Le topic top lectures 2015. Postez vos tops en incluant aussi les livres de l'année, y'a pas de raison. Il y a pas mal de lecteurs de littérature contemporaine sur ce forum (Art Core, Karloff, Cosmo, et j'en oublie), et c'est cool d'avoir des retours sur ces bouquins aussi.
J'ai très peu lu cette année, faute de temps, mais il y a de jolies choses quand même. Je me contente donc d'un top un peu raboté.
1.
Le Docteur Faustus, de Thomas Mann
Ce n'est pas mon Mann préféré, parce que souvent trop théorique, mais il n'empêche que c'est souvent beau à pleurer. Le destin d'Adrian Lerverkuhn, compositeur de génie, qui navigue entre pulsions créatrices et destructrices, torturé par la morale chrétienne et le désir de pécher. L'ensemble est entrecoupé de longues digressions sur la nature de l'art et de la musique, et même si ces passages sont brillants et informatifs, je trouve qu'ils ont tendance à casser tout ce que la narration de Mann a d'organique, comme ce passage sublime où il décrit l'amour des expériences du père de Leverkuhn. Le bouquin est dans mes cartons, je ne peux donc pas citer, mais c'est magnifique.
2.
A Wizard of Earthsea, d'Ursula K. Le Guin
Je recopie ce que j'avais écrit dans un autre topic :
Terremer, d'Ursula K. Le Guin, c'est vraiment vraiment bien. Je suis séduit au plus haut point par cette narration sans flamboyance mais d'une parfaite élégance, comme si une grand-mère nous racontait une histoire au coin du feu, avec bienveillance et d'une voix un peu chevrotante.
Il y a là un désir évident de partage, une douceur de raconter qui transcende une trame finalement assez basique, parce que dans chaque phrase, chaque petite description, il y a de la chaleur. Je me suis pris à relire plusieurs passages juste pour pouvoir faire tourner encore et encore les mots dans ma tête ; ce n'est d'ailleurs par étonnant que ce qui ressort principalement de ce que j'ai lu jusqu'ici dans l'univers de Le Guin, c'est l'importance du langage, la valeur des mots et leur poids. Cette thématique qui traverse le bouquin se ressent dans chaque adjectif, chaque virgule, chaque conjonction : il n'y a pas une phrase superflue, tout est d'une admirable concision qui ne se dépare pourtant jamais d'un sens aigu du beau.
Bref, je ne m'attendais pas à autant aimer un bouquin du genre le plus faible de la littérature de genre. Mais pour le moment, c'est une admirable découverte.
Un extrait, qui, je trouve, résume bien ce style qui me séduit tant :
West of Roke in a crowd between the two great lands Hosk and Ensmer lie the Ninety Isles. The nearest to Roke is Serd, and the farthest is Seppish, which lies almost in the Pelnish Sea; and whether the sum of them is ninety is a question never settled, for if you count only isles with freshwater springs you might have seventy, while if you count every rock you might have a hundred and still not be done; and then the tide would change. Narrow run the channels between the islets, and there the mild tides of the Inmost Sea, chafed and baffled, run high and fall low, so that where at high tide there might be three islands in one place, at low tide there might be one. Yet for all that danger of the tide, every child who can walk can paddle, and has his little rowboat; housewives row across the channel to take a cup of rushwash tea with the neighbor; peddlers call their wares in rhythm with the stroke of their oars. All roads there are salt water, blocked only by nets strung from house to house across the straits to catch the small fish called turbies, the oil of which is the wealth of the Ninety Isles. There are few bridges, and no great towns. Every islet is thick with farms and fishermen's houses, and these are gathered into townships each of ten or twenty islets. One such was Low Torning, the westernmost, looking not on the Inmost Sea but outward to empty ocean, that lonely corner of the Archipelago where only Pendor lies, the dragon-spoiled isle, and beyond it the waters of the West Reach, desolate.
3. Les poèmes de Carl Sandburg
Je parle très mal de poésie, donc je recopie juste un des poèmes de Sandburg :
At a windowGive me hunger,
O you gods that sit and give
The world its orders.
Give me hunger, pain and want,
Shut me out with shame and failure
From your doors of gold and fame,
Give me your shabbiest, weariest hunger!
But leave me a little love,
A voice to speak to me in the day end,
A hand to touch me in the dark room
Breaking the long loneliness.
In the dusk of day-shapes
Blurring the sunset,
One little wandering, western star
Thrust out from the changing shores of shadow.
Let me go to the window,
Watch there the day-shapes of dusk
And wait and know the coming
Of a little love. 4.
L'homme qui regardait passer les trains, de Georges Simenon
J'ai du mal à croire que Simenon pouvait écrire plusieurs romans par an quand je vois la qualité de celui-ci : c'est l'histoire d'un homme, qui, ayant tout perdu suite aux malversations de son patron, décide de tout plaquer et finit par tuer une femme qu'il désire. Simenon raconte sa cavale, de cafés en cafés, au coeur d'un Paris brumeux qui sent la cigarette et le café fort, un Paris froid de cabarets, de costumes froissés et d'hôtels de passe.
Très beau roman, court, posé, sérieux, puissant.
5.
Vanity Fair de William Makepeace Thackeray
Portrait au vitriol de la haute-société anglaise durant les guerres napoléoniennes, le magnus opus de Thackeray brille surtout par son obésité : c'est un livre interminable, capable de s'appesantir pendant des dizaines de pages sur des dîners mondains, des complots familiaux, et des atermoiements de mondains sans en dire quoi que ce soit d'intéressant, tout en parvenant, au détour d'une page, à produire quelques paragraphes d'une rare acuité et d'une drôlerie incomparable, avec cette ironie British si caractéristique.
C'est extrêmement inégal, mais ça vaut franchement le coup dès que Thackerey entreprend d'être vraiment méchant et vicieux : on sent que c'est à lui-même qu'il s'attaque, l'homme obèse qui aimait la haute société autant qu'il la haïssait, et ces pages-ci sont inestimables.
6.
The Stand de Stephen King (Le Fléau en Vf)
J'ai eu la grande idée de me procurer la version longue du bouquin, avec ses 1400 pages. Pfou.
Ce roman fleuve jongle allègrement entre les passages absolument brillants et la complète nullité. King, paradigme de l'écrivain populaire, est loin d'être un manchot avec les mots : il a un vrai style, et c'est quand il mélange une narration classique à un argot post-modern mâtiné de Faulknerisme qu'il est au sommet de son art. Un passage me reste, tout particulièrement : la destruction d'un entrepôt de pétrole par un pyromane à moitié fou dans la tête duquel King entre, décrivant de façon chaotique les mécanismes de sa folie, son amour du feu et de la destruction, ses névroses, sa souffrance. De superbes pages.
A coté de ça, dès qu'il s'essaie à décrire des personnages positifs, c'est d'une vacuité totale : ses héros sont plats, inutiles, sentiment encore renforcé par les plates tentatives de l'auteur de s'essayer à l'humour et à la romance en plein milieu d'une parabole biblique. King est un écrivain de la déviance avant tout, et en cela, ses tentatives de décrire le "Bien" échouent lamentablement.
Obèse et raté, donc, mais des fulgurances assez inattendues par moments.
Je pourrais encore rajouter deux trois bouquins, mais ça reste une année de lecture assez médiocre. J'espère avoir plus de temps l'année prochaine.