Castorp a écrit:
Un cinéma culturel, c'est un pléonasme. Tout cinéma est ancré dans une culture, même quand tu filmes un mur pendant deux heures, tu dis quelque chose sur ta culture, tu as un discours sur elle. Il y a autant de culture dans le dernier drame bourgeois à la con avec Kristin Scott-Thomas que dans Lincoln. On peut gloser des heures pour savoir laquelle est supérieure, mais c'est une autre question, qui interdit de toute manière ton concept débile de post-culturalité.
C'est incroyable, tu ne comprend vraiment rien à ce que je dis.
Tu ne sais pas ce que raconter quelque chose, inconsciemment, sur ce qui nous est propre, signifie. Tu ne sais même pas ce que signifie les mots filiation, transmission, expression de soi.
Je vais prendre quelques derniers exemples pour tenter d'éclairer ton esprit (même si quelque chose me dit que ce sera vain...) :
J'aime me mâter des Kitano, parce-qu'ils exposent toujours des thématiques purement japonaises, sans le vouloir. Lorsque je regarde
Outrage Beyond, par exemple, j'apprend que les yakuzas de 2012 se sont reconvertis dans la finance et que la plupart des codes d'honneur traditionnels, inspirés des samouraï, sont en train de disparaître au profit du pouvoir de l'argent. C'est pas qu'un film nihiliste, c'est aussi un film qui t'apprend à quel point les yakuzas ont changé par rapport à l'époque où Fukusaku les décrivait. D'ailleurs, comparer ceux de Fukasaku avec ceux de Kitano est un bon moyen de comprendre à quel point ils ont changé, et pourquoi. Mais ce qu'il faut que tu intègres dans ta tête, c'est qu'il n'y a pas de volonté particulière des réalisateurs d'exposer cette culture, ces films sont culturels en eux-même. C'est juste qu'ils ont quelque chose à dire et qu'ils sont la vitrine de leurs sociétés.
C'est pareil pour
épouses et concubines de Yimou, qui te raconte quelque chose de vrai et de percutant sur la condition des femmes de la Chine de 90/91. Sais-tu pourquoi
Hero, tant décrié par la critique occidentale pour son soit-disant totalitarisme, a eu tant de succès en Chine et qu'au contraire,
Tigres et dragons a fait un flop, là bas ? Je te laisse chercher, ça te permettra de réfléchir une première fois.
Le cinéma espagnol, c'est pareil. Mais c'est vrai, au fond, pourquoi est-il si bon dans le fantastique ? ça te permettra de réfléchir une seconde fois.
Pour en revenir au Japon, les mangas sont un autre bon exemple :
Néon Génésis Evangélion ou
Blue Seed sont des anime qui n'évoquent pas simplement la peur nucléaire, mais également l'animisme, le paranoïa qu'on éprouve quand on est une île, le fait que là bas on considère que la nature n'est pas au service de l'homme mais qu'il en fait intégralement partie. Le film
Yamamoto t'apprend les véritables raisons de l'attaque sur Pearl Harbor, la construction politique de l'époque etc... Peu de gens savent que l'architecte de cette attaque, à la fois celui qui l'a pensé de cette manière, était profondément contre cette guerre et cette attaque. Simplement, ce film nous apprend la mentalité profonde des japonais, en te montrant l'application mortelle avec laquelle quelqu'un met en application un plan, bien qu'il le hait viscéralement. Mais c'est inconscient tout ça ! Il n' y a pas la volonté d'évoquer ces sujets de cette manière, ils transparaissent et se transmettent aux générations futures ainsi qu'aux étrangers. C'est un cinéma culturel qui dit quelque chose sur un pays, une nation, une société, une époque.
Dany Boon ne dit rien sur la France d'aujourd'hui, Kéchiche non plus, pas plus qu'Hazanavicius et tous les autres (pour éviter la caricature). Le seul à dire quelque chose sur la France d'aujourd'hui et à faire du véritable cinéma culturel et politique, était Kassovitz. Mais il n'est plus là et le cinéma français était déjà post-culturel bien avant qu'il parte. C'est un cinéma qui ne raconte rien sur la France depuis 30 ans et c'est encore pire maintenant, les jeunes le savent, par conséquent, ils le boude. Quant aux réalisateurs qui veulent raconter quelque chose, la plupart d'entre eux fuient à l'étranger (en même temps que les jeunes, d'ailleurs).