui accompagne le film comme un fantôme. Je ne veux pas vendre le film sur un malentendu : c’est pas une histoire mystérieuse qui joue sur l’imagerie exotique de l’Afrique, mais bien un film centré sur un problème social et quotidien (le sort d’une femme). Seulement, ça le fait avec beaucoup de panache, et le film n’est jamais chiant.

Y a deux défauts, énormes, qui peuvent sans doute rebuter :
- Toute la fin, complètement désorganisée, qui revient fissa se blottir dans les automatismes du cinéma socialo-politique de base (alors que le film s’en tient à distance tout le long)
- La musique, mon dieu. Je sais qu’on est dans les années 70, mais enfin à un moment ca peut pas constituer une excuse : j’ai très concrètement jamais vu un tel gâchis. Il y a donc plusieurs séquences, et parmi les plus visuellement classes du film en plus, qui sont littéralement massacrées par la musique. J’imagine que ça indique que le côté mystérieux et lyrique des images n’est pas ce qui intéresse le réal, et qu’on regarde peut-être le film par un angle qui ne l’intéresse pas. Il reste que les choix musicaux (à un ou deux près) ne créent rien, sinon du laid, et c’est vraiment super dommage.

Au-delà de ça, vraiment un très bon film, qui donne malgré toutes ses petites idées modernes une image assez nette, assez forte, de ce qu’aurait pu être un cinéma classique africain…

Un extrait pour ceux qui veulent (qui donne d’ailleurs un bon exemple des qualités et les maladresses du film) : http://www.youtube.com/watch?v=c01xBlQW2_Q

Encore de la marginalisation! C'est du propre!

De quoi ? Pas compris.

Yeelen est un film que j'ai toujours voulu voir, déjà à l'époque de sa sortie (la bande-annonce m'avait bien marqué mais le film n'était pas sorti dans mon patelin).
Un film que j'ai vraiment adoré ces dernières années (mais je me demande s'il ne s'agit pas d'une production française, les bureaux du réalisateurs étant à Paris), c'est En attendant le bonheur, de Abderrahmane Sissako (que j'avais d'ailleurs interviewé, un personnage très gentil, très doux, très réflechi).

_________________
Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)

Héhé, bah il m'avait bien fait chier à l'oral de la Femis celui-là !
Sissako, j'ai vu que Bamako, qui était pas mal du tout mais bon, pas transcendé non plus quoi. Beaucoup entendu parler d'En attendant le bonheur (qui avait bien buzzé à sa sortie, d'ailleurs, il me semble), faut que je me le choppe !

Yeelen je veux pas créer de faux espoirs, hein, c'est juste bien, mais rien que pour l'ouverture (le plan du coq, là !), ça vaut le coup. Après, Cissé en soi je sais pas trop ce que ça donne - j'avais vu Le vent, ca m'avait bien fait chier. Et je me demande du coup si la qualité de Yeelen vient pas principalement de sa belle image, quoi.

Moi j'ai du voir que Daratt de Mahamat Saleh Haroun. Le cheminement du film est très beau et la fin magnifique, j'en verrais bien d'autres.

D'toute façon, le meilleur réalisateur africain, c'est Jean Rouch.

Son dernier film à Cannes semble d'ailleurs pas avoir soulevé les foules... Je note, je note, merci du conseil !


Tu déconnes, mais on est sans doute pas loin de la vérité... Après je sais pas si son film a été vu dans les pays en question, s'il a fait école (parce que pas mal de films africains dont j'ai vu des bouts ressemblent un peu, même involontairement, à du Moi un noir mal digéré).

Après comme dit Cosmo, on aura toujours des problèmes de relations à l'Europe et à la France en jugeant ce ciné : c'est de là que vient l'argent...

J'avais vu un film d'Ousmane Sembene, Camp de Thiaroye, qu'était vraiment pas mal.
Un peu scolaire/attendu sur le sujet, mais y avait une sécheresse de mise en scène pas dégueu.

That is the problem, généralement, en tout cas le point sur lequel à la vision des films africains ça coince (où j'ai l'impression de leur chercher des excuses). En même temps la culture africaine ça a ce côté très littéral, répété, et je suis jamais sûr de savoir si c'est un problème de barrière culturelle ou simplement un défaut du film (après tout, devant les premiers films asiatiques sur-expressifs, ou devant les muets sur-lyriques, ca coinçait aussi un brin). J'avais lu un super truc sur ce qui pouvait faire le caractère du cinéma africain tiens (un truc de Daney, et les murs du forum tremblèrent), vais essayer de retrouver ça.

Ah bah tiens, pour ceux que ça intéresse : La Noire de... d'Ousmane Sembene aujourd'hui à 17h au forum des images.

J'ai le DVD dans un coin, mais mon dieu ça a l'air d'un chiant...

le forum le plus méchant du net aurait-il censuré mon post?!