Forum de FilmDeCulte

Le troisième tome de la Recherche. Gros pavé, d'autant plus un challenge que plus que jamais, les péripéties se réduisent à peau de chagrin. En revanche, il y a plus de dialogues, ceux des soirées mondaines auxquelles le héros commence à participer, jeune bourgeois courtisé par la sphère aristocratique. Une bonne partie de mes interrogations sur la réelle vision du monde de Proust ont été levées; sa saga n'est pas un roman initiatique au sens traditionnel (le héros en apprentissage), puisque le héros fonce encore et encore tête baissée, comme un éternel retour, dans tous les pièges que comprennent la vie de salon - dont l'auteur fait la critique indirecte mais violente - et le désir - qui est déconstruit et démystifié.

J'ai atteint un rythme de croisière, autant au tome 1 et 2 je devais souvent relire des phrases et paragraphes entiers pour en saisir la construction et le sens, et je me languissais parfois de véritables faits en lieu et place du roman de la vie intérieure du héros, autant j'ai traversé ce tome 3 avec une fluidité grisante où le rythme proustien devient une nourriture. J'ai essayé de commencer un roman plus trivial après, le livre m'est tombé des mains, ça me semblait trop plat en comparaison

Heeey ! T'avais un protocole particulier de lecture ? Vacances, retraite isolée ?

Un jour! Un jour je m'y attaquerai. "Longtemps je me suis couché de bonne heure." était la phrase qui circulait sur l'écran de veille de l'ordi de mon père quand j'étais "jeune"...

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Ed Wood:"What do you know? Haven't you heard of suspension of disbelief?"

Non, je n'ai même pas modifié mes habitudes, je me contentais de lire sur le trajet du travail, un peu plus d'une heure de lecture par jour; ce n'est pas beaucoup mais ce peu de temps était assez productif là où avant j'aurais avancé de deux pages par trajet.

J'en profite d'ailleurs pour recommander l'exact inverse de ce que je fais: il faut dans l'idéal se réserver des plages de durée au moins moyenne pour chaque session de lecture. Lors des premiers tomes, on ressent au bout d'une demi-heure une petite lassitude qu'il faut repousser gentiment. Et après ça devient une gymnastique et c'est de plus en plus jouissif, on peut lire longtemps, on est complètement scotché. C'est évidemment vrai partout mais pour Proust ça m'a vraiment marqué. C'est d'ailleurs pas tellement une surprise qu'il soit si fan de Wagner - il le cite tout le temps dans la Recherche; aussi farfelu le rapprochement soit-il au premier abord on ressent à la lecture des longues phrases proustiennes, des longues descriptions psychologiques et sociales, le même engourdissement délicieux qu'à l'écoute de Tristan et Isolde ou du Ring. Les deux sont ce qu'il y a de plus exigeant mais une fois rentré dedans c'est immense.

Tu as de l'adresse, je sais pas si j'y arriverais sur mes trajets (moment où je lis, habituellement), pour les raisons que tu donnais toi-même : "je devais souvent relire des phrases et paragraphes entiers pour en saisir la construction et le sens". J'ai toujours le bouquin chez moi, je l'ai commencé et c'était délicieux à lire, mais à chaque fois que je voulais reprendre (après une mini-pause, ou pire encore après une journée) je n'arrivais plus à me retrouver, fallait tout reprendre depuis le départ...

Faut pas essayer de trop maximiser sa lecture sans quoi on patine un peu effectivement. C'est pas pour rien que les vrais fanas de Proust ont relu toute la Recherche plusieurs fois! Ca gagne vraiment à être relu, y a plein de passages que tu voudrais encadrer mais tu dois continuer la lecture, et tu te dis que tu y reviendras. Ca diminue d'autant plus la pression d'extraire tout le jus du fruit dès la première fois.

Proust, c'est LE gros trou dans ma culture littéraire. Il faudrait vraiment que je tente ça un jour, mais il faut d'abord que j'arrive au bout de mon Melville (dans le genre phrase à relire trois fois, il est pas mal non plus, surtout Pierre, qui doit être son roman le plus exigeant).

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"Je vois ce que tu veux dire, mais..."
"Je me suis mal exprimé, pardon."

Au fait j'ai commencé La Montagne magique. C'est marrant de lire Castorp toutes les trois lignes

Tu aimes ?

(c'est ptêt pas le meilleur roman pour commencer Mann, par contre, tu entres tout de suite dans son bouquin le plus hardcore)

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"Je vois ce que tu veux dire, mais..."
"Je me suis mal exprimé, pardon."

J'aime l'ambiance, en fait le pitch avec l'arrivée dans la montagne c'est totalement ma came. Par contre là je suis dans un passage de description de son enfance chez son grand-père et c'est déjà plus rude.

Je me suis d'ailleurs fait la réflexion que Proust ça a beau être dur, il n'y a pas chez lui ou presque de descriptions visuelles de paysages, d'habits, de décors, tout part de l'impression du narrateur qui réalistement ne regarde pas un à un tous ces détails; tandis que Mann me ramène à la réalité littéraire habituelle des grands écrivains avec ces descriptions super poussées (mais superbement écrites, quand tu arrives à comprendre les mots), en l'occurence du costume du grand-père:

(à propos d'un tableau) "Il était debout, le menton incliné, la bouche contractée vers en bas, ses yeux bleus, au regard songeur, avec les glandes lacrymales en saillie, dirigés vers le lontain, dans ce pourpoint, semblable à une robe sacerdotale, qui descendait plus bas que les genoux, et qui, ouvert sur le devant, était décoré d'un large bord de fourrures. Des demi-manches bouffantes et bordées de même sortaient des manches plus étroites et longues en un drap ordinaire, et des manchettes de dentelles couvraient les mains jusqu'aux poignets. Les grêles mollets du vieillard étaient revêtus de bas de soie noire, les pieds chaussés de souliers à boucle d'argent. Mais le cou était entouré de la collerette raide et plissée, aplatie sur le devant et relevée des côtés, sous laquelle, au surplus, un jabot plissé en batiste (?!) descendait sur la veste. Sous le bras, il portait l'antique chapeau au large rebord, dont la calotte allait en se rétrécissant."

Okaaaaaaaay, j'attendrai encore un peu pour me mettre à Mann.

Les Buddenbrook, c'est beaucoup moins hardcore (si l'on passe la magistrale séquence d'ouverture, que j'adore), et c'est une bonne introduction à son univers. D'ailleurs, encore aujourd'hui, c'est le Mann que je préfère.
Bon, tu risques de trouver ça un peu naturaliste au premier coup d'oeil, mais c'est trompeur : il y a chez Mann cette capacité à sentir la profondeur du temps qui passe, la relativité des choses. C'est un livre merveilleux, que je conseille à tout le monde.



Oui, c'est le courant moderniste.
Tu as lu Faulkner ? Je pense qu'il te plaira aussi, dans le genre. La traduction de Coindreau est fort bonne, mais si tu peux, essaie en anglais ; je garde en mémoire cette allitération fabuleuse, que j'aime de tout mon coeur : "patent wringers and washing-powder" (dans Sanctuary).

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"Je vois ce que tu veux dire, mais..."
"Je me suis mal exprimé, pardon."

Ah oui voilà en fait Proust on en fait un "classique" vu de notre époque mais effectivement, il a l'air d'être très original, avec des partis pris radicaux.

Faulkner jamais lu, mais ok je retiens. Sinon, je sais qu'il y a un réel plaisir de la description, pas juste par ce que ça permet d'apercevoir - même si ça fait voir différemment qu'un film ou une photo, car le language attire la pensée sur d'autres choses que l'oeil ne le ferait - mais aussi par le plaisir pur du mot qui retranscrit et par là devient poétique; je me souviens notamment des Chouans de Balzac où il décrit le fond d'une vallée et ses champs, c'est juste prodigieux, et si on prend le temps, réellement jouissif. Mais c'est vrai que pour les lecteurs peu assidus comme moi, elles ont tendance à rebuter (et souvent ça tient à l'emploi d'un vocabulaire et de tournures très exigeants).

J'aime beaucoup Faulkner et je n'ai jamais lu Proust, la faute à une connasse de prof de français qui m'a dégouté de la littérature classique.

Oui enfin si toi-même tu dis que c'est à cause d'elle, ça montre que tu peux en identifier la cause externe et te plonger par toi-même dedans.