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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 12 Déc 2014, 01:06 
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Castorp a écrit:
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Vrai enthousiasme pour ce roman d'aventure français, qui adapte avec beaucoup de liberté la Guerre de Pitcairn entre britanniques et taihitiens. La langue, sans être majestueuse, est élégante et pleine de vie. Les personnages prennent lentement corps durant 700 pages qui se dévorent (lu en 3 jours, très surpris d'avoir été autant happé par la chose), et la vie sur l'île du titre possède un véritable allant, où l'on sent l'influence évidente de la littérature de genre américaine sur Merle, qui en reprend les meilleurs éléments (le rythme, la richesse thématique) pour en faire un vrai beau livre.
Je conseille à tous ceux qui aiment le roman de genre. Ma médiathèque possède les 4 000 pages de Fortune de France, du même auteur, j'hésite encore à me lancer.

Un des romans qui m'est le plus resté en tête ces deux dernières années. Je trouvais pourtant l'écriture parfois un peu trop coulante et simple, le roman un poil trop sage (dans sa structure ; sa fin, par exemple...), mais ça n'empêche. L'humanisme lumineux du bouquin est d'autant plus acceptable qu'il est lucide, gentiment démonté et mis en échec, tout de même célébré... Vraiment un très beau roman.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 12 Déc 2014, 10:42 
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Sir Flashball
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Ah oui, tiens, je découvre avec ton message que Merle a une petite communauté de fans ici (ta critique est chouette).
En tout cas, c'est vraiment de la littérature de genre au sens le plus noble du terme : un beau roman, racé et lumineux.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 17 Jan 2015, 11:20 
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C'est une grosse déception. J'ai tout simplement le sentiment d'un roman extrêmement fainéant à tout point de vue. D'ailleurs détail assez amusant, le roman fait pile 300 pages avec la dernière phrase trônant seule tout en haut de la dernière, un peu comme si Houellebecq s'était donné pour objectif de faire 300 pages pas une de plus. Le roman se lit très vite, on ne s'accroche à rien et il se termine précisément là où on aurait aimé qu'il commence
la conversion du personnage principal à l'islam.


Le reste est vraiment très faible. Le personnage est une caricature du personnage houellebecqien, vieux lubrique dépressif, misanthrope et misogyne, il ne parvient jamais à s'élever au delà de ça (contrairement à ses prédécesseurs). Tout le contexte politique est tout simplement ridicule. Houellebecq semble assez sérieux dans sa proposition d'anticipation mais on ne croit à rien. Un parti musulman qui parviendrait au pouvoir en à peine 8 ans, qui imposerait le voile, interdirait les jupes, rétablirait une société totalement patriarcale sans que ça soulève la moindre opposition. Si ça avait été traité sur le mode de la comédie à la limite mais c'est juste ridicule d'improbabilité, ça m'a beaucoup dérangé cette vision extrêmement limitée du monde politique.

Là où le roman est quand même in fine intéressant c'est dans la thèse proposée par son titre. Il présente une humanité soumise à tout. Une humanité dont la liberté est constamment entravée par une force supérieure que ce soit le sexe, l'argent, le pouvoir. C'est aussi là que le roman m'a surpris. Alors que je m'attendais à un roman assez nettement anti-islam ce n'est pas du tout le cas. Houellebecq tend à montrer que si les femmes sont soumises par les hommes par loi islamique (il y a d'ailleurs toute une explication autour de la polygamie), les hommes sont encore plus soumis à tout le reste. Il y a quelque chose de profondément répugnant dans cette description d'hommes qui sont prêt à se soumettre à une religion pour un statut social, pour une sexualité épanouie, pour un compte en banque plus rempli. J'aime assez la fin (même si elle est frustrante) parce que c'est une plongée (très houellebecqienne) dans l'infâmie, dans le renoncement à tout, dans l'abandon de ce qui fait de nous des hommes.

Un très petit Houellebecq donc, qui, avec un sujet comme ça, avait sans doute moyen de faire quelque chose de beaucoup plus fort. Mais il est tellement "petit" ce roman. Finalement ce qu'il y a de plus réussi ce sont sans doute les passages autour de la littérature quand il parle de Huysmans (très envie de lire A Rebours) ou Guénon.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 17 Jan 2015, 12:42 
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Belle déception pour ma part. C'est à mes yeux son plus faible. Sur le plan narratif, c'est assez feignant - alors que ses autres romans brillaient par leur capacité à mêler plusieurs récits et strates de réflexion intime, sociologique et même philosophique. L'argument tient quand même du Pascal Brutal, même si le livre est beaucoup plus marrant que stigmatisant.

Et je n'ai pas changé d'avis même s'il parait que le parallèle avec Huysmans est brillant.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 18 Jan 2015, 11:47 
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Terminé hier aussi L'ïle de Robert Merle, lu sous le conseil de Tom et Castorp.
Pas loin du chef-d'oeuvre en ce qui me concerne. C'est vraiment sublime, d'un humanisme forcené avec une place dédiée aux femmes qui m'a bouleversé. Un peu trop bavard parfois quand même mais j'aime beaucoup la manière d'échapper totalement aux canons du récit d'aventures pour se concentrer sur l'humain. J'ai souvent eu les larmes aux yeux. La fin (même si un chouïa frustrante) est géniale et encore une fois tellement belle dans ce qu'elle dit sur l'homme.
Je comprends pas pourquoi il a pas encore été adapté (alors apparemment si sous la forme d'une série avec Bruno Cremer dans les années 80). Il y aurait de quoi en faire une espèce de Nouveau Monde, j'ai d'ailleurs pas arrêté de penser à Malick à la lecture.
Je recommande chaudement.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 26 Jan 2015, 22:35 
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Art Core a écrit:
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C'est une grosse déception. J'ai tout simplement le sentiment d'un roman extrêmement fainéant à tout point de vue. D'ailleurs détail assez amusant, le roman fait pile 300 pages avec la dernière phrase trônant seule tout en haut de la dernière, un peu comme si Houellebecq s'était donné pour objectif de faire 300 pages pas une de plus. Le roman se lit très vite, on ne s'accroche à rien et il se termine précisément là où on aurait aimé qu'il commence
la conversion du personnage principal à l'islam.


Le reste est vraiment très faible. Le personnage est une caricature du personnage houellebecqien, vieux lubrique dépressif, misanthrope et misogyne, il ne parvient jamais à s'élever au delà de ça (contrairement à ses prédécesseurs). Tout le contexte politique est tout simplement ridicule. Houellebecq semble assez sérieux dans sa proposition d'anticipation mais on ne croit à rien. Un parti musulman qui parviendrait au pouvoir en à peine 8 ans, qui imposerait le voile, interdirait les jupes, rétablirait une société totalement patriarcale sans que ça soulève la moindre opposition. Si ça avait été traité sur le mode de la comédie à la limite mais c'est juste ridicule d'improbabilité, ça m'a beaucoup dérangé cette vision extrêmement limitée du monde politique.

Là où le roman est quand même in fine intéressant c'est dans la thèse proposée par son titre. Il présente une humanité soumise à tout. Une humanité dont la liberté est constamment entravée par une force supérieure que ce soit le sexe, l'argent, le pouvoir. C'est aussi là que le roman m'a surpris. Alors que je m'attendais à un roman assez nettement anti-islam ce n'est pas du tout le cas. Houellebecq tend à montrer que si les femmes sont soumises par les hommes par loi islamique (il y a d'ailleurs toute une explication autour de la polygamie), les hommes sont encore plus soumis à tout le reste. Il y a quelque chose de profondément répugnant dans cette description d'hommes qui sont prêt à se soumettre à une religion pour un statut social, pour une sexualité épanouie, pour un compte en banque plus rempli. J'aime assez la fin (même si elle est frustrante) parce que c'est une plongée (très houellebecqienne) dans l'infâmie, dans le renoncement à tout, dans l'abandon de ce qui fait de nous des hommes.

Un très petit Houellebecq donc, qui, avec un sujet comme ça, avait sans doute moyen de faire quelque chose de beaucoup plus fort. Mais il est tellement "petit" ce roman. Finalement ce qu'il y a de plus réussi ce sont sans doute les passages autour de la littérature quand il parle de Huysmans (très envie de lire A Rebours) ou Guénon.


Même si c'est très en-deçà des Particules Elementaires ou de Plateforme, je trouve le roman plutôt bon, mais j'aurais je crois du mal à en discuter sur un forum ...

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 28 Jan 2015, 10:07 
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A Rebours - Huysmans

J'avais déjà lu Huysmans avec Là-bas qui m'avais assez moyennement convaincu, passionnant par bien des aspects mais aussi relativement ennuyeux. Je retrouve un peu la même chose avec ce roman en plus extrême. Pour faire simple, je trouve l'écriture sublime et le projet tout simplement génial mais dans les faits mon intérêt a été très aléatoire. Totalement impliqué et buvant chaque mot avec avidité par moment et lisant tout en surface sans véritablement m'intéresser au sens des phrases à d'autres. Il faut dire que le roman brasse tellement de sujets, balaye tant de domaines différents avec une érudition étourdissante qu'il est parfois difficile de suivre.
En tout cas je comprends parfaitement pourquoi Houellebecq (ou du moins son personnage) met ce livre sur un piédestal dans Soumission et le considère comme un monument inébranlable. A rebours est totalement avant-gardiste au moment où il sort inventant déjà le name-dropping, se construisant à la croisée des chemins entre fiction et critique littéraire/artistique et surtout représentant une espèce d'acmé de l'esprit décadent fin de siècle citant pêle-mêle Baudelaire, Poe, Villiers de l'Isle d'Adam etc...

Ce que j'ai aimé par dessus tout c'est cette espèce de mise en abyme où le commentaire sur la poésie devient lui-même de la poésie. Ou à force de louer l'art de la poésie de Baudelaire, on finit par créer soi même un long poème en prose où l'on retrouve toute la synesthésie baudelairienne, le gothique de Poe, la perversion de Sade etc...
J'ai eu plus de mal avec tout ce qui concerne la religion, ne comprenant pas très bien ni le personnage de Des Esseintes, sorte de faux-croyant, ni dans la posture de Huysmans (fasciné par le décorum de l'église). J'ai été assez déçu par la fin d'ailleurs qui m'a paru manquer de force.

Le regard de Huysmans sur son personnage est aussi un peu ambigu. On ne sait pas trop s'il ironise (on se dit parfois que l'érudition de Huysmans sur les couleurs ou les odeurs est totalement inventée) ou s'il est purement premier degré. Une péripétie tend à ridiculiser son personnage
l'anecdote géniale et glaçante de la tortue
mais plus on avance plus le narrateur semble embrasser le point de vue de son personnage. Tout cela est vraiment fascinant.

Assurément un très grand livre sur lequel il doit y avoir des milliards de choses à dire et à analyser (A Rebours devenant à son tour un objet de culte dans la maison mentale d'un autre Des Esseintes - comme dans le livre de Houellebecq) mais je suis sincère, je m'y suis emmerdé ça et là (les passages sur la littérature catholique notamment). Mais Huysmans parvient à créer quelque chose d'assez unique et puissant où l'on se prend à rêver nous aussi à notre petite maison mentale de Fontenay où serait réunis tous les délices du monde. Un livre dont j'aurais un immense plaisir à relire des passages entiers tant ils sont exquis.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 28 Jan 2015, 10:57 
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Pour compléter ta lecture je te conseille d'aller faire un tour, si tu ne le connais pas déjà, au musée Gustave Moreau à Paris, qui est en fait la maison-atelier du peintre. J'avais pas mal en tête les toiles et l’atmosphère de ce musée quand j'avais lu A rebours et des Esseintes parle pas mal du peintre (et aussi d'Odilon Redon je crois).
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Complétement oublié les passages sur la religion mais je me souviens bien des réflexions interminables sur la couleur des murs et des rideaux, le passage de la tortue, la tentative de voyage.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 28 Jan 2015, 11:01 
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Très bonne idée, je note. Effectivement le roman donne envie de découvrir plein de choses. Effectivement il parle de Redon et des gravures de Jan Luykens (entre autres).

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 10 Fév 2015, 13:40 
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Excellent roman qui suit le destin des 4 personnages de l'élection de Miterrand à celle de Hollande ; c'est bien écrit et très pertinent dans la description de la destinée humaine avec ses hauts et ses bas, ses bonheurs et ses malheurs. Vers la fin, le livre atteint une gravité particulièrement touchante.

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L'histoire d'’un riche consultant en scénario dans la cinquantaine, Saul « Doc » Karoo, gros fumeur et alcoolique, écrivaillon sans talent séparé de sa femme et traînant plusieurs tares émotionnelles. Un roman brillant centré sur un personnage qui l'est beaucoup moins (cynique, lâche, égoïste). Bref, un véritable tour de force qui fait que l'on s'intéresse au destin d'un gros connard :mrgreen:


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 22 Fév 2015, 01:52 
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Terre des oublis (Duong Thu Huong)

Alors qu'elle rentre d'une journée en forêt, Miên, une jeune mère heureuse et mariée du Hameau de la Montagne, situé en plein cœur du Viêtnam, se heurte à un attroupement : l'homme qu'elle avait épousé quatorze ans auparavant, dont la mort comme héros et martyr avait été annoncée depuis longtemps déjà, est revenu…

Il y a dès la première page de ce bouquin une approche "sensorielle" qui se donne en spectacle avec évidence, et qui menace à chaque instant de virer à la note d’intention : moiteur de la jungle et des désirs, plaisir du repas et mauvaises haleines… Ce livre très "lubrifié" est un plaisir à suivre (ça se lit très facilement, très rapidement, ça glisse tout seul), mais n'est jamais loin de virer dans la vulgarité d’un style parfois un peu trop complaisant sur ce plan-là, comme si la personnalité du bouquin était à deux doigts de tomber dans une convention.

Duong Thu Huong ne s'y abîme jamais tout à fait pourtant, ne serait-ce que parce que le livre est tenu entier, façon colonne vertébrale, par l’intériorité de personnages qui, s’ils sont certes de chair, n’arrêtent jamais de penser, d’espérer, d’angoisser. Donner une forme particulière (les italiques) à leurs pensées, comme si celles-ci interféraient continuellement avec la réalité des choses, est un parti-pris pour le coup assez salvateur. Il y aussi une grande tendresse dans ce roman qui nous met cruellement dans une situation dérangeante où l’on souhaite la victoire de l’homme qui a tout, et l’abandon de celui qui n’a plus rien, tout en partageant totalement les angoisses de ce dernier.

Bref, c’est vraiment une bonne adresse, y a des passages magnifiques (les souvenirs de guerre, notamment, pour le coup abordés de manière vraiment inhabituelle), et un talent frappant à décrire le bonheur de ceux qui le vivent (alors que théoriquement, rien de plus plat à raconter, n’est-ce pas ?). Enthousiaste malgré mes réserves, donc, qui font que je ne suis pas sûr de retourner lire un autre de ses romans de si tôt.



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Les Enfants Tanner (Robert Walser)

« Un beau matin, un jeune homme ayant plutôt l’air d’un adolescent entra chez un libraire et demanda qu’on voulu bien le présenter au patron. Ce que l’on fit. »

Ce sont les premiers mots du bouquin, dont je ne vois comment je pourrais le résumer... Ce livre, je devrais a priori le détester : il est presque uniquement composé de logorrhées de personnages dissertant sur tout et n’importe quoi, changeant volontiers trois fois de sujet en cours de route, laissant leur pensée dégueuler en direct. J’ai habituellement beaucoup de mal, en littérature, avec ce genre de tirades de plusieurs pages, où je sens souvent le romancier laisser aller sa plume dans une sorte de transe facile, bombardant de mots selon l’inspiration, pour nous laisser au final sur les bras le fruit de sa diarrhée : démerde-toi avec ça, lecteur.

C’est exactement l’inverse qui se produit ici : on devient accro aux monologues, qui se boivent comme un nectar précieux. Les Enfants Tanner suit les déambulations de Simon, un jeune homme qui se laisse porter par les évènements, acceptant ce que la vie lui propose, et s’émerveillant à chaque fois de la nouvelle situation qu’il découvre (ce qui rend d’ailleurs le livre souvent assez marrant, il y a un côté continuellement absurde dans ce perso girouette et bienheureux à tout épreuve). Un exemple, lorsqu’il loue une chambre minable dans une ruelle sordide, alors qu’il travaillait encore la veille dans une grande maison, et que sa logeuse s'adresse à lui :
Citation:
« Malheureusement la chambre n’a pas de soleil, elle donne sur la rue. »
« Cela me va très bien, répondit Simon, j’aime l’ombre. Je détesterais le soleil s’il entrait dans la chambre en cette période chaude de l’année. La chambre est très jolie, et n’est pas chère, je dois le dire. Elle est comme faite pour moi. Le lit parait bon. Il l’est, en effet. Très bien. Ne faisons pas durer l’examen plus longtemps. Voilà également une armoire qui peut contenir plus de vêtements que je n’en possède et je remarque pour mon étonnement et ma joie un fauteuil où l’on peut s’asseoir confortablement. Vraiment, une chambre où l’on trouve un fauteuil pareil est à mes yeux déjà luxueusement garnie. Et il y a même un tableau sur le mur : j’aime quand il n'y a qu’un seul tableau dans la chambre, on y fait d’autant mieux attention quand on le regarde. Je vois également un miroir pour me voir. La glace est bonne et reflète exactement le visage. Il y a beaucoup de glaces qui déforment les traits, celle-ci est parfaite. À cette table, je pourrai rédiger les annonces que j’enverrai à différentes maisons de commerce pour obtenir un emploi. J’espère que j’aurai de la chance. Je ne vois pas pourquoi je n’en aurais pas, alors que j’en ai eu si souvent déjà. Il faut que je vous dise que j’ai souvent changé de place. C’est une erreur dont j’espère me défaire. Vous souriez ! Mais c’est très sérieux. Avec cette chambre, vous me faites pour ainsi dire une faveur. Car c’est le genre de chambre où quelqu’un comme moi peut se sentir heureux. Je m’efforcerai toujours de m’acquitter promptement de ce que je vous devrai ».
« Je veux bien le croire », dit la femme.
« J’ai d’abord eu l’intention, poursuivit Simon, de partir à la montagne. Mais cette chambre où il y a de l’ombre est plus belle que les montagnes même les plus blanches. Je me sens un peu fatigué et je voudrais m’étendre une heure, puis-je faire ? »
« Mais bien sûr ! C’est maintenant votre chambre ! »
« Mais non, mais non ! »
Et là-dessus, il se coucha.

Et encore, ce passage est de loin le plus concret du livre : généralement, le monologue disserte dix fois plus longtemps, avec la même précision, sur n’importe quel état d’âme ou idée abstraite. À chaque fois, les éléments utiles au récit (déplacements, décisions, mesure du temps qui passe) sont volontiers ellipsés comme des commodités ennuyeuses, alors que l’intériorité de Simon est verbalisée en long et en large, épuisant jusqu'à la dernière goutte chaque idée qui a le malheur d'y élire domicile.

Le livre ressemble bizarrement à une espèce de grand voyage, de grande odyssée en Terre du milieu, alors que le perso doit pas évoluer dans un périmètre de plus de 50 km d’un bout à l’autre du roman. Mais cette sensibilité extrême au monde, aux gens, donne à n’importe quel micro-évènement (du style : "tiens, les gens marchent dans la rue en regardant leur pieds") l’allure d’un rebondissement fondamental. Ce sentiment de voyage est également formel, le monologue subissant une sorte de mutation non-stop : intérieur, parlé, écrit, discours raisonné ou délire d’alcoolique, explorant un sentiment, puis un endroit, puis un visage, puis un rêve, prêté un temps à la bouche d’un autre personnage, ou même pris en charge le temps d’un chapitre par le narrateur qui en conserve tous les traits stylistiques. Il y a dans leur enchaînement et transformations un côté « marabout-bout de ficelle », comme une même cocotte en papier qui en se dépliant continuellement dessine d’innombrables nouvelles formes.

Cette qualité est aussi finalement le seul reproche que je ferais au livre : ne pas réussir à toujours tenir cette (absence de) structure. Le dernier tiers (après le passage "domestique") se fait un peu trop fragmentaire à mon goût : on a du mal à préparer, même souterrainement, l’arrivée d'une fin. Et en effet, c’est difficile : en quoi peut rimer une fin, dans un roman où toutes les situations sont égales, où aucune évolution n’a lieu dans le comportement de son héros ? La dispersion continue dans différents endroits de la ville caractérisant la dernière partie (plus de lieu pour réellement tenir l’unité des chapitres, comme ce fut le cas auparavant pour le carré de campagne, ou le manoir) fait que le final (et la sensation de face à face essentiel qui devrait en résulter) arrive de manière un peu abrupte, anecdotique, pas assez parée d’importance, juste comme un fragment de plus.

Un avertissement, enfin : bien que j’aie trouvé le livre délicieux à lire, il est très difficile (pour moi, en tout cas). Je lis en pointillés depuis décembre, et pourtant il est court… C'est difficile de le lire autrement que par petite gorgées (ça épuise vite), et on peut se lasser du concept avant d’en voir la fin.


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MessagePosté: 07 Avr 2015, 04:33 
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It’s the year 2044, and the real world is an ugly place.

Like most of humanity, Wade Watts escapes his grim surroundings by spending his waking hours jacked into the OASIS, a sprawling virtual utopia that lets you be anything you want to be, a place where you can live and play and fall in love on any of ten thousand planets.

And like most of humanity, Wade dreams of being the one to discover the ultimate lottery ticket that lies concealed within this virtual world. For somewhere inside this giant networked playground, OASIS creator James Halliday has hidden a series of fiendish puzzles that will yield massive fortune—and remarkable power—to whoever can unlock them.

For years, millions have struggled fruitlessly to attain this prize, knowing only that Halliday’s riddles are based in the pop culture he loved—that of the late twentieth century. And for years, millions have found in this quest another means of escape, retreating into happy, obsessive study of Halliday’s icons. Like many of his contemporaries, Wade is as comfortable debating the finer points of John Hughes’s oeuvre, playing Pac-Man, or reciting Devo lyrics as he is scrounging power to run his OASIS rig.

And then Wade stumbles upon the first puzzle.


Ce bouquin, c'est un peu la validation ultime du geek obsessif (pour ne pas dire "nerd" ou "otaku") ou comment les personnes les plus avantagées pour gagner sont celles qui débattent mille ans de détails triviaux de la pop culture ou ont passé des heures à jouer à des jeux vidéos. C'est comme si l'auteur disait à travers l'organisateur du jeu que seuls les geeks sont dignes et méritent de remporter le prix. "Et les faibles hériteront de la Terre..." quoi.

Simultanément, à l'instar d'un Avatar ou d'un Inception, l'ouvrage explore également, et de manière plus frontale que les exemples susmentionnés, la façon dont un monde factice devient le refuge de personnes mal-ajustées au monde réel. Mais il n'y a pas de trauma chez le protagoniste et le livre n'a donc pas à dénigrer l'illusion. Au contraire, bien qu'il soit dit qu'il ne faut pas "se perdre" dans le monde virtuel (et par conséquent, en filigrane, des dangers de rester coincé dans sa nostalgie), le récit valorise cet autre univers, qui n'est pas tant celui d'un jeu vidéo qu'une extension plus immersive d'Internet. Pour l'auteur, les amis que l'on s'y fait et les romances qui peuvent y naître ne sont en rien inférieures aux amis et aux romances live.

Il y a un chapitre entier qui reprend une discussion par messagerie instantanée entre le héros et la meuf qu'il kiffe et l'échange sonne magnifiquement, tristement, drôlement vrai. C'est un connaisseur qui écrit et la véracité n'en est que plus forte. Les références sont d'ailleurs plutôt obscures pour la plupart, notamment en matière de jeux vidéos (ou alors c'est moi qui n'y connaît rien en vieux jeux d'arcade). Et je suis effectivement assez curieux de voir comment l'adaptation va gérer les problèmes de droit parce que c'est un véritable catalogue et ça dépasse le stade de la simple référence.

En tout cas, il y a manière de transcender le matériau, qui reste assez léger en fin de compte, même si ses quelques thématiques sont traitées avec sincérité. Et il y a un potentiel de fou pour les scènes d'action.

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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 29 Avr 2015, 13:57 
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Parce que je tique depuis près d'un mois quand je vois que Film Freak est le dernier posteur de ce topic.

Karoo

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Je crois que c'est Nada qui en parlais un peu plus haut et qui avait aimé, pour ma part j'ai trouvé ça irritant et vain. C'est dans la veine des romans post-modernes dépressifs où le héros est un pauvre type qui n'arrive pas à aimer et à trouver du sens à sa vie. Mais contrairement à du Houellebecq, par exemple, c'est écrit de manière pachydermique, c'est ultra démonstratif, et les 500 pages (!) sont à moitié remplies de la seule même idée ressassée jusqu'à plus soif.

Un livre plus resserré aurait pu mettre en valeur les quelques bonnes idées narratives. L'histoire ménage de grosses surprises intelligemment amenées et pour le coup assez significatives. Ce roman aurait pu agir comme une déflagration sèche et sourde. Mais il est une longue plainte de radoteur.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 29 Avr 2015, 14:01 
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Et puis la folie des grandeurs à la fin, au secours.


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 Sujet du message: Re: Vos dernières lectures
MessagePosté: 29 Avr 2015, 14:06 
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A moi j'ai adoré.

Sinon moi j'ai terminé ce matin même dans le métro, Crime et châtiment et méga claquasse dans ma gueule. C'est sublime de la première à la dernière page. Et c'est d'une limpidité, d'une facilité à lire... J'avais déjà eu l'exact même sentiment avec Anna Karénine. La littérature classique russe me plaît de plus en plus.

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darkangel

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2329

03 Aoû 2005, 17:28

darkangel Voir le dernier message

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Castorp

25

4359

09 Juin 2016, 10:59

Xavierovitch Voir le dernier message

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Baptiste

10

1989

02 Jan 2018, 22:04

Gontrand Voir le dernier message

 


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